la tentation de l’autocensure est toujours présente dans le monde du cinéma

la tentation de l’autocensure est toujours présente dans le monde du cinéma
la tentation de l’autocensure est toujours présente dans le monde du cinéma

« Comment pouvons-nous donner vie au cinéma classique à la lumière des paradigmes sociétaux changeants ? » : c’est avec cette tournure tranquille que les responsables du Marché international du film classique (MIFC) du Festival Lumière, à Lyon, ont choisi d’intituler une table ronde consacrée ce 15 octobre à un phénomène de violence potentiellement meurtrière pour la liberté artistique. .

Au cœur du débat : quelles réponses apporter aux réactions offensées de plus en plus nombreuses provoquées par les films et surtout ceux de l’ère pré-#MeToo, notamment auprès des jeunes générations ?

Vaste (et passionnant) débat, encore balbutiant compte tenu du manque de recul de la profession sur cette onde de choc qui se dessine : la protestation tous azimuts, souvent d’un public de 15-25 ans, contre des œuvres de fiction récentes mais surtout plus anciennes (le jargon les décrit comme films « de patrimoine » ou « de répertoire », c’est-à-dire âgés de plus de dix ans selon une nouvelle définition du CNC, Centre National du Cinéma).

Sur le banc des accusés : d’un côté, les films de réalisateurs et d’acteurs aux carrières entachées d’accusations de violences sexuelles, tranchées ou non par la justice – Roman Polanski, Woody Allen, Kevin Spacey, Gérard Depardieu, Benoît Jacquot, Jacques Doillon pour les plus célèbres… De l’autre, plusieurs longs métrages classiques, au contenu désormais jugé « problématique » selon les critères de ce nouveau siècle sur le fil du rasoir entre questions morales légitimes et retour à une certaine obsession de la vertu.

Cartes projetées en début de séance

“Je ne suis pas inquiet : une vraie discussion de fond s’engage avec les jeunes cinéphiles, qui sont effectivement très sensibles aux questions de représentation, de violence et surtout de sexe”, confie Gérald Duchaussoy, responsable de la programmation au MIFC et responsable de Cannes Classics ( la section du Festival de Cannes dédiée aux films classiques restaurés). « Mais cette évolution est effectivement surprenante pour moi qui ai toujours vu le cinéma montrer explicitement certains interdits sociétaux. Les jeunes sont, selon moi, moins friands de contenus transgressifs aujourd’hui.

Certains films de Sergio Leone, Mario Bava ou Nagisa Oshima – notamment L’empire des sens pour ces derniers – vont mal, leur traitement notamment des femmes choque, parfois à juste titre, des lycéens ou des étudiants. Parfois des professeurs me demandent si on peut les alerter (en relisant ensemble nos grilles) sur certains films jugés trop violents ou à caractère sexuel. A Cannes Classics, il n’est pas rare que des personnes présentes dans la salle nous demandent, après une projection, pourquoi nous avons programmé tel ou tel film comportant des scènes de nu qui ont choqué. Cela fait évidemment partie de notre travail d’explication et de contextualisation. Nous sommes là pour ça. »

Le besoin d’accompagnement éditorial des films et séries soupçonnés de non-respect des « nouveaux paradigmes » a pris de telles proportions qu’il n’est plus possible de l’ignorer, encore moins de le combattre.

Dans le cas du cinéma, il convient, tant pour les programmateurs de festivals que pour les distributeurs et exploitants de cinéma, d’intégrer ces nouvelles doléances collectives à travers une explication du texte au cas par cas, via des fiches de contextualisation projetées au départ. du film. séance, la documentation mise à disposition du public ou les informations affichées à la caisse.

Lors de la table ronde du MIFC le 15 octobre à Lyon, quatre intervenants représentant différentes étapes de la filière ont été invités à expliquer leur expérience de terrain : Béatrice Boursier (déléguée générale de l’Union des cinémas d’art, de répertoire et d’essai, le Scare), Élodie Drouard ( responsable de la rédaction cinéma de Télévisions), Romain Dubois (directeur marketing et éditorial de la plateforme UniversCiné) ainsi que Laura Pertuy (journaliste et administratrice du Collectif 50/50, association chargée de promouvoir l’égalité des femmes et des hommes et la diversité sexuelle et de genre en cinéma et audiovisuel).

