Initialement spécialisé dans la vente, le stockage et la distribution de gazla société française Engie est un acteur énergétique mondial et s’est spécialisée ces dernières années dans les énergies renouvelables. Catherine MacGregor, sa directrice générale, est « l’invitée écolo » de franceinfo.
franceinfo: Craignez-vous le retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis, sachant qu’il est un climato-sceptique éprouvé?
Catherine MacGregor : Au-delà des effets d’annonce, ce qu’il faut regarder, c’est la réalité du terrain et du marché. Aujourd’hui, aux États-Unis, il existe une très forte demande d’électricité. Parce qu’il y a une croissance économique, avec le développement des datacenters etc. Et aujourd’hui, les énergies renouvelables sont les meilleures solutions pour répondre à ce besoin rapide d’électricité. Parce qu’ils peuvent être développés et mis en service très rapidement, plus rapidement que d’autres moyens de production.
“On peut compter sur le pragmatisme des Américains, qui ont un besoin rapide d’électricité, pour entretenir cette volonté de développer ces projets renouvelables.”
Et donc de maintenir l’IRA, l’Inflation Reduction Act, qui prévoit des milliards de dollars de subventions publiques pour l’énergie verte. Par ailleurs, Engie a actuellement des projets dans les énergies solaire et éolienne aux États-Unis.
Et dans les piles aussi. Mais nous développions les énergies renouvelables sous l’administration Trump, lorsqu’il était président pour la première fois. Même avant l’IRA, nous développions déjà ces projets. Nous verrons ce qui se passe. Moi, en tant que citoyen, si les Etats-Unis sortaient de l’accord de Paris, je ne pourrais que le regretter, car vu le poids des Etats-Unis, ce serait une mauvaise nouvelle.
Vous avez trois projets dans l’éolien offshore. Donald Trump a déclaré que « les éoliennes tuent les oiseaux et les baleines ». Qu’est-ce que cela implique concrètement pour Engie ?
Le candidat Trump s’est en fait exprimé assez fortement sur l’énergie éolienne offshore. On verra donc s’il prend des décisions et, dans ce cas, il faudra arrêter le développement de ces projets. Mais nous avons plein d’autres projets, notamment en France.
Allez-vous les arrêter ?
S’il prend des décisions radicales, nous devrons bien sûr stopper ces évolutions. Mais encore une fois, à l’échelle du groupe, nous disposons d’un portefeuille de projets suffisamment diversifié pour réaliser d’autres projets en mer, notamment en France où nous sommes bien sûr très actifs.
Dans le même temps, Donald Trump a prévu de reprendre les forages pour exploiter le gaz de schiste, ce qui signifie davantage de gaz sur le marché. Cela signifie-t-il que les prix du gaz vont baisser ?
Il faut faire la différence entre ce qui se passera sur le marché intérieur et les décisions concernant les exportations. Quand on parle de marché, ce qui nous préoccupe, nous Européens, c’est le gaz naturel liquéfié exporté des États-Unis. La question est donc : y aura-t-il plus d’exportations ou pas ? Cela nous ramène toujours à la question de la dépendance de l’Europe et de sa souveraineté énergétique. Le gaz russe a été remplacé en grande partie par du gaz naturel liquéfié. C’est bien, mais ce sont de nouvelles dépendances. Alors aujourd’hui, mon message est : accélérons la transition énergétique car la transition énergétique, c’est plus de moyens de production sur nos territoires, elle renforce notre souveraineté.
Mais si Trump autorise l’exportation de ce gaz vers la France, cela pourrait-il être bon pour le prix du gaz, ainsi que pour Engie, puisque vous avez des ports GNL ?
En effet, nous disposons de trois terminaux méthaniers qui jouent un rôle très important. Et le gaz fera partie du mix énergétique pendant encore un certain temps. Mais nous réduirons cette consommation de gaz dans les années à venir. C’est la clé d’une transition énergétique réussie.
« Pour la transition, nous utiliserons principalement d’autres molécules, des molécules vertes comme le biométhane, qui est la même molécule que le gaz naturel mais produit localement. »
Voilà donc une substitution vertueuse avec zéro CO2 émis.
Où en est-on de la production de ce gaz ? Sommes-nous en retard en Europe ? J’ai vu que vous avez lancé un appel à l’Europe pour qu’elle agisse davantage face aux risques qui persistent concernant la trajectoire de décarbonation en Europe.
