La navigatrice du bateau L’Occitane s’est longuement entretenue avec Le Figaro avant de prendre le départ de son deuxième Vendée Globe et après des années mouvementées.
LE FIGARO. – Avec quelles ambitions partez-vous pour cette deuxième participation. Est-ce forcément pour faire mieux ?
Clarisse CREMER. – Oui j’ai envie de faire mieux, mais mieux au classement c’est une chose, mais c’est surtout mieux dans ma façon de naviguer et de vivre à bord. Personnellement, c’est ce qui compte le plus pour moi. Après mon objectif de donner un chiffre, parce que c’est ce que les gens demandent, c’est un top 10, alors en fait ce qu’il y a c’est que par rapport à la dernière fois, il y a quand même un cran qui a été passé en nombre de concurrents, en nombre de concurrents capables de gagner, en nombre de concurrents visant le podium, il est donc difficile de comparer les deux éditions en termes d’objectifs.
Vous avez enfin un très bon bateau, peut-être meilleur que le précédent…
Je pense que si on devait classer mon bateau en termes de qualité, par rapport au nombre de bateaux la dernière fois, je pense que c’est mieux, après il y a eu 13 bateaux neufs, et dans des bateaux de la même génération que le mien, il y a beaucoup qui ont réussi à changer pas mal de choses, en mettant de nouveaux foils, en fabriquant de nouveaux arcs. Nous étions un peu pressés par le temps, nous n’avons pas pu changer beaucoup de choses en termes de performances, donc je ne veux pas du tout trouver d’excuses, mais c’est plus compliqué que moi. Je suis le bateau qui a franchi la ligne d’arrivée en première position la dernière fois.
Je me comporte bien depuis le départ de mon premier Vendée Globe
Clarisse Crémer
En quoi ce Vendée Globe sera-t-il pour vous très différent du premier ?
Déjà, ce qui est différent, c’est mon état d’esprit aujourd’hui sur la ligne de départ. C’est vrai que la dernière fois, je ne l’ai jamais caché, le Vendée Globe m’a été servi sur un plateau, j’avais sans doute une part au fond de moi qui disait maintenant que je suis sur la ligne de départ, il faut que je mérite cette Vendée. C’est différent, c’est une grande victoire d’être sur la ligne de départ. Il n’y a pas beaucoup de notion de devoir prouver ma valeur, dans ma tête c’est autre chose, et aussi en termes d’expérience, même si je n’ai pas navigué autant que je l’aurais souhaité ces 4 dernières années, je m’en suis bien sorti. depuis le départ de mon premier Vendée Globe, j’ai plus de maturité dans ma gestion des problèmes, je suis un peu moins sensible aux avis des autres aussi par la force des choses.
Avez-vous l’impression que ce n’est plus la même Clarisse ?
Oui on ne change pas tout, on n’arrive pas à devenir quelqu’un de différent, mais on apprend à vivre avec nos défauts et nos qualités, même si j’ai toujours les mêmes défauts et les mêmes qualités, j’ai quelques petits raccourcis maintenant pour mieux les gérer ou mieux les utiliser, et oui c’est sûr que mon approche sur la ligne de départ est radicalement différente, je n’ai pas du tout les mêmes ressentis.
Pouvez-vous imaginer cette course, comment concrètement, sera-t-elle plus que jamais une régate autour du monde ?
Quand il y a 40 concurrents, il y a plus de monde autour de soi, cela incite à participer davantage à la régate. L’autre jour, quelqu’un m’a demandé qui, selon vous, pouvait gagner, et quand j’ai essayé de faire la liste, il y en avait 10, je pense que ça va être intense, ça va aussi être l’un des défis, je pense qu’il y en a qui partiront comme ils partent sur les transats. Je pense donc qu’il existe un moyen pour que ce soit suffisamment de coton.
jeFaudra-t-il savoir le contrôler pour ne pas rentrer dans le rouge et ne pas casser ?
