Lorsque Bart Gruyaert et son entreprise française Neo-Eco ont décidé de reconstruire des logements à Gostomel, une banlieue de Kiev, fin 2022, ils espéraient contribuer à effacer les cicatrices de la guerre dans cette ville fortement endommagée depuis le début de l’invasion russe.
Mais lors de la présentation du permis de construire, l’administration militaire locale, l’équivalent d’une municipalité en temps de conflit, pose une condition surprenante : recevoir sous prétexte les fonds du projet, qui a bénéficié d’une vingtaine de millions d’euros de financement privé pour devenir chefs de projet.
«Ils ont dit […]: ‘Il vaut mieux que vous transfériez l’argent que vous avez reçu sur notre compte.’ Mais ça ne marche pas comme ça !», a déclaré à l’AFP ce directeur belge du projet. L’entreprise refuse et la situation devient vite “impossible”, explique Bart Gruyaert.
Les fonctionnaires administratifs font traîner les choses en ajoutant sans cesse de nouvelles conditions au contrat. Selon lui, il existe également des incitations à « donner des enveloppes » à certains fonctionnaires.
Progrès
En septembre 2023, Neo-Eco a décidé à contrecœur d’abandonner le projet. Ce cas est loin d’être isolé.
L’Ukraine souffre d’une corruption endémique depuis la chute de l’Union soviétique, même si elle a intensifié ses efforts au cours de la dernière décennie pour réaliser son ambition d’adhérer à l’Union européenne.
Il se classait 104e sur 180 pays selon l’indice de corruption de Transparency International en 2023, un score néanmoins en hausse.
Les observateurs craignent que ce problème persistant ne ralentisse la reconstruction du pays ravagé par la guerre en dissuadant les partenaires internationaux d’investir les énormes sommes nécessaires. Le coût total est estimé à 486 milliards de dollars par la Banque mondiale, les Nations Unies, l’Union européenne et le gouvernement ukrainien.
Bart Gruyaert assure que sa mauvaise expérience à Gostomel n’a pas découragé Neo-Eco d’investir en Ukraine, bien au contraire. Elle travaille sur de nombreux autres projets et encourage d’autres entreprises à faire de même, estimant que le pays “fait beaucoup de progrès” en matière de corruption.
Zigzaguez entre les obstacles
Il a simplement fallu apprendre à « zigzaguer entre les différents obstacles », par euphémisme Bart Gruyaert, qui explique travailler principalement avec les lieux en qui il a confiance.
Dans l’affaire Gostomel, les autorités judiciaires ont depuis découvert un système de « détournements de fonds » au sein de l’administration militaire. Son chef d’alors, Serguiï Boryssiouk, est accusé avec d’autres responsables d’avoir alloué des sommes destinées à la reconstruction de résidences laissées en ruines.
En juin 2023, après l’apparition des premières allégations, il a été démis de ses fonctions par décret du président ukrainien Volodymyr Zelenskyj. Quelques jours plus tôt, il avait tenu une conférence de presse au cours de laquelle il avait assuré avoir fait de son mieux pour reconstruire Gostomel et accusait les autorités judiciaires de “s’être trompées d’ennemis”.
Selon un audit de l’Etat publié en décembre 2023, le préjudice total s’élève à 21 millions de hryvnia, soit près de 450’000 francs.
“Une question de volonté”
Des cas similaires ont éclaté dans d’autres régions, sans compter les scandales qui ont ébranlé les dirigeants de l’armée ou des ministères. Selon Andriï Borovyk, directeur exécutif de Transparency International, ces cas, bien qu’embarrassants, contribuent à garantir que le problème ne soit pas “oublié”.
Le directeur de l’Agence nationale pour la prévention de la corruption, Viktor Pavlouchtchyk, estime que ces exemples démontrent « l’efficacité » des autorités et les progrès réalisés dans la lutte contre l’impunité.
Il y a encore dix ans, « qui aurait pensé que de hauts fonctionnaires pouvaient être accusés de crimes ? Et maintenant, nous avons d’excellents exemples », dit-il.
Au total, environ 500 dossiers de corruption ont été ouverts depuis le début de l’année par le Bureau national anti-corruption (NABU), qui ajoute qu’une soixantaine de personnes ont été condamnées.
De toute évidence, il reste beaucoup à faire. Il est encore courant que des élus locaux aient des intérêts dans des entreprises de construction, par exemple à travers leur famille, ont souligné plusieurs interlocuteurs de l’AFP.
Pour éviter les conflits d’intérêts, l’Ukraine s’efforce de rendre le processus de reconstruction plus transparent. L’année dernière, les autorités ont lancé la plateforme DREAM, accessible en ligne à tous, qui recense les projets de ce type.
L’objectif est de permettre aux investisseurs, citoyens ou journalistes de suivre l’avancée des projets de construction et de trouver des données sur leur financement ou leurs sponsors.
ATS
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