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« Il faut apprivoiser sa douleur »

Anne-Dauphine Julliand est mère de quatre enfants. Mais elle en a perdu trois. A travers « Ajouter de la vie aux jours » (Les Arènes, 137 pages, 18 euros), elle raconte sa vie, brisée par les drames, et la résilience, indispensable, face au « tsunami » provoqué par la mort de son fils Gaspard. qui a mis fin à ses jours. C’est après ce suicide qu’elle décide d’écrire, pour parler de ses quatre enfants et de son « engagement » à être leur mère. Elle témoigne pour ELLE.

Deux décès par maladie puis mort subite

« Ce livre est un livre que j’aurais aimé ne jamais avoir à écrire. C’est un livre que j’ai écrit suite au décès, ou plutôt au suicide, de mon fils Gaspard, il y a deux ans et demi. Et la mort de Gaspard a été un tsunami, d’autant plus qu’avant cela, mes deux filles étaient mortes.

La maternité, pour moi, n’était pas quelque chose d’évident. J’ai été très impressionnée par la grossesse. Et puis, il y a 25 ans, j’ai eu la chance de rencontrer un homme qui est l’homme de ma vie. Un coup de foudre comme vous ne le croiriez pas. Enfin moi, en tout cas, puisque je n’y croyais pas. Et c’est venu assez naturellement chez lui, en fait.

J’avais le désir, peut-être plus que le désir, la confiance d’avoir des enfants. Nous avons d’abord eu un garçon, Gaspard, puis Thaïs, Asilis et Arthur. Nous avons vécu le décès de nos deux filles et surtout leur maladie. Eh bien, leur vie d’abord, puis jusqu’à leur mort.

Je pensais avoir atteint le summum de la souffrance. Et la mort de Gaspard m’a complètement dévastée. C’était autre chose, c’était une mort subite, brutale, inattendue. C’était l’impossible qui devenait possible. Il est difficile de vivre un moment où l’on est confronté à une telle souffrance.

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Parce que tout résonne de cette souffrance et on ne veut pas y aller. Et avec ça, je sais que lorsque la douleur est là, si je ne la vis pas en toute sincérité, elle reviendra à un autre moment. Dans ma démarche d’écriture, il y a vraiment une envie de partage. Partager une expérience de vie. Pas forcément pour raconter toute ma vie pour le plaisir de parler de moi. Mais simplement partager une expérience à la fois immensément personnelle et incroyablement universelle.

Pas universel dans le sens où c’est ce qui arrivera à tout le monde, mais universel parce que cela en dit long sur la vie. Tous ces chagrins et ces joies mélangés, c’est ainsi la vie. Ajouter de la vie à la journée, c’est vivre. Vivez l’instant présent. C’est incarner ce que nous devons vivre, à la fois dans ce qui est triste et dans ce qui est heureux.

Apprivoiser sa douleur est la seule manière d’être heureux par la suite.

Cette découverte de ce pas à pas, de l’ajout à chaque instant de la vie, m’a permis de réaliser que la seule façon d’être heureux quand on est éprouvé est de vivre pleinement sa douleur. Il s’agit de lui laisser de l’espace. Il s’agit de l’apprivoiser, de le laisser entrer dans nos vies. Pas pour l’effrayer, pas pour la chasser, pas pour la cacher. Cette phrase est légitime. L’apprivoiser est la seule façon d’être heureux après. Quoi qu’il arrive, le printemps reviendra.

C’est une perspective qui nous permet de vivre intensément l’hiver dans lequel nous nous trouvons. Je réfléchis juste, que va-t-il se passer ? Et demain ? Et enfin, y revenir demain, c’est aussi croire au printemps. C’est-à-dire que nos cœurs sont vraiment en hiver.

Nous sommes coincés dans la glace, mais le printemps reviendra. Arthur, il est la vie pour nous. Le fruit de notre amour est aussi l’amour.

Ce livre ne rend pas mes enfants plus vivants, mais ils sont dans une éternité

Mais il l’est autant que ses frères et sœurs. Tout le défi maintenant, peut-être toute la difficulté, est de donner à Arthur la place qui lui revient sans faire peser sur lui le poids du survivant. Je ne peux pas dire qu’Arthur est tout, parce que c’est trop difficile d’être tout pour quelqu’un.

Pour lui, c’est une responsabilité trop écrasante. Il est évidemment un peu du futur, car heureusement, je commence à l’imaginer grandir à nouveau, ce que je m’étais interdit après la mort de Gaspard. Mais oui, je le projette dans le futur aujourd’hui, je le projette dans ce printemps-là, mais en me disant que ce qu’on doit vivre, on le vit maintenant.

L’engagement d’Anne-Dauphine Julliand

Mes enfants – donc quand je dis mes enfants, je veux dire Gaspard, Thaïs, Asilis et Arthur – m’ont appris la vie, dans toute sa grandeur et sa délicatesse, dans tout ce qu’elle a d’immense. la vie, et des petits aussi. Je pense qu’ils m’ont appris à continuer à m’étonner.

Ce livre ne rend pas mes enfants plus vivants, car ils ne sont pas vivants, mais ils sont dans une éternité, qui est l’éternité de l’amour que j’ai pour eux. Et si on peut les sentir vivants, si on peut les ressentir, les percevoir, quand on lit un livre ou quand j’en parle, c’est parce que ce qui reste éternellement, c’est l’amour que j’ai pour eux. L’engagement d’un parent envers la vie de son enfant ne consiste pas à garantir qu’il sera heureux.

Il ne s’agit pas de lui garantir qu’il ne souffrira pas et qu’il vivra 99 ans. Vous ne pouvez pas dire à votre enfant que vous ne souffrirez jamais, mais par contre vous pouvez lui dire quoi qu’il arrive, je t’aimerai toujours. C’est mon seul engagement. Et que ce soit pour Gaspard, pour Thaïs, pour Asilis ou pour Arthur, l’engagement que j’ai est de toujours les aimer. »

 
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