Des rumeurs circulent dans les entreprises monégasques sur un retrait progressif du gouvernement monégasque de l’exploitation de l’application Carlo. Mais rien n’a encore été fait.
« Je ne pense pas que l’Etat monégasque ait vocation à subventionner jusqu’à 5% de la consommation privée des Monégasques sur un horizon indéfini. » Cette phrase de Pierre-André Chiappori, conseiller ministériel chargé de l’économie et des finances, a de quoi semer le doute dans l’esprit des commerçants monégasques. Ces quelques mots sont extraits d’un discours prononcé lors de la séance budgétaire au Conseil national, en octobre 2024. Dans son viseur, l’application Carlo, lancée en 2019 et officiellement prestataire de services de l’État depuis décembre 2020.
Le Covid comme point de départ d’une collaboration
Lancée avant l’apparition du Covid-19, puis soutenue par le gouvernement pendant la pandémie, cette application récompense les achats effectués dans les commerces monégasques affiliés : 5% de « cash back » [remboursement partiel lié à un achat » — NDLR] sur chaque achat, c’est la promesse de cette application. Sur chaque achat, 5% vont dans la poche du client, 3% contribuent à payer le système bancaire de l’application, et 2% financent les sponsors, c’est-à-dire une personne qui a permis l’enregistrement de l’application. un nouvel utilisateur.
Si le gouvernement a assumé la responsabilité de ces 10 % pendant la pandémie, « mesure exceptionnelle pour soutenir l’économie locale »une première décision a vu la part de l’État réduite à 7,6 % en 2022. Début 2024, nouvelle étape : la suppression du système de parrainage a lieu. « Compte tenu du nombre croissant d’utilisateurs, cela représentait une somme trop élevée pour le gouvernement, qui nous a demandé de changer ce mode de fonctionnement. Désormais, nous ne donnons plus que 5 euros aux sponsors lors de leur inscription”explique Antoine Bahri, co-fondateur de Carlo et directeur général de cette application. La part est actuellement répartie comme suit : 1% payés par les commerçants, et 7,6% pris en charge par l’Etat. Pierre-André Chiappori évoque cependant un soutien à 5%.
En effet, des rumeurs circulent selon lesquelles l’Etat souhaiterait, une nouvelle fois, réduire sa participation dans Carlo. Une rumeur qui a rapidement fait le tour de différents magasins à travers le pays : « Beaucoup de gens sont inquiets. Certains annoncent déjà la fin de l’application, d’autres réfléchissent à des alternatives. » avoue Marianne Tartaglino, co-gérante du magasin Bébé Tendresse, situé dans la galerie marchande de Fontvieille. Trader affiliée à Carlo depuis ses débuts, elle ne regrette pas son choix : « Nous n’avons pas de programme de fidélité, et c’est ce que Carlo nous a apporté. L’application nous a également apporté de nouveaux clients. » Elle nuance, tout de même : « Honnêtement, il n’y a pas eu d’impact visible sur le chiffre d’affaires, mais cela nous a permis de maintenir l’activité. » Pour elle, passer de 1% à 3% de part de participation est acceptable : « C’est encore peu par rapport à ce que cela nous apporte. Je me demande si le taux est jamais passé à 5 %. »
« Il ne faut pas oublier qu’à l’origine de Carlo, les commerçants payaient la totalité des 10 % des frais demandés. Ce n’est qu’avec le Covid que le gouvernement a pris en charge ces coûts. Il s’agissait d’une mesure de relance économique exceptionnelle, dans un contexte bien particulier. A Bordeaux et Aix-en-Provence, où nous sommes désormais implantés, les commerçants paient la totalité des 10 % »
Antoine Bahri. Co-fondateur et PDG de Carlo
75 000 utilisateurs, 650 commerçants affiliés
Forte de son hégémonie dans la principauté, la candidature Carlo se développe d’année en année. Aujourd’hui, cette plateforme rassemble 75 000 utilisateurs, 650 commerçants et 50 entreprises pour un flux total de 100 millions d’euros en 2023 à Monaco. Plaque tournante des achats effectués à Monaco dans les commerces de proximité, Carlo a pénétré au cœur de l’Etat. En effet, depuis décembre 2020, les fonctionnaires reçoivent leur prime sous forme de bons à utiliser via cette plateforme dans les entreprises affiliées.
