Alors que la dette privée retient toute l’attention, certaines solutions financières semblent avoir échappé à l’analyse publique. Parmi ceux-ci figure l’affacturage, un mécanisme permettant aux entreprises de céder leurs factures à un tiers. Système par lequel une entreprise avance les fonds nécessaires pour couvrir les besoins de trésorerie d’une autre entité, tout en assumant également la responsabilité du recouvrement auprès des débiteurs.
Pour mieux comprendre cet outil et ses avantages, nous avons rencontré Marc-André Pépin, ancien vice-président de JP Morgan Londres et New York, et directeur général d’Investissements financiers Polaris, ainsi que Célestin Pépin, gestionnaire d’investissement de la même entreprise.
Pour commencer, pourriez-vous nous expliquer plus précisément ce qu’est l’affacturage ?
Marc-André Pépin : L’affacturage, comme vous l’avez mentionné, est une solution permettant à une entreprise d’accéder rapidement à des liquidités. Concrètement, dans notre cas, cela signifie que nous achetons des créances détenues par des prestataires de soins, créances qui seront ensuite réglées par les caisses d’assurance maladie. Notre activité se concentre principalement sur les cliniques privées, ainsi que sur le marché américain.
Quel avantage les cliniques privées trouvent-elles à recourir à l’affacturage ? Quels problèmes de liquidité justifient-ils d’accepter les frais d’un intermédiaire pour régler leurs factures ?
Marc-André Pépin : L’affacturage permet aux cliniques d’accéder plus rapidement à leurs fonds, et ainsi de maintenir leur activité sans avoir recours à l’endettement. L’autre avantage est que c’est un moyen de financement qui évolue avec leur croissance, contrairement aux prêts traditionnels qui sont généralement fixes.
Célestin Pépin : L’un des principaux défis auxquels les cliniques médicales sont confrontées dans leur gestion quotidienne est le délai de paiement des compagnies d’assurance. En règle générale, les cliniques ne disposent que d’environ un mois de liquidités, tandis que les assureurs mettent souvent beaucoup plus de temps à effectuer les paiements. Cet écart place fréquemment les cliniques dans une situation de tension financière, les obligeant parfois à limiter leur capacité d’accueil faute de pouvoir avancer les frais nécessaires au traitement des patients. Certes, l’affacturage génère des coûts, mais cela leur permet d’améliorer leur trésorerie. Les cliniques peuvent ainsi augmenter leur capacité opérationnelle, accueillir plus de patients et ainsi générer des revenus plus élevés. Les gains obtenus en termes d’efficacité et de croissance compensent donc les coûts associés.
Quelles sont les conséquences concrètes du manque de liquidités dans le secteur des cliniques privées ?
Marc-André Pépin : Le manque de liquidités a des répercussions directes et alarmantes sur la qualité des soins et, dans certains cas, sur la survie des patients. Dans le cas des soins d’urgence, un flux de trésorerie insuffisant peut augmenter considérablement les taux de mortalité. Car si une clinique ne dispose pas des moyens financiers nécessaires pour initier les traitements, ceux-ci sont tout simplement reportés ou annulés. Prenons un cas précis : pour certains cancers, un retard de traitement peut entraîner une augmentation de plus de 25 % du taux de mortalité à trois mois. Comme le mentionne Célestin, plus généralement, ce manque de fonds entraîne des délais importants, puisque les cliniques doivent d’abord disposer des ressources nécessaires pour couvrir les frais de traitement avant d’être remboursées par les assurances. Une situation intenable qui impacte aussi bien les patients que les professionnels de santé.
Comment fonctionne ce processus d’investissement ? Quelles sont les différentes étapes ?
Célestin Pépin : Tout d’abord, nous identifions et ciblons les cliniques qui répondent à nos critères d’investissement. Ensuite, nous effectuons des due diligences approfondies, comprenant une analyse financière, une revue des contrats liant les cliniques aux assureurs et une vérification de leur conformité médicale. Si cette évaluation est concluante, nous établissons un contrat d’affacturage, généralement pour une durée de 1 à 3 ans. Tout au long de cette collaboration, nous suivons en permanence la situation financière des cliniques, les taux de remboursement pratiqués par les assureurs et la qualité des créances pour garantir une relation solide et durable.
Marc-André Pépin : Avant toute acquisition, nous obtenons également une confirmation formelle de la compagnie d’assurance indiquant que la facture sera prise en charge et payée. Cette validation s’effectue via des centres de compensation, qui jouent un rôle essentiel en vérifiant l’exactitude des factures, en identifiant d’éventuelles surfacturations et en réduisant les risques de fraude. En complément de l’analyse réalisée par les chambres de compensation, nous effectuons une analyse complémentaire interne et complète, avec nos propres critères. Une fois toutes ces étapes validées, nous achetons la facture à prix réduit.