Plus généralement, sur la trajectoire de décarbonation, nous avons effectivement un point de passage important à 2030. Nous nous sommes engagés en Europe à réduire nos émissions de 55% d’ici 2030 et selon nos projections, nous sommes plutôt en bonne voie.
Produisons-nous suffisamment d’énergie sans carbone ?
Alors attention, il y a beaucoup de leviers, mais l’électrification est notamment un levier très important. Et un peu plus tard, nous utiliserons la substitution du gaz naturel par ces molécules décarbonées. Alors aujourd’hui, nous sommes sur la bonne voie grâce à l’électricité, puisque nous avons électrifié les usages et développé massivement les énergies renouvelables. Il faut continuer et accélérer pour pouvoir passer ce point en 2030 à -55%. En revanche, là où il reste encore beaucoup de travail à faire, c’est sur la deuxième partie 2030-2050. Là, il faut s’attaquer à l’ensemble du système énergétique, continuer à électrifier puis s’attaquer à ce qu’on appelle la molécule. Alors aujourd’hui plutôt ce gaz naturel. Mais tout ce qu’utilisent aujourd’hui les industriels et les moyens de transport lourds, qui sont de gros émetteurs et que nous allons aussi décarboner. Là, on a encore beaucoup de travail à faire.
N’y a-t-il pas un manque d’impulsion politique pour que cette transformation soit réelle ? Il y a quelques mois, avant les élections européennes, vous vous inquiétiez de l’arrivée des climato-sceptiques au pouvoir en Europe. Aujourd’hui, ce risque est-il levé ?
Je suis en effet assez rassuré par le fait que la Commission européenne va plutôt maintenir le cap sur son ambition de transition énergétique. Et cela, je pense, est très bien. Après, il faudra peut-être appeler à bien intégrer compétitivité et souveraineté. C’est très important. Nous ne pouvons pas faire la transition énergétique aux dépens de l’industrie. Il faut le faire avec l’industrie et, pour ce faire, aider nos industriels, surtout s’ils savent électrifier.
Une impulsion avec l’aide ?
Une impulsion pour eux à s’électrifier. Et s’ils ne peuvent pas électrifier, il faut au contraire leur fournir cette molécule décarbonée, avec quelques aides au départ, pour aider l’industrie à se décarboner. Et là, nous aurons véritablement la transition énergétique la plus vertueuse possible.
Comment aider les industriels à se décarboner ?
Donc on peut avoir une aide à la demande pour qu’ils puissent s’impliquer et avoir des aides pour payer moins cher une énergie plus verte.
Mais nous avons vu que ce qui manque aujourd’hui, c’est l’argent public. Le rapport Draghi estime qu’il faudrait 800 milliards d’euros par an pour aider notamment l’industrie européenne à se décarboner. Cet argent public manque en France et en Europe.
Le coût de la transition est réel. Elle est estimée entre 1,5 et 2 points de % environ du PIB.
« Le coût de la transition énergétique doit être comparé aux coûts d’importation des énergies fossiles, à cette dépendance et, surtout, au coût de l’inaction. »
Le coût de l’inaction n’est jamais dans les équations. On parle donc beaucoup de dette économique. Nous devons également parler de la dette climatique. Quand on regarde les événements en Espagne, il y a des vies humaines, des drames monstrueux, et puis, pour les coûts de réparation, on parle de 11 milliards, 20 milliards, les chiffres deviennent vertigineux.
Les entreprises ont été invitées à contribuer à l’effort collectif, notamment en France, avec une majoration pour les grandes entreprises. Combien allez-vous payer chez Engie ?
Nous participerons à l’effort national à travers cette surtaxe, si le budget est voté dans ce sens. Il y a bien un système qui va nous obliger à imposer une majoration de l’impôt sur les sociétés, qui est un impôt relativement simple, assez prévisible, que l’on arrive à quantifier à l’avance, qui sera limité dans le temps, si on a bien compris.
Le patron de Carrefour, Alexandre Bomparddit que c’est confiscatoire.
Je dirai un peu différemment, dans la mesure où cela répond aux conditions que je viens de citer. Et je pense qu’aujourd’hui, Engie est prêt à prendre ses responsabilités. Nous avons besoin d’avoir des finances publiques saines et donc, si nous devons aller dans cette direction, nous préférons un système comme celui-ci, plutôt que des systèmes très compliqués qui tentent de cibler tel secteur ou même tel type de secteur. actifs, comme cela a été discuté jusqu’à présent dans le débat public. Nous privilégions la simplicité et pensons que, comme tout investisseur, nous avons besoin de stabilité et de clarté dans le cadre d’investissement.
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