En 2023, 10 000 chèques cadeaux Carlo ont été utilisés par les fonctionnaires monégasques pour une valeur totale de 6 millions d’euros. «C’est un véritable «booster» pour l’économie locale», estime Antoine Bahri. Avant notre présence, l’État distribuait des chèques cadeaux qui n’étaient pas forcément dépensés dans les commerces locaux. On peut notamment penser à la Fnac ou à Amazon. » Gagnant-gagnant, alors ? Pas tout à fait, selon l’Etat, et notamment pour Pierre-André Chiappori, qui cherche à faire des économies, a-t-il indiqué devant le Conseil national : « Toute mesure temporaire, prise pour des raisons économiques très strictes, risque de devenir permanente et de devenir un droit acquis qui durera jusqu’à la fin des temps. »
Un petit voyage dans le temps, en 2020. L’État monégasque cherche à relancer l’économie du pays, en souffrance depuis la première vague de Covid. L’alternative Carlo résonne comme une douce promesse aux oreilles du gouvernement qui s’y met. Peu de risque, peu d’argent en jeu, et une application qui profite aux commerçants et aux habitants : l’investissement semble apaisé. Le problème c’est que depuis, cette application s’est développée, et les sommes investies hier ne sont plus les mêmes. Pour Antoine Bahri, le gouvernement est dans son droit. Loin de remettre en cause les rumeurs d’une baisse de la participation de l’État, il les explique : « Nous avons régulièrement de nouvelles négociations avec le gouvernement sur sa part de participation. Il faut relativiser cela : c’est un nouveau gouvernement, avec un nouveau Conseil national. Il est normal que les discussions sur le budget soient à gagner. »
« Ces augmentations de participation ne doivent pas démotiver les commerçants, car cela peut arriver rapidement. »
Antoine Bahri. Co-fondateur et PDG de Carlo
Quel impact sur la TVA ?
Des pourcentages en jeu donc, et une situation qui restera en tout cas favorable aux commerçants monégasques : « Il ne faut pas oublier qu’à l’origine de Carlo, les commerçants payaient la totalité des 10 % des frais demandés. Ce n’est qu’avec le Covid que le gouvernement a pris en charge ces coûts. Il s’agissait d’une mesure de relance économique exceptionnelle, dans un contexte bien particulier. A Bordeaux et Aix-en-Provence, où nous sommes désormais implantés, les commerçants paient la totalité des 10 %. » D’autant que ce n’est pas la première fois que le gouvernement monégasque réduit sa participation.
« Cela fait partie du jeu. Nous sommes en croissance : 75% des consommateurs pendulaires ou monégasques utilisent désormais notre plateforme. Les règles changent, et les sommes dépensées par l’État aussi. » Mais, pour Antoine Bahri, un risque réside dans cette politique : « Ces augmentations de participation ne doivent pas démotiver les commerçants, car cela peut arriver rapidement. Ces changements ne devraient pas amener les spécialistes du marketing affilié à nous quitter. Plus l’offre d’entreprises est réduite, moins il y a de consommateurs sur la plateforme. Et donc moins on dépense dans les commerces de proximité. Tout cela peut réduire la TVA que génèrent actuellement tous ces achats intégrés. »
La question est donc la suivante : quel est le montant de la TVA sur les achats effectués via Carlo qui rentrent ensuite dans les poches de l’Etat monégasque, chaque année ? Selon les chiffres fournis par Carlo, 59 % des utilisateurs sont des navetteurs. Ils ont dépensé 30 millions d’euros via l’application en 2023. « Une grande partie de ces achats a généré de la TVA pour l’État de Monaco. Si Carlo s’arrête demain, il est probable que cet argent soit à nouveau dépensé en dehors de la principauté. » Pour étayer ses propos, Antoine Bahri met en avant une enquête interne menée ces derniers mois.
D’après ces chiffres, à la question : « Les 5% de cashback incitent-ils à faire du shopping à Monaco par rapport aux autres modes de consommation (en ligne, centres commerciaux, autres villes) »94,3% des utilisateurs ont répondu « oui ». Si cette enquête a été réalisée auprès de 3 000 utilisateurs quotidiens, elle n’en reste pas moins vraie pour le co-fondateur de Carlo : « Il s’agit d’investir dans le commerce local, qui est un secteur en grande difficulté. Il y a un réel changement dans les habitudes de consommation et les centres-villes sont délaissés. Nous avons proposé une alternative pour tenter de maintenir à flot ce type d’entreprise et, cinq ans plus tard, nous pouvons dire que cela a fonctionné. Nous avons rempli la mission et le fait que le gouvernement participe est extraordinaire. Il faut désormais réfléchir à l’adaptabilité de ce système dans un avenir plus lointain, pour que toutes les parties puissent s’y mettre d’accord. »
Si les rumeurs d’une réduction de la participation de l’Etat ne sont, pour l’instant, que des rumeurs, il faudra attendre les prochains mois pour connaître la véritable direction qui sera prise par rapport à cette collaboration. Le prochain renouvellement du contrat entre Carlo et l’Etat monégasque est fixé au 1estavril 2025.
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