De Peau d’âne au Dernier Tango à Paris

Le discours introductif du modérateur Sylvain Devarieux (rédacteur en chef adjoint de cinéma français) donne le ton ce jour-là : « La parole se libère, les crimes éclatent enfin au grand jour, une prise de conscience générale est à l’œuvre dans notre cinéma. Après le coup de semonce qui a secoué Hollywood à la fin de la dernière décennie, c’est au début de celle-ci que le phénomène infuse enfin notre pays. Certains faits historiques ou représentations à l’écran sont remis en question, des cinéastes et des artistes sont remis en cause, les films semblent plus difficiles à diffuser à l’aune des nouvelles valeurs sociales… »

Béatrice Boursier, de Scare, confirme au Point Pop : « Les opérateurs ont une responsabilité partagée par l’ensemble de la filière. Nous ne pratiquons pas annuler la culturemais il faut désormais accompagner les projections d’œuvres de cinéastes accusés de faits graves, ou qui montrent des actes graves dans leurs films. Certains parents sont choqués, par exemple, qu’on montre Peau d’âne de Jacques Demy à leurs enfants, car le film évoque l’inceste – même s’il le dénonce. Dans un autre registre, un film comme Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci (1971) ne peut plus être montré en public sans information préalable sur le contexte de sa production, notamment concernant l’épreuve endurée sur le tournage par la regrettée actrice Maria Schneider.

Mentionné dans le film récent Marie de Jessica Palud, l’insupportable scène de viol anal du personnage incarné par Schneider (alors âgé de 19 ans) par celui de Marlon Brando, dans le drame érotique de Bertolucci, a été certes simulée mais imposée au dernier moment à l’actrice, qui ne s’en est jamais remise. « La libération sexuelle des années 1970 a été avant tout une liberté pour les hommes, vue par les hommes, qui ont continué à exercer leur contrôle sur le corps des femmes », ajoute Béatrice Boursier. « Il n’est pas question d’un retour au puritanisme, mais il faut clarifier les contextes, engager un dialogue permanent avec le public autour des œuvres. »

“On est amené à se poser des questions qu’on ne se posait pas il y a dix ans”, reconnaît Élodie Drouard, de France Télévisions. « Tout cela est très nouveau et nous oblige à nous réinventer ; nous ne pouvons plus ignorer les évolutions sociétales récentes. Les jeunes de 20 à 25 ans travaillant dans notre département sont souvent effrayés par certains films qui nous évaluons une éventuelle diffusion à l’antenne.

L’une de nos boîtes les plus exposées à ces enjeux est celle du cinéma de patrimoine sur France 5, le vendredi soir, où nous diffusons beaucoup de films des années 1970, 1980 et 1990 – une autre époque. Pour ceux-ci, nous avons dû mettre à jour notre logiciel et nous avons dû faire un travail pédagogique. »

En début d’année, une rétrospective de douze films d’Alfred Hitchcock, programmée sur France 5 et sur le portail france.tv, a été complétée par le biopic Hitchcock de Sacha Gervasi (2012), qui dénonce le comportement controversé du grand Hitch’ auprès de ses actrices. La postérité se souviendra probablement davantage des limites Psychose, Sueurs froides ou Pas de printemps pour Marnie que ce joli long métrage didactique, mais au moins le spectateur est informé que Sir Alfred n’était certainement pas un saint.

Réfutant également toute idée de “cancel culture”, Élodie Drouard affirme également que, contrairement aux “fake news” répandues sur la Toile, les films de Gérard Depardieu ne sont pas bannis des antennes de France Télévisions – elle en donne pour preuve le présences de Dernier métro et de La femme d’à côté dans une « collection François Truffaut » disponible depuis le 17 octobre sur france.tv. Pas de boycott non plus, nous promet-elle, des films de Woody Allen ou de Roman Polanski.

