News Day FR

l’art est un cadavre exquis

Ils se postaient aux confins du sommeil, guettant la libre pensée, détachée des contraintes de la raison. Le premier manifeste surréaliste, signé par André Breton, fête son centième anniversaire le 15 octobre 2024.

Depuis plusieurs années déjà, à cette époque, Louis Aragon et Robert Desnos fréquentaient l’état de rêve éveillé et de demi-sommeil, pour y puiser l’inspiration de leur art. Inspiré par le mouvement Dada, ses pratiques d’automatisme avec Philippe Soupault mais aussi les travaux de Freud sur l’inconscient, André Breton a réuni ses amis pour faire un mouvement de cette volonté de faire de l’art un « pur automatisme psychique ».

« Notre objectif était d’exprimer par écrit ou via toute autre forme d’art le véritable mécanisme de la pensée, une pensée hors de tout contrôle exercé par la raison et hors de toute préoccupation esthétique ou morale », explique-t-il. , dans une entrevue avec Judith Jasmin à Radio-Canada, en 1961.

Pour Breton, l’homme est un « rêveur définitif », et il n’a accès consciemment qu’à une partie de lui-même. Mais bien qu’il ait rencontré Freud lui-même en 1921, son approche était plus esthétique qu’interprétative.

Le rêve comme histoire

« Il y a bien sûr un intérêt chez les surréalistes pour la théorie et la notion d’inconscient », précise Georges Sebbag, qui a connu André Breton dans les années 1960, et qui vient de publier quatre livres en à l’occasion du centenaire du surréalisme. . « Les surréalistes publieront des dizaines et des dizaines d’histoires oniriques. Pour eux, c’est le rêve en tant qu’histoire qui est intéressant. C’est aussi le fait d’explorer les images qui apparaissent, qui nous surprennent. Les récits de rêves des surréalistes sont comme de petites histoires qui, en elles-mêmes, valent la peine d’être racontées, sans qu’il soit nécessaire de demander aux rêveurs de trouver le sens inconscient de leurs rêves. »

L’automatisme, cette pensée affranchie de la raison, s’exprime aussi dans les collages et cadavres exquis que Breton pratique avec les membres du groupe. Le manifeste surréaliste a d’abord existé comme une préface à Poisson solubleun recueil de poésie publié par Breton en 1924. La toute nouvelle édition proposée par Georges Sebbag explore également les jeux de collage de bouts de textes publiés dans les journaux, auxquels se livrait André Breton avec les autres membres du groupe.

« Les surréalistes lisent les journaux, poursuit Georges Sebbag. Et en découpant des éléments dans les journaux, ils feront des poèmes. Et quand on lit attentivement ces poèmes, on se rend compte qu’il ne s’agit pas seulement d’esthétique. C’est ce que j’ai fait. Et en retrouvant les sources de chacun des fragments du journal, on comprend qu’il y a des éléments qui les intéressent. Cela concerne l’actualité, cela concerne le cinéma, le théâtre, la publicité. Le journal devient un matériau. » Ces collages donnent lieu à des séquences comme « Pour révéler / la vérité / nous buvons au soleil », ou « la ville a besoin / d’un teint de / de rêves ».

Une Gaspésie « en marge de l’histoire »

C’est aussi à travers un rêve de sa nouvelle épouse, Élisa, qu’André Breton aborde l’île Bonaventure et le village de Percé, dans le texte Arcane 17un de ses textes majeurs, inspiré du paysage naturel de la Gaspésie. Percé fait partie de ces « points sublimes » qu’André Breton a recherché toute sa vie. « Sublime est un mot qui désigne le point auquel on voudrait accéder. Le point sublime désigne une sorte de paysage tout à fait extraordinaire. Ce fut le cas lors de la visite de Breton en Gaspésie. On pourrait l’appeler la Mecque du surréalisme, si vous voulez », poursuit Georges Sebbag.

Breton visite le Québec en 1944, l’année où le peintre Alfred Pellan le rencontre en Gaspésie. « On sait, entre autres, que c’est Pellan qui communiqua à Borduas sa copie du manifeste surréaliste. Lorsque Pellan revint de Paris, il avait ceci dans sa valise et c’est donc grâce à lui que Borduas put avoir accès au manifeste du surréalisme », raconte l’écrivain Gilles Lapointe, qui édita les lettres de Claude Gauvreau. écrit à André Breton, sans que ce dernier ne lui réponde personnellement. C’est aussi André Breton qui surnommait Jean Paul Riopelle « le trappeur supérieur », le voyant comme celui qui tend « pièges pour pièges ».

En 1944, la guerre fait rage en Europe, la France est occupée et les Alliés débarquent en Normandie. Dans Arcane 17, André Breton parle de la Gaspésie comme d’une région qui vit « un peu en marge de l’histoire », qui a gardé de la France « non seulement la langue où s’étaient établis toutes sortes d’anachronismes, mais aussi l’empreinte profonde des mœurs. Il ajoute : « Peut-être, aussi dramatique soit-il, le débarquement actuel de nombreux Canadiens français sur les côtes normandes contribuera-t-il à rétablir un contact vital, disparu depuis deux siècles. »

Les Québécois les plus proches d’André Breton et des surréalistes étaient Mimi Parent et Jean Benoit, deux signataires du Prismes oculairesun manifeste considéré par beaucoup comme une réponse au Refus global. « Jean Benoit est allé jusqu’à se faire tatouer le mot « Sade » au fer chaud lors d’une fête surréaliste », se souvient Lapointe. Il faut dire que le divin marquis figurait dans la liste des surréalistes dressée par Breton.

Borduas, quant à lui, prend ses distances avec le surréalisme. « D’abord, Breton refuse l’art non figuratif, poursuit Gilles Lapointe. Toute sa vie, il a refusé de reconnaître l’art non figuratif, l’art abstrait. Alors que, pour Borduas, au contraire, c’est la véritable voie pour accéder à l’inconscient. »

Les moqueurs ont surnommé André Breton « le pape du surréalisme », sans doute en raison de sa tendance à exclure sans appel certaines personnes. Aussi, à sa mort en 1966, le mouvement perdit son phare, mais aussi son fédérateur. « Tant que Breton était en vie, pour le groupe qui l’entourait, cela signifiait beaucoup », reconnaît Georges Sebbag. Mais il faut savoir qu’à partir des années 1930, il existait plusieurs groupes surréalistes partout dans le monde, notamment aux Canaries et au Japon, donc le côté international du surréalisme se manifestait aussi, évidemment, au niveau de l’art et des musées. »

A voir en vidéo

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

Related News :