Liban, rapport
Les bombes ont finalement cessé. Le 27 novembre à 4 heures du matin, un accord de cessez-le-feu est entré en vigueur entre le Hezbollah, le Liban et Israël, parrainé par les États-Unis. Alors que des milliers de familles prennent déjà la route pour rentrer triomphalement chez elles, l’heure est au bilan des dégâts. Les survivants qui sont rentrés au Sud-Liban ont trouvé un paysage de destruction.
Les ruines s’étendent à perte de vue. Le centre de Nabatieh, grande ville du sud du Liban, a été pulvérisé par des bombardements incessants. Une enseigne de pharmacie éventrée trône toujours au milieu des décombres, des chiens errent, seule trace de vie dans un paysage désolé. Sur la route, immeubles effondrés et oliviers calcinés accueillent les rares visiteurs qui osent encore s’aventurer dans cette ville sacrifiée.
Bienvenue au Sud-Liban, théâtre d’une vaste offensive aérienne puis d’une invasion terrestre israélienne depuis le 23 septembre. Cela marque un tournant sanglant dans la guerre entre les Forces de défense israéliennes (FDIl’armée de l’État d’Israël) au Hezbollah depuis le 8 octobre 2023, au lendemain du début de la guerre à Gaza. Depuis cette date, plus de 3 800 personnes ont été tuées et 1,5 million de personnes déplacées par les attaques israéliennes au Liban, contre 115 tués et 60 000 déplacés en Israël.
Parallèlement aux bombardements israéliens sur le Liban, des lieux de vie et du patrimoine sont attaqués. Nabatieh subit de plein fouet cette stratégie de destruction israélienne, ainsi que 29 villages et 40 000 habitations du sud Liban, entièrement dynamités par les forces armées israéliennes.FDI.
A quelques kilomètres au sud, tout près de la frontière israélienne, se trouve le village chrétien de Deir Mimas. Auparavant épargné par la guerre car opposé au Hezbollah, il est depuis une semaine en première ligne, avec de violents combats entre combattants du Hezbollah. « Parti de Dieu » et des soldats israéliens.
C’est de là que vient Rose Bechara-Perini, fondatrice de Darmmess, une petite entreprise sociale qui vend l’huile d’olive réputée du village dans le monde entier. « Depuis 2019, nous avons investi énormément de temps et d’énergie dans notre projet, mais nous avons tout perdu lorsqu’Israël a bombardé nos installations. »» se lamente-t-elle au téléphone.
Elle ajoute : « C’est un demi-million de dollars de pertes, entre les machines et la récolte perdue… Mais le plus dur, c’est le choc émotionnel. » Cependant, elle avait déplacé ses machines de Deir Mimas vers un village plus éloigné, pensant qu’elle serait en sécurité. Rien ne laissait penser qu’un missile israélien toucherait le hangar le 24 septembre.
Un potager d’espoir
D’autres ont eu encore moins de chance : un agriculteur a été tué par un drone alors qu’il récoltait ses olives dans un village frontalier le 14 novembre. Au total, plus de 2 000 hectares de champs, 65 000 oliviers et hectares de forêt ont brûlé sous les bombes israéliennes en treize mois. de conflit, selon le gouvernement libanais. Militants et chercheurs dénoncent même une véritable « écocide ». Face à la violence des bombardements, des milliers d’agriculteurs ont fui leurs terres, laissant 12 000 hectares à l’abandon.
C’est le cas de Mostafa Sayyed, la quarantaine, qui a dû quitter Beit Lif, village frontalier, dès les premiers bombardements en octobre 2023. « J’ai tout perdu. Ma maison a été bombardée, mes champs et vergers ont brûlé, la plupart de mes vaches et moutons sont morts »dit-il.
Depuis plus d’un an, il vit dans une salle de classe de l’école technique de Tyr avec sa femme et ses trois enfants, les matelas empilés les uns sur les autres et les vêtements accrochés au tableau vert. « C’est long de vivre douze mois dans ces conditions »il soupire. Un de ses seuls réconforts : le potager qui fleurit sous les fenêtres de l’école.
« Cela me fait beaucoup de bien de venir ici, de retrouver mes habitudes agricoles, de remettre les mains à la terre. Ça vide l’esprit »témoigne-t-il en se promenant entre les arbres du verger et les plants de laitue, d’oignon et de chou qui poussent en hiver.
« C’est un projet qui date de loin, mais nous avons dû l’abandonner avec l’escalade israélienne. Nous avons finalement décidé de continuer il y a une semaine, car l’association qui venait livrer des repas aux personnes réfugiées ici ne venait plus. »explique Mortada Mhanna, coordinatrice de la cellule de crise de la commune de Tyr, marchant à ses côtés.
En effet, la cité antique fondée il y a plus de 7 000 ans, surnommée « mère de toutes les villes » par Alexandre le Grand et « épouse de la mer » par ses habitants, se retrouve elle aussi sous un déluge de feu.
