La flore de ce petit parc de Kherson, grande ville du sud de l’Ukraine confrontée aux troupes russes, a bien évolué. Comme une grande partie de la zone, elle a été submergée il y a un an.
Le 6 juin 2023, des explosions détruisent le barrage de Kakhovka, situé à une cinquantaine de kilomètres en amont et occupé par l’armée russe, provoquant des inondations et des dizaines de morts.
L’Ukraine accuse la Russie d’avoir fait sauter le barrage afin d’empêcher sa contre-offensive de l’été suivant, qui a échoué. Moscou le lui reproche.
À l’époque, comme de nombreux experts, Oleksandr Khodosovtsev, professeur de botanique à l’Université d’État de Kherson, prédisait des conséquences potentiellement terribles pour la nature.
Les dégâts environnementaux sont en effet indéniables. De nombreux animaux sont tués, des plantes sont emportées et des produits chimiques sont emportés.
A court terme, “cela a été une catastrophe”, a résumé M. Khodosovtsev à l’AFP. Mais, au bout de six mois, « la végétation a commencé à se régénérer », analyse le professeur, qui va jusqu’à parler de « bonne chose pour la nature » à long terme.
– Végétation luxueuse –
Avec une équipe de scientifiques ukrainiens, il s’est rendu à plusieurs reprises sur la zone, pourtant située au centre des combats car le fleuve Dniepr sépare les armées russe et ukrainienne dans cette partie du pays.
Tous les efforts en valent la peine car, selon lui, « personne au monde n’a jamais pu étudier la restauration de la végétation sur un territoire aussi immense ».
En aval de l’ancien barrage, c’est « luxuriant », comme dans le parc de Kherson, dopé par un afflux d’eau et de matières organiques, sourit-il.
Mais la zone qui inquiète le plus les experts se situe plus haut. L’immense réservoir artificiel de Kakhovka, créé en même temps que le barrage en 1956, a logiquement perdu beaucoup d’eau.
Lorsque les scientifiques s’y sont rendus pour la première fois, quelques semaines seulement après la catastrophe, ils ont découvert des « paysages martiens » jonchés d’obus morts, se souvient Khodosovtsev.
Cet assèchement a fait craindre pendant un certain temps la possibilité de tempêtes de poussière. Les chercheurs ont cependant été surpris de constater le développement rapide de nombreux saules, signe que la nature semble reprendre ses droits.
“Aujourd’hui, le réservoir de Kakhovka représente 150.000 hectares de terres vertes”, soit cinq fois la superficie de Malte, a déclaré à l’AFP le ministre ukrainien de l’Environnement, Rouslan Strilets.
Vu d’une colline qui le borde, l’ancien réservoir ressemble désormais à un patchwork de vert et de bleu, de grandes étendues d’eau entrecoupées de poches de végétation.
L’experte Anna Kouzemko, qui fait également partie du groupe, concède que réaliser ces observations scientifiques si près du front n’est « pas facile ».
La rive gauche occupée est inaccessible aux chercheurs ukrainiens, à leur grande frustration. Et la rive droite, face aux positions russes, est dangereuse.
« L’automne dernier, nous avons été tellement bombardés que nous avons dû partir très vite », poursuit Mme Kouzemko, de l’Institut botanique. Une mine a également été découverte à 200 mètres de la voiture des chercheurs.
Mais un scientifique est « passionné » quand il travaille, donc « il ne se soucie pas de ce qui vole autour », s’enthousiasme M. Khodosovtsev, le regard exalté.
Si le ministère de l’Environnement estime les dégâts environnementaux causés par la destruction du barrage à 3,5 milliards d’euros, il reste “très difficile de parler des conséquences à long terme”, souligne Rouslan Strilets.
“Ce qui se passe dans l’ancien réservoir de Kakhovka est véritablement un phénomène unique au monde”, ajoute-t-il. “Le fait est que la nature change.”
L’Ukraine entend condamner la Russie pour écocide. Selon elle, des dizaines d’espèces animales et végétales, dont certaines endémiques, sont aujourd’hui menacées de disparition.
Le gouvernement ukrainien envisage également de reconstruire le barrage de Kakhovka lorsque cela sera possible.
Les militants écologistes ukrainiens s’y opposent fermement et souhaitent plutôt laisser l’écosystème retrouver son état d’avant le barrage.
M. Khodosovtsev espère que ses recherches contribueront à éclairer ce débat. « Parce que le monde entier, y compris l’Ukraine, regarde toujours ce qui se passe sur les terres du réservoir de Kakhovka », dit-il non sans une pointe de fierté.
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