pourquoi le changement d’heure est si critiqué

Pensez à déplacer vos horloges et réveils. La passera à l’heure d’hiver dans la nuit du 26 au 27 octobre : à 3 heures du matin, il sera 2 heures du matin. Un changement d’heure controversé dont la suppression, souhaitée par la Commission européenne, ressemble à un serpent de mer.

Cette mesure, introduite une première fois en 1916 avant d’être abandonnée en 1944, fut réintroduite par un décret en septembre 1975. Elle se voulait provisoire et visait à limiter la consommation d’énergie en pleine crise pétrolière. Avec la multiplication des appels à la sobriété énergétique, le changement d’horaire pourrait paraître bénéfique. Mais est-ce vraiment le cas ?

1. Un système non universel et difficile à comprendre

Au niveau européen, le régime du changement d’heure a été progressivement généralisé dans les années 1980 avant d’être harmonisé en 2002. La Commission européenne a proposé en 2018 de le supprimer l’année suivante. Mais, en mars 2019, le Parlement européen a voté son report à 2021 et a dû se mettre d’accord avec le Conseil des chefs d’État et de gouvernement sur les termes de cette réforme. Depuis, entre Brexit et pandémie de Covid-19, la question reste en suspens. L’une des difficultés est d’inciter les pays à harmoniser leur heure légale (été ou hiver) afin d’éviter de se retrouver avec une mosaïque de fuseaux horaires.

En France, une consultation en ligne organisée début 2019 par l’Assemblée nationale a reçu plus de deux millions de réponses, majoritairement (83,74 %) favorables à la fin du changement d’heure. Plus de 60 % des participants ont déclaré avoir eu « une expérience négative ou très négative » de changement.

Particularité du système actuel : il ne concerne pas les territoires d’outre-mer, qui ne changent jamais d’heure (à l’exception de Saint-Pierre et Miquelon, qui s’appuie sur le Canada). En effet, la plupart d’entre eux sont situés sous des latitudes où les écarts d’ensoleillement sont faibles tout au long de l’année, contrairement à l’Europe.

À l’échelle mondiale, plusieurs pays, comme le Mexique en 2023, l’Argentine, la Tunisie, l’Égypte, la Turquie, la Russie et l’Arménie, ont décidé d’abandonner les changements d’heure saisonniers.

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2. Des gains énergétiques peu concluants

Le principal argument en faveur du changement d’heure était jusqu’à présent les économies d’énergie qu’il permettrait de réaliser en profitant de périodes d’ensoleillement plus longues en été et en se rapprochant du rythme du soleil en hiver. Mais plusieurs études sur le sujet montrent des économies d’énergie et de CO2 “modeste”selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).

Ainsi, une étude de l’Ademe publiée en 2010 concluait que le passage à l’heure d’été entraînait :

  • une consommation électrique plus élevée le matin, avec notamment un pic à 6 heures du matin (équivalent à 5 heures du matin en hiver) ;
  • consommation bien moindre le soir, notamment entre 20h et 21h (équivalent à la période entre 19h et 20h en hiver).
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ADEME

En d’autres termes, les ménages paient en moyenne un peu plus pour l’électricité le matin, mais économisent finalement le soir. Pour avoir une idée, une heure d’éclairage en moins permet d’économiser environ 10 centimes.

En 2009 (année prise en compte par l’étude), la demande moyenne d’électricité à 19 heures a été réduite de 3,5 gigawatts (GW). Au total, les économies d’énergie cette année-là ont été estimées à 440 gigawattheures (GWh), principalement sur l’éclairage public (en rose sur le graphique ci-dessus). C’est l’équivalent d’un an d’éclairage pour une ville de 800 000 habitants comme Marseille.

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Mais depuis, cet effet tend à s’atténuer en raison de la performance accrue des systèmes d’éclairage (ampoules basse consommation et LED). En 2018, cette baisse n’était que de 351 gigawattheures. D’ici 2030, les économies d’énergie en matière d’éclairage sont estimées à 258 gigawattheures par l’Ademe.