Des magasins aux vitrines carbonisées, un front de mer jonché de débris, des explosions constantes de missiles et d’obus d’artillerie : nul doute que le front n’est pas loin. Seuls quelques rares commerces sont encore ouverts, à leurs risques et périls. Les familles qui ont trouvé refuge à l’école sont depuis coupées du monde. « Heureusement, ce potager nous permet de nourrir tout le monde : nous avons ouvert une cuisine commune et servons 800 repas par jour »a expliqué Mortada Mhanna.
Attaques « volontaire » contre l’environnement
L’armée israélienne nie avoir pris pour cible des infrastructures civiles, des champs ou la nature. « Les Forces de défense israéliennes opèrent en stricte conformité avec le droit international. Il faut souligner que le Hezbollah implante illégalement ses moyens militaires dans des zones civiles densément peuplées et exploite cyniquement les populations. »a déclaré son bureau de presse dans un e-mail à Reporterre.
Ceci est fermement démenti par les militants écologistes libanais. « Israël attaque délibérément la nature, l’agriculture et les écosystèmes dans lesquels vivent les gensnote Angela Saadé, co-fondatrice de Jibal, une association libanaise qui promeut la justice environnementale. Leur objectif pourrait être de chasser les agriculteurs et les habitants pour faire du Sud une zone tampon, voire de le coloniser. »
Comme à Gaza et en Cisjordanie, Israël déploierait un large éventail de tactiques pour créer un le no man’s land. « Un agriculteur du village frontalier de Kfar Kila, avec qui nous travaillons, nous a raconté que les soldats ont non seulement fait sauter sa maison, mais ont également abattu ses oliviers. Cela va donc au-delà des dommages collatéraux et des objectifs purement militaires : il y a une volonté de s’attaquer au vivant. »elle croit.
Encore marginales il y a quelques années, les revendications de colonisation du Sud-Liban, soutenues par des groupes israéliens d’extrême droite, se font entendre au sein du gouvernement israélien, à travers les ministres d’extrême droite Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir.
L’association Jibal, qui accompagne les petits agriculteurs dans leur transition vers le bio, s’inquiète également de la pollution résultant des bombardements israéliens. « Le phosphore blanc et les métaux lourds provenant des bombes affecteront la Terre pendant des décennies. Il faut des années pour créer une Terre vivante et saine, et seulement quelques secondes pour la détruire. Désormais, les agriculteurs ne savent plus si leurs produits sont contaminés »dit Angela Saadé. Même si les études sur les effets à long terme font cruellement défaut, on sait seulement que le phosphore blanc peut continuer à brûler pendant des décennies et que les munitions peuvent déchiqueter les enfants, les agriculteurs et les troupeaux bien après la guerre.
« On a l’impression qu’ils veulent nous virer d’ici »
Pour le chercheur et coordinateur du projet, « Israël impose progressivement un blocus au Liban dans le but de nuire à sa souveraineté alimentaire. En détruisant des villages et des champs, Israël s’attaque au tissu social et à l’identité agricole du Sud. ». Le Hezbollah est fortement implanté dans les zones rurales chiites historiquement marginalisées du sud du Liban. Toute sa base populaire se retrouve aujourd’hui bombardée, ainsi que ses foyers et ses institutions civiles, venues remplacer celles, absentes, de l’État libanais.
Les déplacements massifs d’habitants chiites et l’urbicide des villages frontaliers ont des répercussions sur d’autres communautés religieuses du Sud. Le village chrétien de Maghdouché, près de Sidon et à quelques dizaines de kilomètres du front, a ainsi été épargné par les bombes. « Ils ne tombent jamais bien loin et nous vivons sous le bruit constant des avions de combat et des drones. On a l’impression qu’ils veulent nous virer d’ici »dit Michel Atoui. Le récolteur d’olives bio, membre d’une coopérative qui produit de l’huile, de l’eau de rose et des fleurs d’oranger, accueille chez lui trois familles déplacées.
« L’escalade a commencé juste avant la récolte des olives : nous avions le choix de partir ou de rester, nous avons décidé de ne pas céder. J’ai peur de devoir bientôt partir, tous les villages environnants ont déjà été évacués »» dit-il anxieusement. Pour se protéger, il a récolté plus tôt que d’habitude, avec un rendement de 30 % de moins, dit-il.
L’enseignant à la retraite a été accompagné par Jibal dans sa transition vers le bio, même s’il n’a pas encore reçu de label. « Je le fais pour moi, car les olives font partie de notre identité au Sud et j’aime l’environnement, même si ce n’est pas facile au Liban »dit-il.
Pour lui, sans doute, « Israël veut changer cette identité, faire de cette terre un désert, dégrader la vie. Toute civilisation qui sépare les humains de l’environnement se perd »murmure-t-il, alors qu’un bombardement israélien vise le village voisin.
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