Le Met de New York vient d’acquérir cette toile du XIXe siècle, dont les restaurations ont révélé le portrait d’un adolescent noir, caché sous une couche de peinture. Une découverte majeure pour l’histoire politique et culturelle américaine.
Par Charlotte Fauve
Publié le 16 août 2023 à 18h40
Mis à jour le 17 août 2023 à 11h38
Jenfants de rois, sous le ciel gris plombé de la Louisiane. Pendant près d’un siècle, ce tableau attribué à un portraitiste français, Jacques Amans (1801 – 1888), abandonné dans un sous-sol d’un musée d’art de la Nouvelle-Orléans avant d’être vendu aux enchères, cachait un secret : un quatrième protagoniste, à qui un manteau de la peinture s’était effacée de la scène rurale, ne laissant transparaître qu’une ombre. Le recoupement obstiné d’un collectionneur américain d’origine créole, Jeremy K. Simien, allié à une historienne louisianaise, Katy Shannon, a permis au tableau, après deux restaurations, de retrouver le visage et le nom du personnage effacé. Celui d’un adolescent noir pensif, adossé à un chêne – Bélizaire, esclave au service du richissime banquier Frederick Frey, que le peintre parisien Jacques Amans, portraitiste renommé de la Nouvelle-Orléans, représenta en 1837, peu après son arrivée sur les rives du Mississippi.
Qu’est-ce qui fait de Bélizaire et les enfants Frey sans doute le premier portrait naturaliste d’un esclave noir nommé, dans un paysage du sud des États-Unis. Le prestigieux Metropolitan Museum of Art (Met), l’équivalent new-yorkais du Louvre, qui vise à corriger les manques et les asymétries d’une collection de plus de deux millions d’œuvres d’art, vient d’acquérir cette pièce d’exception. Un achat d’autant plus important que le tableau s’exprime à travers sa composition “la tension raciale nuancée de l’époque, mettant en scène un Bélizaire de quinze ans perdu dans ses pensées et subtilement séparé des enfants de sa baveuse blanche”, dit la conservatrice Elizabeth Kornhauser.
Une enquête à poursuivre
“De telles oeuvres sont rares”, confirme l’historienne de l’art Cécile Debray, directrice du Musée Picasso et co-commissaire en 2019 de l’exposition, pionnière en France, Le modèle noir de Géricault à Matisse, au Musée d’Orsay. ” Les esclaves sont en effet peu représentés, sauf au XVIIIe siècle.e siècle dans des peintures de style orientaliste, qui montrent l’esclave noir dans la position du serviteur – une manière pour les aristocrates et les grands bourgeois d’exprimer une position sociale. » Ce qui n’est pas le cas de Bélizaire. Dans ce portrait de groupe relativement conventionnel, il occupe une place étonnante pour l’époque, comme en surplomb, protecteur de la fratrie – les deux fillettes représentées, Elizabeth et Léontine Frey, disparaîtront avant même que l’huile ne sèche sur la toile, emportées par fièvre jaune.
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« La pose du jeune homme noir, très romantique, en retrait, donne presque l’impression qu’il a été peint à une autre époque. Il y a donc une enquête à poursuivre, passionnante pour le Met, qui fait entrer dans la collection une peinture dont l’histoire reste à écrire, avec des enjeux politiques, culturels et d’histoire de l’art. conclut Cécile Debray. “ Bélizaire était en effet couvert au tournant du 19èmee siècle, qui en dit long sur le racisme visiblement exacerbé, et sur la place des modèles noirs dans la peinture. » Pour l’instant, la piste magistralement suivie par l’historienne louisianaise Katy Shannon depuis le fond fêlé de l’œuvre se perd en 1861, à l’aube de la guerre de Sécession, qui mit fin à l’esclavage aux États-Unis. Qu’est devenu alors Bélizaire ? Quelque deux cents ans après sa naissance, le Met exposera son portrait à l’automne.
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