Sachant que la majorité de la consommation énergétique des ménages provient du chauffage et non de l’éclairage, les preuves d’économies d’énergie restent encore à démontrer. Une étude britannique affirme même que supprimer le changement d’heure en octobre permettrait d’économiser 400 livres sterling (460 euros) par foyer et par an, car il ferait plus jour le soir, ce qui réduirait la demande aux heures de pointe.

3. Des résultats contradictoires sur les accidents de la route

L’Association contre le double horaire d’été (Ached) fait campagne contre le changement d’heure en citant, entre autres raisons, « augmentation des accidents de la route ». Elle appuie son argumentation sur des chiffres datant de… 1976, après le rétablissement de l’heure d’été, et conclut qu’il y a eu 661 morts de plus sur les routes cette année-là, entre avril et octobre, qu’en 1975.

Dans un rapport publié en septembre 2014, la Commission européenne, qui a examiné plusieurs études sur le sujet, note «des résultats souvent contradictoires»quelques rapports “suggérant que le changement améliore la sécurité routière”, grâce à une meilleure visibilité à certaines périodes de l’année et de la journée (comme l’explique une étude écossaise de 2010), d’autres « démontrant une augmentation potentielle des accidents de la route dus aux troubles du sommeil ».

En 2023, la Sécurité routière a cependant décidé de réitérer l’importance de se rendre visible sur la voie publique, avec « dispositifs rétroréfléchissants (gilet, brassard, gants, bandes sur le sac à dos, le cartable, etc.) » juste avant le changement d’heure. Le nombre d’accidents impliquant un piéton augmente en effet de manière récurrente de 42% en novembre, par rapport au mois d’octobre, selon les données de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière recueillies entre 2015 et 2019.

A lire aussi : Le passage à l’heure d’hiver, une période redoutée par la Sécurité routière

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4. Conséquences sur la santé ?

En 2008, une étude suédoise publiée dans le Journal de médecine de la Nouvelle-Angleterresur la base des statistiques du pays entre 1987 et 2006, a noté « une augmentation statistiquement significative du risque de crise cardiaque » dans la semaine qui suit le changement d’heure, notamment lors du passage à l’heure d’été.

Une étude de septembre 2015, menée par la Commission européenne, écrit que « la santé peut être affectée par le changement du biorythme corporel, avec d’éventuels troubles du sommeil et de l’humeur ».

Mais de même que la dépression hivernale ne peut s’expliquer par un lien causal (assez ténu d’un point de vue scientifique) entre manque de lumière et baisse du moral, les perturbations induites par le changement d’heure ne peuvent s’expliquer à l’heure actuelle uniquement par des hypothèses. La Commission conclut toutefois que « les preuves concernant les effets globaux sur la santé (c’est-à-dire la mise en balance des effets négatifs et positifs présumés) ne sont pas concluantes ».

En 1997, un rapport du Sénat assurait que le monde médical restait « très partagés sur l’existence de problèmes imputables à l’heure d’été. Réel ou fantasmé, le risque médical a en tout cas été intégré par les patients potentiels : « 19 % des médecins [faisaient] constat d’une augmentation de la consommation de médicaments et notamment de tranquillisants au moment du changement d’heure ». Une étude américaine sur le « décalage horaire social » du changement d’heure, publiée en 2019, a observé des populations de part et d’autre d’une « frontière » de fuseau horaire : elle concluait qu’une heure de soleil de plus le soir faisait perdre jusqu’à 19 minutes de sommeil.

Mis à jour le 19 avril 2024 à 16h30 : modification concernant le Mexique, qui a abandonné le changement d’heure en 2023.

Thibaut Faussabry, Mathilde Damgé et Alexandre Pouchard (avec AFP)

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