Acheté par France 2 pour deux diffusions, j’accuse a ainsi fait l’objet d’une première exposition en prime time sur la chaîne le 25 juin 2023… Sa deuxième apparition reste à déterminer. « De toute façon, tout est au cas par cas, nous sommes confrontés presque tous les jours à de nouvelles questions et il faut aussi tenir compte du contexte de la programmation », ajoute Élodie Drouard. « Nous n’allons pas proposer aux antennes de diffuser un film de Jacques. Doillon alors qu’il fait l’objet d’une plainte pour viol de la part de Judith Godrèche. C’est notre message pour dire que nous écoutons ces femmes offensées ou victimes de violences sexistes et sexuelles, et que nous respectons leur temps de parole. Cela ne veut pas dire que nous ne diffuserons plus jamais un film de Jacques Doillon. »

La position officielle de Manuel Alduy, directeur du cinéma à France Télévisions, est la suivante : « Ne censurez jamais les films, mais ne félicitez jamais non plus les artistes mis en examen ». Alors, lors de leur dernier soupir, Roman Polanski, Woody Allen ou encore Gérard Depardieu feront-ils l’objet d’hommages sur les chaînes du service public ? Rien n’est moins sûr.

Quant à la plateforme de streaming UniversCiné, le cas de Polanski est réglé : désormais persona non grata, il a totalement disparu de l’offre par abonnement (SVOD) de ce service de vidéo à la demande créé en 2007. Certains de ses films restent cependant disponibles sur le marché. à la carte, à l’achat ou à la location, mais ils ne sont plus affichés sur une seule page : « Il y a des films qu’on n’a plus envie d’acheter en SVOD, des cinématographies qu’on n’a plus envie de mettre en valeur. Nous ne voulons pas de mal le sensibilité de nos abonnés ou de qui que ce soit, nous ne voulons pas donner l’impression de nous positionner, nous préférons focus sur le cinéma et sa grammaire », explique Romain Dubois.

Pour éviter la censure, il faut ouvrir un dialogue avec le public, expliquer, contextualiser, afin d’éventuellement réparer l’œuvre endommagée par la violence qui l’a entourée.Laura Pertuy, administratrice du collectif 50/50

Rappelons que Polanski, accusé de viol sur mineure en 1977 à Los Angeles, a finalement été condamné la même année à 90 jours de prison pour « rapports sexuels illégaux avec une mineure », avant de fuir les Etats-Unis devant les risques de requalification de la phrase. L’affaire est extrêmement complexe et a donné lieu à de nombreuses procédures pendant 47 ans. Marquée également par le pardon répété de sa victime Samantha Geimer depuis 1997, l’affaire déchaîne les passions les plus violentes contre l’auteur de Le bébé de Romarindes deux côtés de l’Atlantique, notamment depuis l’ère #MeToo. Le réalisateur, visé également par des accusations de viols et de violences de la part d’une dizaine de femmes (dont la photographe Valentine Monnier en 2019, qui n’a cependant déposé aucune plainte), a depuis vu son brillant CV entaché mais pas encore totalement invisibilisé.

En juillet 2023, au Forum des images à Paris, son chef-d’œuvre quartier chinois a failli être exclu d’un cycle consacré à la ville de Los Angeles : « Une partie de l’équipe du Forum s’est désolidarisée de cette programmation et a écrit à la direction pour faire savoir qu’elle ne souhaitait pas promouvoir les valeurs désormais incarnées par le cinéaste ni endosser le message qu’il a envoyé », se souvient Laura Pertuy. « Après un débat interne, le film a été maintenu mais sa projection était accompagnée d’un avis informant le public que ce choix avait créé une discorde au sein du Forum. »

L’administrateur du collectif 50/50 est d’accord avec les autres invités de la table ronde du MIFC : « Il faut dépasser le débat sur la Cancel Culture, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Le choix de diffuser un film en salles ou à la télévision illustre plus que jamais une ligne morale. Le public est désormais impatient de savoir dans quelles conditions les films ont été réalisés, qui a participé à leur tournage, on ne peut plus penser en termes purement artistiques et il faut accompagner ces questions sur l’écosystème cinématographique.

Pour éviter la censure, il faut ouvrir un dialogue avec le public, expliquer, contextualiser, pour pouvoir réparer peut-être l’œuvre endommagée par la violence qui l’entourait. » Pourquoi pas. Mais combien de temps durera cette barrière préventive avant qu’une nouvelle vague de « paradigmes sociétaux » ne réduise encore davantage la tolérance du public à l’égard de la transgression au cinéma ?

 
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