Vincent Lindon n’est pas, dans une interview, un interlocuteur détaché, tiède, renfermé. Il répond promptement, accueille les questions avec un regard chaleureux, perplexe, inquiet ou carrément interloqué. Bref, c’est là et là. Comme au cinéma. Dans « The Choice », en salles le 20 novembre, il incarne un ingénieur dont la vie s’effondre. Encore une fois, il « est », plus qu’il ne joue.
Dans « The Choice », tout au long du film, on vous voit au volant d’une voiture. Conduire n’était-il pas un obstacle à la concentration sur le texte ?
Non, au contraire ! L’art du jeu d’acteur, c’est essayer de retranscrire au mieux quelque chose que l’on fait tous les jours de façon naturelle, sans le faire comme on le fait soi-même, puisque l’on incarne un personnage. Au cinéma comme au théâtre, la tenue fait le moine : il est toujours plus simple de jouer avec de « vrais » accessoires, bref d’incarner Napoléon habillé en Napoléon, plutôt qu’en blue-jean.
Vous êtes effectivement au volant, la voiture n’est pas, contrairement à l’usage sur les plateaux de tournage, tractée par ce que l’on appelle une « voiture voyageuse »…
Je joue mieux dans une voiture si elle roule vraiment. S’il est remorqué, une partie de mon cerveau dit : « Il est remorqué ». » Du coup, je suis agacé et tenté d’en faire trop pour donner l’illusion de conduire réellement.
Votre personnage, Joseph Krauss, cherche à résoudre dignement une grave crise personnelle. S’il avait été un salaud, auriez-vous fait le film ?
Quand un scénario est très bien écrit, tout est acceptable. Dans « La Liste de Schindler », le rôle de Ralph Fiennes, l’officier SS, un monstre, est passionnant, car très bien écrit. Un personnage méprisable ne supporte pas d’être mal écrit, ou grossièrement écrit, car d’une certaine manière, il en devient encore plus dégoûtant… Je pourrais tout à fait accepter de jouer un méchant, et surtout pas de le jouer de manière autoritaire, ou ironique : si on introduit cette distance, nous ne l’incarnons pas. Quand j’accepte un rôle, je fais tout ce qui est en mon pouvoir.
Au cinéma, c’est comme en amour, le coeur commande
Face à un cas de conscience, Joseph veut absolument agir de manière exemplaire, au risque de tout sacrifier…
C’est le signe qu’il n’est pas très aligné avec lui-même. Lorsque nous nous comportons bien, nous ne cherchons pas obsessionnellement à être exemplaires. Les gens qui se soucient beaucoup de paraître vertueux sont louches, ce qui signifie qu’ils n’ont pas toujours été impeccables.
C’est aussi l’histoire d’un homme qui se construit contre son père…
C’est l’histoire du monde depuis 2000 ans ! Les enfants évoluent avec ou contre leurs parents, et plutôt contre eux. Les garçons contre le père en particulier. Tous les parents pèsent sur leurs enfants, qui eux-mêmes pèseront sur leurs enfants… J’ai remarqué une chose autour de moi : le père est souvent l’ennemi, et le grand-père, en revanche, la figure aimée et attentionnée.
Le tournage a été court, sept nuits, avec une équipe réduite. Votre personnage communique avec d’autres personnages uniquement via des conversations téléphoniques. Comment vous êtes-vous adapté à ce système atypique ?
Régulièrement, dans les interviews, les journalistes me posent des questions auxquelles non seulement je ne sais pas quoi répondre, mais que je ne me suis jamais posée, heureusement d’ailleurs. Quand je fais un film, c’est très intuitif. Mon rapport au cinéma est organique. Je n’analyse pas. Je lis le scénario, et selon mon ressenti, j’y vais, ou je n’y vais pas. Au cinéma, c’est comme en amour, le cœur règne.
Qu’attendez-vous de la direction d’acteurs ?
On dit « diriger les acteurs », mais le véritable défi est de bien les choisir. Si l’acteur ou l’actrice est bien choisi, une énorme partie du travail est accomplie. Avec les cinéastes, je parle beaucoup de détails, de choses concrètes. Les discours psychologiques, philosophiques ne m’intéressent pas.
Joseph Krauss supervise un immense chantier. Dans votre filmographie, vous incarnez des personnages très ancrés dans la réalité…
Dans mes fonctions, j’essaie d’être un porte-parole, d’être « les hommes », d’être tout le monde. Ce qui me ravit, c’est quand, dans la rue, les gens me disent qu’ils se sont reconnus en moi.
Plus j’ai de choses à dire, moins j’ai envie de m’exprimer
Regardez-vous encore vos films ?
Jamais ! Je déteste me voir à l’écran.
Envisagez-vous de réaliser un jour ?
Non, je suis probablement trop fier pour ça. J’ai trop peur de mal faire les choses. Si cela signifie passer deux ans et demi de ma vie à faire un film moyen, « pas mal » comme on dit poliment, cela ne m’intéresse pas. Et comme il n’y a aucune chance que je fasse « Citizen Kane »…
Cependant, nous pensons que vous avez beaucoup à dire…
Plus j’ai de choses à dire, moins j’ai envie de m’exprimer. J’ai donné moins d’interviews ces dernières années. Je reste à la maison. Il y a tellement de talk-shows, de programmes… Si je vais à une émission de télévision, à la seconde où j’entends les animateurs me dire, entre ricanements : « on a adoré le film, tu es incroyable ! », j’ai juste envie de dire « stop », ou « tu as dit exactement la même chose à ton invité hier, et tu diras la même chose à ton invité demain »… Parfois j’aimerais pouvoir, vivre, me tourner vers les Français et dites-leur : « Vous savez, tous ces chiffres, je n’y crois pas, je ne suis pas dupe. »
« Le Choix » de Gilles Bourdos. Durée : 1 heure 17 minutes. Sortie en salles mercredi.
Voyage jusqu’au bout de la nuit
Un homme en fuite. Ou en route vers sa vérité. Un soir, Joseph Krauss (Vincent Lindon), ingénieur, décide d’abandonner l’imposant chantier dont il a la charge, et de quitter sa famille. Il s’en échappe, en voiture, réquisitionné par une crise personnelle dont les motivations se révèlent peu à peu au spectateur. Unité de lieu (l’intérieur d’une automobile), de temps (une nuit), un seul personnage à l’écran : dans « Le Choix », sixième long métrage de Gilles Bourdos (« Renoir »), remake du film britannique « Locke » , l’énergie, la tension viennent de l’histoire. L’histoire ne cesse de se tordre et de se retourner. Elle progresse au fil des conversations téléphoniques qui se multiplient entre l’ingénieur défaillant et ses proches. Enfants, épouse, collègues… Ce film dense et sous pression (à peine 1h20) décrit de manière assez fascinante un homme ambigu, prisonnier de son obsession de la vertu et de la perfection.