Jeudi 14 novembre, 23h, Stade de France, Saint-Denis (93) – Siffler. Au milieu des 4 000 policiers déployés autour du stade, les manifestants en soutien à la Palestine présents pour protester contre le match France-Israël ont rebroussé chemin. Soudain, la brigade anticriminalité (BAC) saute sur trois jeunes hommes qui rejoignent la station RER B. Léo, 25 ans, est saisi par le cou et violemment poussé avec Maxime et Samir (1), 22 et 23 ans, contre les grilles de la gare par quatre agents en civil. « Mon premier réflexe est de penser que ce sont des fafs », estime Léo, auteur-scénariste. Les Bleus sont aussitôt rejoints par une demi-douzaine de leurs confrères. Ils fouillent leurs poches et jettent leurs affaires par terre, on arrache le chapeau de Léo. Un autre ouvre la veste de Maxime, révélant son pull avec l’inscription « Antifascist Action » dessus, qu’il tente d’enlever. Immédiatement, les insultes commencent à pleuvoir :
« Tout ce que je vois devant moi, ce sont trois salopes. »
Le témoignage du trio est identique. Pourtant, ils ne se connaissent pas et viennent de se rencontrer lors d’un contrôle de police peu avant. Ils racontent tous en détail le flot d’insultes, d’humiliations et de menaces prononcé pendant près de 15 minutes par les policiers du BAC. Maxime se souvient :
« Un policier s’approche à 5 centimètres de mon visage et me dit : “J’ai envie de t’écraser.” »
Le plus âgé notamment, le « leader » selon Samir, multiplie les attaques homophobes, les traitant de « petites salopes », de « pédés », de « suceurs ». Lorsque Léo tente de rassurer un quatrième homme contrôlé, visiblement affligé et parlant mal français, en lui touchant le bras, les attaques reprennent : « Pourquoi tu le touches ? Tu veux le sucer ? ” Près de, un policier se serait pavané avec un maillot de couleur palestinienne pris à un manifestant. Le vieil agent leur reproche de venir « foutre la merde », de se qualifier d’« antifascistes » alors qu’ils ne « connaissent pas l’histoire ». Entre insultes de « grosses merdes », de « parasites » ou encore « anti-France », il ajoute : « Ma devise est « Travail, Famille, Patrie ». « . Autour du contrôle, de la sécurité RATP forme une corde. Ce qui n’empêche pas le policier de menacer les jeunes :
“Tu as de la chance qu’ils soient là, sinon tu saignerais.” (…) Si nous n’avions pas l’uniforme, tu serais déjà mort. »
Utilisation du casier judiciaire
Sur leur tablette, les policiers BAC puis tous sortent TAJ – le dossier dit traitement de casier judiciaire – de Léo. Ils lui rappellent son harcèlement au collège, pour lequel Léo avait porté plainte plusieurs fois il y a plus de dix ans. Les agents l’insultent à plusieurs reprises en le qualifiant de « grande victime ». Un autre ajoute :
“Moi aussi, à la fac, je t’aurais baisé, salope.”
Ils ressortent également une plainte pour violences policières, déposée cet été, dans laquelle Léo accuse des policiers de l’avoir agressé lors d’un rassemblement place de la République, à Paris, au soir du second tour. élections législatives. Là encore, le policier devant lui rit : « Vous n’aimez pas la police, mais quand vous en aurez besoin, il y aura des ennuis au commissariat. » « Ils riaient tous, se moquaient. C’était leur petit jeu », décrit Samir. Comme Maxime, il rapporte avoir vu un agent juste derrière Léo, la main sur le manche de son arme, mimant un pinceau sur ce dernier. «Il m’a demandé : ‘Est-ce que je le fais ou je ne le fais pas ?’ C’était un jeu entre eux”, répète-t-il.
Leo est « hors de lui ». «Je ne me suis pas laissé faire, mais j’avais mal au ventre, je tremblais, au bord des larmes, je perdais la raison. J’étais dans le même état que lorsque j’ai été frappé au collège et les professeurs n’ont rien fait. Je me suis dit que peut-être qu’on n’allait pas y retourner», confie-t-il, chevrotant, au téléphone. Il dénonce « une séance de torture psychologique » ce qui l’a fait se sentir « impuissant et dépassé » :
« J’avais déjà été malmené lors de manifestations. Mais là, vous êtes attaqué au plus profond de votre être. Vous vous sentez sale. Vous vous sentez sale. »
Après l’incident, il a déclaré avoir passé deux nuits blanches.
Leurs visages pris en photos
Tous confient avoir cherché de l’aide auprès d’autres unités stationnées à proximité. Samir tombe sur celui d’un gendarme qui l’avait contrôlé quelques dizaines de minutes auparavant. Maxime reste marqué par un agent de sécurité RATP qui « le regarde dans les yeux, et qui se retourne ». « Personne ne s’est plaint », proteste Léo. Au contraire, à la fin du contrôle, lorsque Léo reproche aux policiers de ne pas être intervenus, ces derniers l’éloignent violemment du commissariat. Ce sont des « gars du quartier » qui vont s’occuper de lui « à bout de souffle ». Ils auraient d’ailleurs été les seuls à intervenir lors du contrôle, croyant à une attaque avant de reconnaître les agents de la police. BAC.
Deux des jeunes ont également été victimes d’agressions sexuelles lors de la perquisition. Ils se souviennent, froidement, des mains des policiers travaillant longuement sur leur entrejambe jusqu’à, par exemple, « lui attraper le sexe » à travers les vêtements.
Accompagnés d’un avocat du collectif antiraciste Legal Team, les manifestants ont porté plainte vendredi 22 novembre mais craignent des représailles. « Cet été, c’était déjà contre ma volonté. Et maintenant, à chaque instant où vous avez été naïf dans votre vie, les flics s’en servent contre vous pour vous humilier », dit Leo. Surtout, invoquant un dysfonctionnement de leurs appareils dédiés au contrôle, la police aurait photographié leurs visages avec leur téléphone personnel. Maxime et Samir auraient alors vu des photos et leurs informations d’identité s’envoyer sur WhatsApp et SnapChat. Léo est inquiet :
« Potentiellement, nous avons nos informations et nos photos qui circulent dans des groupes de militants, de flics, de néofascistes. »
Contacté par StreetPress, le parquet de Seine-Saint-Denis a indiqué ne pas avoir connaissance des faits. La direction de la communication de la Police Nationale n’a pas répondu à ce jour.
(1) Le prénom a été modifié.
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