Je pense que j’ai plutôt le problème inverse, j’ai dû tellement naviguer avec ce stress de ne pas finir, que c’est plutôt le contraire, de me remettre en mode attaque. Nous sommes tous différents sur ce point, il y en a qui sont plus impétueux, et qui finiront par trébucher, j’ai cette tendance à être parfois trop prudent, et donc je dois continuer à pousser comme je peux, mais au-delà un temps donné.
VVous sentez-vous enfin justifié d’être au départ d’un deuxième Vendée ?
Je ne sais pas qui mérite, qui ne mérite pas et qui est capable d’en être juge, mais en tout cas, en termes de navigation, en termes de travail fourni, en termes de bataille livrée, Je ne pense pas que j’ai volé ma place.
L’hiver dernier, vous avez été accusée de tricherie lors de votre premier Vendée Globe avec votre mari Tanguy le Turquais avant d’être disculpée, cette affaire est-elle derrière vous désormais ?
Oui, c’est derrière moi, après tout, évidemment, on a pris du retard, il y a plein de choses que je n’ai pas pu faire cet hiver comme j’aurais aimé les faire. Mais je me concentre sur autre chose. Par contre, quand je me suis dit, je veux revenir en Vendée, de manière plus efficace, après avoir appris toutes ces choses, on dira qu’entre ma vision, et ce que j’ai pu faire concrètement depuis 4 années, il y a un énorme écart. Quand je vois ce que d’autres marins sont capables de faire, en termes d’analyses, de performances et tout ça, je suis très très loin de mes aspirations, mais j’ai accepté cette situation depuis longtemps. C’est mon histoire, bien sûr il y a de la frustration mais je ne veux pas du tout me plaindre. J’ai beaucoup de chance d’avoir ce projet.
Est-ce que cela change quelque chose que Tanguy soit finalement en course ?
Cela ajoute un peu de tension. En fait, tant que tout se passe bien en mer, tant qu’il n’y a pas de gros problèmes, je ne pense pas que cela ait un grand impact sur notre façon de naviguer, je pense que oui, ce serait certainement le cas s’il arrivait quelque chose qui vous préoccupe. d’entre nous serait vraiment difficile à vivre.
Au fait, qu’allez-vous rechercher sur ce Vendée Globe ?
J’ai envie de naviguer comme si c’était la dernière fois, j’ai envie de vivre un maximum de moments de joie, j’ai envie de me dire ok bon maintenant je m’en fous, maintenant je reconnais mes défauts, mais d’un autre côté Je suis capable de mieux rebondir, enfin je n’attends rien de magique, mais par contre j’ai tellement appris sur moi ces 4 dernières années, que j’ai envie de mettre à profit tous ces petits apprentissages, et de réussir à rebondir, et surtout je j’ai juste envie d’être sur l’eau, d’être dans les mers du Sud, de ressentir ce sentiment que j’ai ressenti la dernière fois, après 2-3 semaines en mer, où tu deviens même un peu égoïste, où tu es dans ta bulle, où le le monde intérieur n’existe plus vraiment. J’ai envie de ressentir ça, mais de manière un peu égoïste, je ne suis pas forcément très fier, mais c’est aussi ce que je vais rechercher.
Et ce n’est pas trop compliqué de laisser sa petite Mathilda par terre ?
Eh bien, c’est sûr que ça va être plus difficile d’être égoïste, beaucoup plus difficile que d’autres fois. Quand je dis que c’est égoïste, c’est presque une sorte d’état sauvage, où on n’est qu’un marin sur son bateau, et en fait c’est un sentiment assez addictif, et assez exceptionnel, mais oui je ne sais pas comment tu fais ça quand on a un petit. Puis je me dis que si je fais ça, si je suis loin, et que je lui fais subir ça, maintenant il faut en profiter, tu ne vas pas non seulement la quitter et te dire qu’elle est loin. Il y a forcément des jours où je vais ressentir ça, où il va y avoir un manque, mais finalement ça devient une sorte de devoir d’être à l’aise en mer, sans se mettre la pression, en disant je suis là, maintenant je’ je suis à fond…