FIGAROVOX/TRIBUNE – La libéralisation du marché du fret ferroviaire initiée par l’Union européenne crée une concurrence déloyale entre les opérateurs ferroviaires et le transport routier, analyse Chloé Petat qui publie La révolution ratée du transport ferroviaire (Le bord de l’eau).
Chloé Petat, co-rédactrice en chef du média Le temps des rupturesest l’auteur de La révolution ratée du transport ferroviaire (Editions du Bord de l’Eau, 2024). She is also a member of La Gauche Républicaine et Socialiste (GRS).
L’Union européenne a adopté une série de réglementations depuis le début des années 2000, afin d’ouvrir à la concurrence les marchés du fret et des passagers, respectivement en 2004 (deuxième paquet ferroviaire) et en 2016 (quatrième paquet ferroviaire). Dès l’origine, la mise en place d’un marché concurrentiel a été présentée comme la solution pour réduire les prix et les coûts, et pour offrir un service plus innovant et mieux adapté aux clients, qu’ils soient voyageurs ou entreprises. .
Quel bilan tirer de 20 ans de libéralisation du fret ferroviaire ? Un résultat catastrophique. La part modale du transport de marchandises par train est aujourd’hui de 9 %, contre 89 % pour la route. Pire : cette part continue de baisser. Au début des années 1980, le train transportait 66,4 milliards de tonnes.km (quantité transportée correspondant au transport d’une tonne sur un kilomètre) de marchandises ; en 2022, il était de 35,5, soit presque la moitié de moins. Cependant, sur la même période, le fret routier n’a cessé d’augmenter, comme chacun peut le constater sur les routes.
En réalité, le fret ferroviaire traverse depuis des années une crise qu’aucun plan de relance de la SNCF ou du gouvernement ne semble pouvoir enrayer. Le dernier plan, annoncé par le gouvernement du Borne en mai 2023, et confirmé en novembre dernier, s’apparente à un démantèlement pur et simple de la filiale fret de la SNCF, sous l’injonction des autorités européennes qui accusent la France d’avoir accordé des aides anticoncurrentielles à ce public. entreprise.
La stratégie française en matière de fret doit évoluer de toute urgence : le transport ferroviaire de marchandises est essentiel pour poursuivre une politique de réindustrialisation.
Chloé Pétat
Le problème est que le marché du fret ne peut pas bénéficier d’une concurrence loyale. En effet, l’État est amené à accroître les investissements dans les infrastructures routières, ce qui implique qu’une partie du coût réel du transport routier soit supportée par la collectivité. A l’inverse, les opérateurs de fret ferroviaire doivent systématiquement payer un péage coûteux pour utiliser le réseau SNCF. La concurrence est d’autant moins équitable que les entreprises de transport routier peuvent facilement trouver des solutions pour contourner les taxes et péages, grâce au réseau routier gratuit ou en faisant le plein d’essence dans un pays où elle est moins taxée. Ils bénéficient également de coûts salariaux réduits depuis la déréglementation du secteur routier en 1992, qui leur permet d’embaucher des salariés étrangers ou d’implanter leurs entreprises dans un pays plus socialement « accommodant ».
Le marché du fret ferroviaire est devenu très fragmenté depuis la libéralisation. Il existe une vingtaine d’acteurs, même si FRET SNCF conserve environ la moitié des parts de marché. Cette fragmentation conduit à une faible coordination et à une efficacité et une qualité de service moindres. Ayant du mal à convaincre leurs clients, les entreprises de fret sont souvent déficitaires, ce qui favorise le rachat des « petites » par les grandes, et déstabilise régulièrement le secteur. Une autre Source de déstabilisation est la détérioration des infrastructures, puisque les plus petites lignes de fret ont en moyenne 73 ans, ce qui entraîne des problèmes et des retards récurrents. Près d’un train sur six est en retard de plus de 30 minutes.
Alors que l’Union européenne et la France se fixent des objectifs ambitieux en matière de réduction des gaz à effet de serre, leur incapacité à dépasser le dogme des règles de concurrence condamne un secteur pourtant clé de la transition écologique. et la réindustrialisation. Aussi, la stratégie française en matière de fret doit évoluer de toute urgence : le transport ferroviaire de marchandises est essentiel pour poursuivre une politique de réindustrialisation. Les investissements doivent être massifs pour réhabiliter le réseau et créer de nouvelles infrastructures. Bref, nous attendons du gouvernement qu’il ait le courage de poursuivre ses ambitions industrielles et climatiques, quitte à entrer dans un rapport de force avec les autorités européennes.