Ducournau, Fargeat… ces féministes qui déchaînent le gore au cinéma

« Merci au jury d’avoir laissé entrer les monstres. » Discours de la réalisatrice Julia Ducournau lors de la remise de la Palme d’Or pour Titane au Festival de Cannes en 2021, résonne aujourd’hui comme la clé fondatrice d’une nouvelle ère dans le monde des dits « de genre ». Ces dernières années, une nouvelle génération de cinéastes, dont de nombreuses femmes, s’est emparée sans vergogne de ces films (fantastique, horreur…) pour les remettre au goût de l’époque et de leurs propres interrogations.

Ainsi, en mai, Cannes a récompensé une autre Française, Coralie Fargeat, avec le prix du scénario pour son film Atomique. Le fond (en salles mercredi) : «Je rêvais que ce film aille à Cannes, car ce festival n’a pas peur de la nouveauté ni des œuvres qui déraillent un peu et bousculent.»

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Le film ressuscite la star des années 1990 ( Fantôme, Proposition indécente …), alias Elisabeth Sparkle, gloire de l’aérobic télévisuelle en justaucorps décolleté, en conflit avec elle-même et un patriarcat salace incarné par un vulgaire Dennis Quaid à volonté, qui la vire du jour au lendemain à cause de la date d’expiration : elle a 50 ans vieux et, il en est convaincu, les téléspectateurs veulent une chair plus fraîche et des fesses rebondies.

Abasourdie, Elisabeth se jette à corps perdu dans un pacte faustien lorsqu’elle découvre une substance miraculeuse et fluorescente qui, une fois injectée, donne naissance à son avatar parfait, la fameuse « meilleure version d’elle-même », jeune et ultra sexy. (la bombe Margaret Qualley). Mais le charme ne dure que si chacun cède la place à l’autre tous les sept jours… Trop tard, Elisabeth a produit son monstre, à la fois son double et son rival, qui va l’entraîner dans un abîme mi-jubilatoire mi-sordide de transformations toujours plus sanglantes.

La réalisatrice Julia Ducournau a reçu la Palme d’Or pour Titane au Festival de Cannes. (Crédits : LTD/PAUL GRANDSARD INSTITUT LUMIERE/SAIF IMAGES)

Ce Portrait de Dorian Gray Hollywood et sanglant ont fait parler de la Croisette et ont fait partir les gens et même se sentir mal à l’aise au milieu du film… Le « body horror » féministe n’avait pour une fois pas été relégué aux séances de minuit réservées aux amateurs de sensations fortes : le film est apparu en compétition officielle , montrant qu’il y avait bien un nouveau genre au sein du « genre ».

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« Il est en train d’acquérir ses lettres de noblesse et devient ce qu’on appelle aux Etats-Unis le genre élevé : un cinéma plus intellectuel, avec une vraie porosité entre cinéma d’art et essai et cinéma d’horreur.estime Aude Hesbert, directrice du Festival international du film fantastique de Gérardmer. Si le film d’horreur a toujours rempli les salles (et pas seulement pour Halloween), il évolue, et son public aussi : « On l’a toujours sous-estimé, pensant qu’il était masculin et fan de slasher [film d’horreur traditionnel]poursuit-elle, même s’il s’agit d’un public cultivé, cinéphile et curieux . »

Ce style de cinéma et ses nombreuses ramifications – slasher gore, fantastique, étrange, poétique… – cartonnent en salles : le clown tueur américain de Terrifiant 3comme l’invasion des araignées Vermines du Français Sébastien Vanicek, le thriller fantastique Vincent doit mourir par le franco-belge Stéphan Castang ou les films de zombies des plateformes. Les distributeurs français (The Jokers Films ou Capricci) tentent également l’aventure, encouragés par les pouvoirs publics : le CNC a créé un fonds d’aide au cinéma de genre, et la Région Grand-Est s’est spécialisée dans l’aide à ces tournages. Le genre est attractif car il aborde les angoisses de la société de manière plus actuelle.

« La peur a toujours été un objet social, et chaque époque a la sienne, poursuit Aude Hesbert. Pendant la guerre froide, nous avions peur du nucléaire et des communistes. Aujourd’hui, on a peur des mutations, des changements du corps et du climat, de la technologie… Ce cinéma fait de la politique sans le vouloir. » En 2023, on l’a également vu avec l’énorme succès de Règne animal de Thomas Cailley, faisant le parallèle entre les mutations adolescentes et celles de la planète.

