L’Europe est sous le choc des attaques répétées dont elle est victime d’Elon Musk et de Donald Trump. Tous deux incarnent, chacun à leur manière, les nouveaux défis auxquels elle peine à répondre. Musk, avec ses innovations disruptives, agit comme un révélateur de ses faiblesses structurelles, tandis que Trump, symbole d’un monde transactionnel et intransigeant, souligne son inadéquation à une nouvelle réalité géopolitique. Ces chiffres, loin d’être des anomalies, mettent en évidence un modèle européen vieillissant, incapable de rivaliser en termes d’innovation et de s’affirmer face à des adversaires résolus. Ce constat appelle une réflexion urgente : l’Europe doit sortir de son aveuglement et engager des réformes profondes pour éviter l’insignifiance.
En 1806, l’armée prussienne est mise en déroute par Napoléon lors des batailles d’Iéna et d’Auerstaedt. Le choc fut tel en Prusse qu’il poussa la monarchie à engager un profond mouvement de réforme. Elle comprend que la débâcle est le produit d’un modèle obsolète face à un ennemi perturbateur. Sans hésitation, elle fait table rase du passé : exit la doctrine militaire et exit les généraux vieillissants qui en étaient les hérauts. Place à un groupe de jeunes officiers réformateurs, dont Carl von Clausewitz, qui sont promus à des postes à responsabilité. La réforme ouvre la voie à des approches innovantes qui permettront à la Prusse, puis à l’Allemagne, de redevenir rapidement une grande puissance et d’écraser la France lors de la guerre de 1870. L’innovation a changé de camp.
Un lent glissement vers l’insignifiance
Si l’Europe n’a pas subi de défaite militaire, elle se retrouve néanmoins dans une situation comparable à celle de la Prusse en 1806 : enfermée dans un modèle dépassé et prisonnière d’un cercle vicieux qu’elle a elle-même engendré. L’innovation et la croissance sont étouffées par une réglementation excessive, la productivité s’effondre et l’Europe s’appauvrit, étant absente des secteurs à forte valeur ajoutée comme l’IA, les technologies de l’information ou la biotechnologie. La seule exception est l’énergie nucléaire, sauvée à la dernière minute par la pression géopolitique après des décennies de démantèlement. Ses industries historiques – agriculture, automobile, spatial –, fragilisées par des choix idéologiques, ne peuvent plus financer l’avenir. Cet affaiblissement, alimenté par la dette créée par un mode de vie insoutenable, mine progressivement le système social et l’influence politique de l’Europe, qui glisse inexorablement vers l’insignifiance. Pendant ce temps, des adversaires déterminés et perturbateurs, comme la Chine, les islamistes et maintenant les États-Unis, remodèlent l’ordre mondial. Face à cela, l’Europe réagit très différemment de la Prusse de 1806.
Aveuglément
En effet, ce qui frappe n’est pas l’ampleur des problèmes, mais le manque de sensibilisation et l’aveuglement à leur égard. Pour ne prendre qu’un exemple, le chancelier allemand Olaf Scholtz a récemment estimé que les déclarations de Trump étaient « incompréhensibles » pour les dirigeants européens. Et si c’était précisément là le problème : l’incapacité des dirigeants européens à comprendre que le monde change radicalement et rapidement ? Tous les effondrements viennent d’un enfermement dans ses modèles et donc d’une incapacité à donner du sens à un phénomène nouveau. Avec Trump, nous entrons dans un monde transactionnel, où seul l’équilibre des pouvoirs comptera. C’est le bouleversement du monde provoqué par les Alliés après la Seconde Guerre mondiale. C’est désormais chacun pour soi. Face à cela, les dirigeants européens sont comme des lapins au milieu de la route, aveuglés par les phares de la voiture qui approche à grande vitesse.
Erreur de jugement
À ce manque de compréhension s’ajoute une erreur de jugement : pour beaucoup la cause est comprise, c’est la faute d’Elon Musk. Un ministre envisage d’interdire X et les rapports hostiles se multiplient dans les médias. Mais Musk n’est pas le problème, mais le symptôme du problème européen. Nous ne sommes pas faibles parce qu’il nous attaque ; il nous attaque parce que nous sommes faibles. Il agit comme un révélateur. Gérons-le du mieux que nous pouvons pour les temps à venir, mais veillons à ce qu’il ne constitue pas une distraction, ni même un leurre utilisé par les dirigeants européens. Si, dans le contexte transactionnel, il ne faut pas s’interdire a priori quelques mesures de rétorsion ici et là, cela ne peut en aucun cas se substituer à une politique. D’une part parce que l’Europe est désormais trop faible et ne peut donc plus peser sur ses adversaires, et d’autre part parce que cela ne résoudrait pas son problème fondamental qui est justement cette faiblesse. C’est là-dessus que nous devons concentrer nos efforts.
Réagir
Les conséquences des choix catastrophiques faits par l’Europe au cours des vingt dernières années se font déjà sentir, et nous n’en sommes qu’au début. Il est déjà très tard pour réagir, mais il n’est jamais trop tard. Walter Isaacson, l’un des biographes d’Elon Musk, a récemment fait la remarque suivante : « Ceux qui ne veulent pas qu’Elon soit si puissant devraient aussi apprendre à faire les choses. » Comme la Prusse en 1806, et sans attendre de véritables catastrophes, l’Europe doit tirer les leçons de l’échec de son modèle. Elle doit engager rapidement des réformes pour mettre l’innovation au cœur de son action. Elle pourra ainsi rebondir et redevenir une grande puissance. Alors, et alors seulement, Donald Trump et Elon Musk seront plus ouverts à la discussion.
Une version anglaise de cet article est disponible ici
✚ Voir mon article sur la réforme de l’armée impériale allemande : construire une organisation face à l’incertitude : le modèle de leadership de l’armée allemande d’avant-guerre. Voir aussi : Les causes du déclin de la France : la leçon du modèle de Toynbee.
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