Visions alternatives Une perspective féminine. Entretien avec Marc Feustel

Visions alternatives Une perspective féminine. Entretien avec Marc Feustel
Visions alternatives Une perspective féminine. Entretien avec Marc Feustel

Marc Feustel est le commissaire de deux expositions phares de l’édition 2024 du T3 Photo Festival Tokyo : « Alternative Visions A Female Perspective » et « The Wall vs the Page ».

Commençons d’abord par l’exposition « Visions alternatives. Une perspective féminine. Quelle est sa genèse ?

En 2017, j’ai été invité par le T3 Photo Festival en tant que conférencier sur la perception occidentale de la photographie japonaise. J’ai été assez surpris de voir à quel point le public japonais s’intéressait à ce sujet. Puis Ihiro Hamayi, directeur du festival, m’a contacté pour que nous puissions imaginer une exposition autour du cinquantième anniversaire de l’exposition du MoMA « Nouvelle photographie japonaise ». C’est une exposition que j’ai beaucoup regardée ces dernières années, dans mon parcours de photographie japonaise d’après-guerre. L’idée n’est pas simplement de souffler les bougies, mais de porter un regard rétrospectif sur cette exposition, son influence dans le temps et de déconstruire les différents éléments de l’exposition. Cette exposition reposait sur un commissariat particulier : l’idée de synthétiser la photographie japonaise autour de 15 artistes à une époque où l’information circulait difficilement. Non seulement 15 artistes, mais 15 artistes contemporains, pour la plupart jeunes.

Cependant, il existe des défauts et des lacunes.

Oui, je voulais regarder ce qui n’avait pas été montré à ce moment-là. J’ai proposé deux concepts. La première basée sur le fait qu’il n’y avait aucune femme photographe parmi les 15 photographes présentés. Il fallait donc créer une exposition qui se concentrerait sur les femmes photographes actives à la même époque, qui auraient pu être considérées. L’idée n’était pas de trouver des artistes totalement inconnus, mais des artistes déjà publiés dans des magazines, qui avaient déjà conçu un livre, qui avaient déjà exposé, qui existaient d’une certaine manière dans le monde de la photographie. ‘ère.

Pourquoi l’exposition du MoMA n’a-t-elle présenté aucune femme ?

Le monde de la photographie au Japon était entièrement dominé par les hommes. Sayuri Kobayashi, du Musée d’art moderne de Tokyo, a mené des recherches sur la liste des photographes professionnels inscrits auprès de la Société japonaise de photographie professionnelle. En 1966, six seulement étaient des femmes sur plus de 400. En 1974, elles n’étaient que 27 sur 950.

Cependant, certains artistes sont apparus dans Camera Mainichi, édité par Shōji Yamagishi. Ce que nous ne savons pas, ou ce que je ne sais pas, c’est dans quelle mesure John Szarkowski et Shoji Yamagishi, les commissaires de l’exposition du MoMA, considéraient le travail de ces photographes comme mineur par rapport à celui des hommes. Mais il y avait à l’époque des critiques assez virulentes, aux Etats-Unis. Et il est impensable d’imaginer, compte tenu du contexte social et politique des années 1970, qu’ils n’y aient pas pensé.

Parmi les six artistes exposés au T3 Photography Festival Tokyo — Hisae Himai, Tamiko Nishimura, Toshiko Okanoue, Toyoko Tokiwa, Hitomi Watanabe, Eiko Yamazawa — l’un d’eux était-il dominant, comme Moriyama à son époque ? ?

Ce qui est assez frappant, c’est que tous ces artistes étaient différents les uns des autres. Ils incarnent une diversité de pratiques très impressionnante. A cette époque, ces photographes n’avaient le plus souvent réalisé qu’un seul projet, un livre, voire une exposition. Elles n’avaient pas pu démarrer une carrière, et ces projets avaient probablement nécessité un effort assez colossal pour convaincre un éditeur de publier un livre d’une femme sur un sujet. La comparaison avec Moriyama n’est pas possible, et rappelons que ce dernier n’avait présenté en 1974 qu’une seule série par rapport à sa production assez diversifiée, quand Shomei Tomats. Dans notre exposition, Eiko Yamazawa était peut-être la seule à avoir commencé une carrière plus étendue. Elle a voyagé aux États-Unis, y a travaillé avec un grand photographe américain, puis a ouvert un studio photo tout en jouant un rôle dans l’éducation et en devenant une figure du monde de la photographie, encourageant notamment de nombreuses femmes à se faire photographier.

Toshiko Okanoue ou Hitomi Watanabe, pour ne citer qu’eux, pourraient-ils vivre de leur métier en 1974 ?

Il y a ici deux cas bien différents. La série présentée dans l’exposition de Watanabe capture les manifestations étudiantes de 1968 et 1969 au Japon, qui comptent parmi les manifestations les plus violentes de l’histoire japonaise moderne. Elle a commencé ses études au Tokyo College of Photography en 1967. Watanebe a commencé à photographier dans les années 1950, mais a arrêté tout son travail artistique après s’être mariée… C’était tout.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le travail d’Okanoue, très proche du surréalisme ?

Elle revendique clairement l’influence du surréalisme. Elle n’est d’ailleurs pas la seule présente dans l’exposition, avec Imai Hisae. Le Japon a toujours été très intéressé par les mouvements artistiques nés à l’étranger. Il s’est beaucoup inspiré de ce qui se passait en Occident, en Europe et aux États-Unis. Même lorsque le pays était fermé sur lui-même, il y avait toujours une volonté d’essayer de comprendre ce qui se développait ailleurs. La photographie en est l’incarnation. Okanoue était proche du surréalisme littéraire. Elle n’est pas photographe, elle ne réalise pas ses propres images, mais utilise celles existantes, tirées de magazines occidentaux comme La vie, Vogue. Ses œuvres sont tout à fait en phase avec l’image véhiculée dans ces magazines de ce que devrait être la femme. Aujourd’hui, de nombreux artistes ne créent pas d’images, mais utilisent des images existantes. Mais au Japon, à cette période, c’est unique en son genre.

Quel est le deuxième projet développé avec le festival ?

L’autre exposition est un autre constat. La « Nouvelle photographie japonaise » au MoMA ne présentait presque aucun livre. Pourtant, le livre photographique était absolument central au Japon à cette époque. L’idée m’est venue de créer une salle de lecture, pour présenter les livres de la série exposée à New York en 1974. Je dis livres, mais aussi magazines, qui restaient incontournables à cette époque. La grande majorité des livres proviennent de l’extraordinaire collection d’Isawa Kōtarō, grand collectionneur de livres photographiques et fondateur du magazine. Déjà vu. Il est aujourd’hui propriétaire du café Kawara Coffee Labo, où une grande partie de sa collection est en accès libre, ouverte à la lecture. Le livre est fait pour être consulté, quelle que soit la préciosité du livre, le lecteur doit pouvoir le tenir, pouvoir tourner les pages, le feuilleter, le regarder et découvrir comme une exploration et non comme un objet fixe.

Nous présentons également dans une autre salle les nouvelles éditions ou fac-similés de ces livres originaux parus ces dernières années.

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