Un grand cri inquiétant et jubilatoire

Les réalisatrices assument également pleinement la portée féministe explosive de leurs propos. Loin de la femme soumise des vieux films d’horreur, l’héroïne d’aujourd’hui prend sa revanche sur la société. ” Il y a une nouvelle génération dans un genre qui a longtemps été masculin et où les femmes étaient majoritairement des victimes qui finissaient à l’abattoir, observe Aude Hesbert. La présence de Demi Moore dans The Substance est porteuse d’un message important : c’est une icône du cinéma de genre qui parvient à dépasser le plafond de verre de l’âge, dans un film qui parle de ça !»

Le New York Timesa même fait un podcast à ce sujet… La réalisatrice, de son côté, revendique ce grand cri inquiétant, jubilatoire et plein d’hémoglobine : « The Substance est un geste, totalement volontaire, pour donner ce grand coup de pied féministe pour ébranler ce monde et son système, et surtout le faire en étant bruyant, pas délicat, visible, et surtout en ne s’excusant pas d’être là !» Loin de se reconnaître dans les films réalistes post-Nouvelle Vague, ces réalisateurs ont vu dans le genre une manière de parler autrement du corps humain et féminin, si souvent érotisé.

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« J’aime ces films parce qu’ils n’ont pas de règles ! On crée les nôtres, pour enfin se libérer des carcans, poursuit Coralie Fargeat. J’ai grandi avec les princesses Disney, les poupées Barbie et la jolie fille qui servait de repoussoir aux héros… Je ne me reconnaissais pas du tout là-dedans, je me sentais même monstrueuse ! Enfin, aujourd’hui, un imaginaire nouveau, original et inédit apparaît : on peut s’y identifier et apporter un peu d’équilibre à tout cela.»

Déjà, dans son premier long métrage,Tombe (2016), Julia Ducournau dresse le portrait d’une jeune femme végétarienne devenue affamée de chair humaine pour aborder le thème de l’identité, avant d’incarner une jeune mutante aux pulsions meurtrières et à la grossesse monstrueuse dansTitane . Dans le premier film de Coralie Fargeat,Vengeanceune héroïne violée inverse les rôles de bourreau et de victime en décimant violemment ses agresseurs.

«Le genre permet cet extrémisme et ce lâcher prise qu’on ne se permet pas dans la vraie vie, estime le réalisateur. C’est l’antithèse de la féminité quotidienne, toujours dans la retenue et le corsetage.» Dans le même esprit, nous avons également pu constaterMa bêtede la Colombienne Camila Beltrán, une histoire du diable, de la pleine lune et de la métamorphose d’une adolescente ; et on verra bientôt le film de vengeance féministe de Noémie Merlan,Femmes au balconetles animaux,de la Française Emma Benestan, abordant le milieu très machiste de la tauromachie camarguaise avec une jeune femme en changement et assoiffée de vengeance.

Coralie Fargeat revendique ce grand cri inquiétant, jubilatoire et plein d’hémoglobine.(Crédits : LTD/PAUL GRANDSARD INSTITUT LUMIERE/SAIF IMAGES)

L’hémoglobine et la violence seraient ainsi plus efficaces que tous les discours : «L’expérience ludique et agréable du spectateur va de pair avec le fond du film, ajoute Coralie Fargeat. Les émotions fortes et le « voyage » viscéral et sensoriel que je propose sont un véhicule très puissant pour parler de vrais sujets politiques, sociétaux, qui sont pour moi l’ADN du film de genre depuis La Nuit des morts-vivants. »

En janvier 2024, le Festival de Gérardmer a également décerné son prix àAffaméun film canadien de zombies avec des femmes combattantes luttant contre des morts-vivants, quand les hommes hésitaient à devenir des héros… Du 29 janvier au 2 février 2025, la prochaine édition du festival, qui rassemble 40 000 spectateurs en cinq jours, déclinera le thème de spectres. Parce que le genre séduit même « anciens »: Steven Soderbergh sortira en 2025Présenceun film hanté filmé entièrement du point de vue du spectre. Nous n’avons pas fini d’expier nos peurs dans les salles obscures.

 
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