Quel produit d’investissement proposez-vous aux investisseurs ? Quelles sont ses caractéristiques en termes de rendement, de liquidité et de tarification ?
Marc-André Pépin : Nous proposons aux investisseurs qualifiés ou professionnels deux options principales : investir via la titrisation sous la forme d’une obligation cotée et cotée sur une bourse européenne reconnue, ou via un fonds d’investissement dédié. Les obligations cotées sont par exemple éligibles à l’assurance vie en France, ce qui les rend particulièrement attractives dans ce cadre fiscal. En termes de performance, les rendements nets attendus s’élèvent actuellement à environ 10% par an. Ce rendement est d’autant plus intéressant que les débiteurs des créances sont majoritairement des compagnies d’assurance notées Investment Grade, ce qui confère au produit un excellent profil risque/rendement. En termes de diversification, cet investissement est peu corrélé aux autres classes d’actifs financiers traditionnels, offrant ainsi une réelle opportunité d’équilibrer un portefeuille. L’horizon recommandé pour ce type de placement est de trois ans, ce qui en fait un placement à moyen terme bien adapté aux stratégies diversifiées.
En ce qui concerne les rendements, certains experts suggèrent que la façon dont nous les abordons doit évoluer. Car avec une inflation élevée, un rendement net de 5% est quasiment neutralisé par la perte de pouvoir d’achat, et ce n’est qu’à partir de 7% net qu’on fait réellement des gains. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, ce chiffre représentait une excellente performance. Ce qu’il faut donc lire entre les lignes de telles déclarations, c’est qu’il existe une tendance des fonds d’investissement et des sociétés de gestion à prendre des risques beaucoup plus importants qu’auparavant ?
Marc-André Pépin : L’inflation constitue un défi majeur pour les investisseurs car elle réduit les rendements réels. Elle pousse en effet les gestionnaires et les investisseurs à viser des rendements plus élevés, ce qui implique nécessairement de prendre plus de risques. Cette situation nécessite une approche plus rigoureuse de la part des investisseurs : ils doivent privilégier des produits et des allocations qui non seulement s’adaptent à l’inflation, mais peuvent également en bénéficier. Ces options incluent les matières premières ou certains segments de l’immobilier, qui ont tendance à mieux performer en période d’inflation. Dans notre entreprise, par exemple, nous proposons une stratégie à rendement fixe qui surpasse largement les taux d’inflation actuels, tout en offrant un profil risque/rendement équilibré.
Cependant, comme vous le suggérez, une tendance inquiétante se dessine : de nombreux fonds et gestionnaires se concentrent exclusivement sur les rendements bruts pour compenser l’inflation, au détriment d’une évaluation approfondie des risques. Les produits plus complexes, comme les transferts de risques synthétiques, offrent des rendements attractifs, mais comportent des risques considérables, notamment pour les investisseurs qui absorbent les premières pertes. Cette prise de risque effrénée n’est pas sans rappeler les excès observés avant la crise de 2008. Face à cette dynamique, il est impératif de rester vigilant et de ne pas sacrifier la prudence au profit des gains à court terme. Une stratégie à long terme, impliquant des investissements en dette privée ou en capital-investissement, peut offrir des perspectives intéressantes, mais il s’agit toujours d’une attente de rendement et non d’une garantie. D’un rendement attendu, pas d’un gain.
Pour conclure, quelles sont les perspectives du marché de l’affacturage ?
Célestin Pépin : L’affacturage représente un marché incontournable en Europe, où environ 12% du PIB est affacturé chaque année. Il s’agit d’une industrie mature, avec des méthodes perfectionnées et largement adoptées depuis des siècles. Aux États-Unis, même si le marché de l’affacturage est encore plus restreint, il connaît une forte croissance, notamment dans des secteurs clés comme la santé. Cette différence s’explique en partie par les structures économiques et les modèles économiques. En Europe, l’affacturage est utilisé par une grande variété d’entreprises et s’inscrit dans une tradition bien établie de gestion des liquidités. Aux États-Unis, le secteur de la santé, majoritairement privé, offre des opportunités spécifiques en raison de sa croissance rapide, notamment en raison du vieillissement de la population et de la demande accrue de soins médicaux.
Pour les acteurs européens, il existe une réelle opportunité de transférer sur le marché américain des méthodes éprouvées et des savoir-faire développés en Europe. Cela permettrait de proposer aux investisseurs européens des produits basés sur des actifs américains, tout en capitalisant sur la forte demande et les perspectives de croissance aux États-Unis. Enfin, plusieurs facteurs pourraient stimuler davantage le développement de l’affacturage, notamment la digitalisation des processus, qui réduit les coûts et améliore l’efficacité, ainsi que l’adoption croissante de solutions de financement alternatives dans un contexte où les entreprises recherchent plus de flexibilité face à la crise économique. incertitudes. Le secteur est donc bien positionné pour une croissance durable des deux côtés de l’Atlantique.
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