Je suis dans ma classe de CP, la cloche va bientôt sonner et j’attends l’arrivée de mes élèves. Dehors, le temps est maussade et la décoration, pour le dire poliment, n’a aucune chance de figurer un jour sur une carte postale. Le béton paraît de plus en plus gris (si cela est possible), même au soleil. Les timides rayons de novembre vous invitent à fermer les rideaux sur ce quartier populaire (dans le mauvais sens du terme).
Naïvement ou par évitement, je n’ai jamais associé ces appartements aux cocons de mes étudiants. Je sais bien que ce n’est pas toujours agréable pour eux à la maison. Afin d’ajouter un peu de couleur naturelle à cet espace, j’ai placé beaucoup de plantes autour de mes fenêtres (qui s’ouvrent à peine). Depuis, il est interdit de fermer les rideaux. Nous voulons laisser la photosynthèse faire son travail.
En parallèle, j’approvisionne mes élèves en vitamine D, et j’ose ainsi espérer égayer leur journée, avant de les ramener à leur (parfois trop sombre) réalité. On vient de finir un cours sur le son « CH », qui fait chut, comme le mot chute. « Oui, exactement comme le son que je ne cesse de te répéter quand je demande le silence complet, bravo, Jules ! »
Après le cours, je demande aux élèves de réaliser des « c » et des « h », avec de la pâte à modeler, des lettres minuscules et majuscules, pour former ensuite « CH ». Cela pratique la motricité fine et me donne une pause. “M. Simon, c’est comme l’enseigne du Canadien, CH. Oui, tu es forte, belle observation, bravo, Maria !
Lorsque mes élèves travaillent en silence (ce qui n’arrive jamais complètement), je joue de la musique pour éveiller une autre partie de leur cerveau. Toutes sortes de musiques : d’Alexandra Stréliski à Fleetwood Mac, en passant par Vincent Vallières, Bob Dylan, Dumas ou les Beatles. Ce matin j’ai terminé la séance avec les Black Keys. Oui, je suis un professeur de première année qui joue du rock à ses élèves. En vinyle aussi. Mauvais cinglé.
J’ai un élève, donnons-lui le nom fictif d’Éric, qui a décidé de ne pas faire les lettres « CH », mais un L majuscule en forme de… pénis. Je m’en suis vite rendu compte, car les petits amis d’Eric le trouvaient tellement, mais tellement drôle, tandis que plusieurs filles de la classe se mettaient à crier en chœur avec un son si strident que les sixièmes de l’étage ont dû l’entendre.
J’interviens rapidement en disant à Eric que je ne pense pas que ce soit la consigne que j’ai donnée et je lui retire sa pâte à modeler en lui demandant de réfléchir à son geste avant que nous puissions en parler sereinement tous les deux.
Bien que ce ne soit pas (pour le moment) un geste hyper sérieux, je ne peux pas banaliser ce pénis en majuscules. Il est important de briser ce type de comportement dès le plus jeune âge, car, si rien n’est fait, ce sont souvent des petits gestes qui finiront par être normalisés. Et par conséquent, cela devient plus dommageable à long terme.
J’ai observé lors de mes premières années dans une école primaire que je suis pratiquement (pas toujours, mais presque) le seul homme dans le corps enseignant. Pour quoi ? À mon avis, nous devrions trouver davantage d’hommes dans le secteur de l’éducation, et pas seulement dans le secondaire ou comme professeurs d’éducation physique.
Non pas parce que les femmes ne font pas les choses correctement (au contraire, elles y excellent !). Il faut tout un village pour élever un enfant, non ?
En fin de compte, lorsque la période de jeu libre tant attendue du vendredi bat son plein, j’ai généralement besoin d’un peu de calme et de tranquillité. Alors je baisse l’aiguille L’heptade d’Harmonium. Je regarde mes élèves s’amuser et je remarque que le petit Eric s’apprête à fabriquer un autre pénis, cette fois en LEGO. Je n’ai même pas besoin de parler : un simple regard lui rappelle notre conversation du jour. Il se contente de construire une maison. “Bon choix, Eric,” dis-je en lui faisant un clin d’œil.
“Non, mon petit gars, non. Ce n’est pas la même façon de procéder, non », chante Serge Fiori dans comme un fou. Je ris dans ma barbe. La semaine prochaine, nous nous intéresserons au son « ou », comme dans « J’t’aime comme un fou-ou-ou-ou », de Robert Charlebois.
C’est aussi à cela que sert l’école, faire réfléchir les élèves sur différentes matières et les amener à réfléchir par eux-mêmes, pour que le jour où la petite Noémie dira « non » au petit Éric, dit Éric se souvienne de ce que M. Simon lui avait expliqué consentement à la petite école.
Sachant à quel point le ministère espère un changement dans le discours sur l’éducation, pourquoi ne pas faire de la publicité pour attirer davantage de garçons vers l’enseignement ? Cela pourrait introduire différents modèles de masculinité dans les salles de classe afin de garantir qu’ils ne deviennent pas toxiques à mesure que nous vieillissons. Cela pourrait également réduire la probabilité qu’une jeune fille préfère être dans la forêt avec un ours plutôt qu’avec un homme.
J’ai deux petits garçons à la maison, je m’efforce de leur montrer les bonnes manières afin de faire sourire la belle Darla plutôt que de l’effrayer. Après tout, j’ai beaucoup de petits morveux dans ma classe, de vrais mâles Luzerne !
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