Notre journaliste sillonne le Grand Montréal pour parler des gens, des événements ou des lieux qui font battre le cœur de son quartier.
À notre arrivée, l’artiste Nadia Myre travaille sur des piles de documents dans le coffre-fort de la Fondation Guido Molinari, qui occupe le bâtiment d’une ancienne banque. Le lendemain, l’inauguration de Chaque geste est/et politique.
Mais avant de parler de la captivante exposition présentée jusqu’au 22 décembre, rappelons l’histoire du 3290 rue Sainte-Catherine Est.
Un modèle unique
Le peintre Guido Molinari, décédé en 2004, a acheté l’immeuble du quartier Hochelaga-Maisonneuve en 1982 pour y habiter et y installer son atelier.
L’artiste née de parents italiens avait une « conscience historique », souligne Marie-Ève Beaupré, directrice générale et artistique de sa fondation. Avant sa mort, Guido Molinari a pris soin de créer une association à but non lucratif avec l’aide de l’avocat et collectionneur Maurice Forget. Son testament précisait que sa maison devait servir à présenter ses œuvres et celles d’autres artistes, mais aussi « avoir une vocation éducative au profit du public québécois ».
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Marie-Eve Beaupré affirme qu’elle et sa petite équipe sont aujourd’hui les gardiennes des lieux et de la collection qui comprend entre autres 1 800 œuvres de Molinari et quelque 750 d’autres artistes, dont Ellsworth Kelly., Barnett Newman, Serge Lemoyne, Marcelle Ferron, Betty Goodwin and Françoise Sullivan.
La Fondation Guido Molinari a un mandat différent de celui d’un musée traditionnel.
Notre mission est de créer des ponts entre les générations et de faire de l’histoire de l’art sur le terrain.
Marie-Eve Beaupré, directrice générale et artistique de la Fondation Guido Molinari
«Nous souhaitons offrir aux artistes la possibilité d’interagir avec notre collection et nos archives», ajoute la commissaire adjointe Camille Bédard.
La Fondation Guido Molinari vient également d’annoncer qu’elle accueillerait cette année le duo Virginie Laganière et Jean-Maxime Dufresne en résidence.
Le rôle de Fernande Saint-Martin
La Fondation met également un point d’honneur à honorer l’héritage de l’épouse de Molinari. Féministe avant l’heure, Fernande Saint-Martin a été journaliste, notamment à La presse. Elle a donné naissance au magazine Chatelaine, dirige le Musée d’art contemporain et forme des historiens de l’art en tant que professeur à l’Université du Québec à Montréal.
Elle et son mari fondent L’Actuelle, la toute première galerie canadienne dédiée à la peinture et à la sculpture non figuratives. « Une grande partie de la carrière de Guido Molinari repose sur le jeu de la couleur par l’abstraction, souligne Marie-Eve Beaupré. Comment l’œil perçoit-il la couleur ? »
Nadia Myre, son père et Guido Molinari
Lauréate du prestigieux prix Sobey en 2014, Nadia Myre est algonquine et membre de la Nation Kitigan Zibi Anishnabeg. Son père, le journaliste et syndicaliste Robert Myre, décédé en 2020, avait un lien avec Molinari : le nationalisme québécois.
La Fondation a invité Nadia Myre à explorer le contraste entre l’art engagé de son père à l’échelle provinciale et sociale, et la soif de Molinari de voir la scène artistique québécoise être reconnue internationalement, lui qui a représenté le Canada à la Biennale de Venise en 1968.
Lorsque Marie-Ève Beaupré a contacté Nadia Myre, cette dernière ne pensait pas qu’elle apprendrait ou révélerait autant de choses à travers les archives de son père. Elle partage avec lui dans son art une propension à « toujours aller vers ce qui est plus compliqué », plaisante celle qui tient par ailleurs actuellement sa première exposition monographique en France.
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Son père a rencontré sa mère dans les Territoires du Nord-Ouest. « Les gens y allaient pour disparaître », a-t-elle observé lors de ses recherches.
Dans le cas de Robert Myre, il s’agissait de dettes survenues quelques années après la publication de Poèmes et des chants de résistance. Comme il n’était pas autochtone, la mère de Nadia a perdu son statut en l’épousant sous ce qu’on appelle Loi sur les Indiens (elle et Nadia l’ont depuis retrouvé).
En ouvrant les cartons des archives de son père, Nadia Myre a eu la chair de poule à plusieurs reprises, et c’est quelque chose qu’elle souhaite depuis longtemps ressentir dans sa pratique. Comme un moment « somatique » de « vérité », confie-t-elle.
Je n’ai jamais pu lire les écrits de mon père, mais maintenant je le peux. J’ai une ouverture que je n’avais pas et je la sens présente.
Nadia Myre, fille de Robert Myre
Nadia Myre confie qu’elle avait sous-estimé l’héritage de son père en tant qu’auteur et éditeur. Dans l’exposition, on voit la machine à écrire de ce dernier, des articles de journaux, mais aussi sa marmite placée à côté de celle de Molinari. Tous deux ont été fabriqués par Céramique de Beauce, dont le concepteur était Jean Cartier, diplômé de l’École du Meuble. « Ce sont des objets qui ont une charge à la fois historique et émotionnelle », souligne Marie-Ève Beaupré.
L’exposition Chaque geste est/et politique couvre de nombreux thèmes, y compris la paternité, la décolonisation, la justice, l’activisme et l’importance de l’écriture. Il pose la question : de quelles histoires l’Histoire se souviendra-t-elle ?
Une excellente occasion de visiter la Fondation Guido Molinari.
Visitez le site de la Fondation