« On ne peut pas raconter la Shoah avec des acteurs » (Jean-Claude Grumberg, écrivain)

« On ne peut pas raconter la Shoah avec des acteurs » (Jean-Claude Grumberg, écrivain)
« On ne peut pas raconter la Shoah avec des acteurs » (Jean-Claude Grumberg, écrivain)

LA TRIBUNE DIMANCHE — Michel Hazanavicius dit qu’il vous a fallu soixante ans pour écrire ce conte… Est-ce le cas ?

JEAN-CLAUDE GRUMBERG — Je ne sais pas d’où viennent nos écrits, mais pour retrouver une sorte d’enfance, il faut passer par l’âge adulte… Là, je suis comme un petit garçon, je n’ai plus de mère, ni de père, ni de femme. C’est difficile à supporter, d’être le fils de 6 millions de déportés, dont 1 500 000 enfants de votre âge, et d’avoir soi-même été arrêté et libéré. Presque tous les témoins ont disparu, et les enfants des survivants ont du mal à parler… Le poids du drame les empêche de parler. Si mon père avait survécu, je n’aurais peut-être jamais rien écrit, je serais devenu tailleur. Pour moi, la mémoire n’est pas un devoir. Cela vient malgré vous, cela vous rattrape, sans plan ni volonté. De grands témoins comme Léon Poliakov ou Annette Wieviorka ont commencé à parler et ont rendu notre parole possible, et c’est ainsi que l’écriture m’est venue.

Il était une fois la Shoah, de Michel Hazanavicius

Que pensez-vous des films récents qui parlent de la Shoah ?

Il n’y a pas de « bonne » situation ni de « bonnes » histoires. je n’ai pas vu La zone d’intérêt… Mais à 13 ans, j’ai visité Ravensbrück et j’ai été frappé par les petites maisons avec jardins des SS, et leurs piscines creusées par les femmes du camp… Ceux qui y mouraient étaient murés de ciment. Cela m’a « vacciné » : je ne voulais pas voir Auschwitz ou d’autres camps. Nous voulions qu’ils deviennent des lieux à visiter, et en même temps, c’est très gênant pour les gens d’y manger du pop-corn ou d’y prendre des photos. J’ai aussi refusé un article sur ma pièce L’Atelierl’un des premiers à parler de survivants, car il devait paraître dans un journal aux côtés du film de Roberto Benigni La vie est bellece que les anciens déportés trouvaient merveilleux… Je pense qu’on ne peut pas raconter la Shoah avec des comédiens, car c’est la vision du corps qui provoque la déportation : on ne peut pas demander à un acteur de peser 35 kilos ou d’être enfermé dans un wagon à bestiaux… C’est inhumain.

La forme de l’histoire et de l’animation permet-elle d’en parler de manière plus « supportable » ?

La réponse est Petit pouce ! Sous Louis XIV, les enfants mouraient de faim parce que les nobles ne payaient pas leurs parents… Qui l’a dit ? Charles Perrault, mieux que s’il avait décrit leur malheur : les contes racontent ce qui ne peut se dire autrement, ils permettent de parler de l’insupportable. J’utilise souvent cette paraphrase : si vous êtes invité chez un ami et que vous ne parlez que de votre cancer, il ne vous rappellera pas. Il faut pouvoir le faire rire ou le bouger, de manière à ne pas l’obliger à se boucher les oreilles. C’est ce que j’ai fait, inconsciemment. J’ai pris des morceaux de papier et un stylo et j’ai écrit sur le coin de la table “il était une fois”. La moitié du travail a été fait ! Mais dans le film de Michel, la petite fille m’a ému : il suffit d’un regard et on est attaché à elle pour la vie. C’est le pouvoir de l’animation.

 
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