Il déboule à l’image de son image : sourire ravageur, bagues aux doigts et cheveux savamment ébouriffés. Voici Romain Duris, avec juste quelques rides en plus mais toujours la même énergie détendue qu’à son arrivée dans le cinéma français en 1994 (Le jeune péril). Plus que quiconque, il sait incarner le garçon de son temps : les années 1990, la jeunesse désinvolte de Bastille puis la maturité progressive avec la trilogie Klapisch (L’auberge espagnole, poupées russes, Casse-tête chinois), tandis que d’autres réalisateurs y ont apporté une profondeur différente (Mon cœur a arrêté de battre by Jacques Audiard, À Paris by Christophe Honoré, Persécution de Patrice Chéreau…) ou un glamour décalé (Le briseur de coeur by Pascal Chaumeil).
L’éternel jeune homme a eu 50 ans cette année et le cinéma lui propose un nouveau chapitre, celui du mousquetaire dans Martin Bourboulon mais aussi celui du père quadragénaire sensible et combatif qu’il incarnait dans Nos combats de Guillaume Senez, dans Le règne animal par Thomas Cailley et maintenant dans Une pièce manquantedans lequel il incarne un père prêt à tout pour revoir sa fille.
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LA TRIBUNE DIMANCHE – On a envie de se dire « bonjour » mais on devrait peut-être dire « Ohayo Gozaimasu » en japonais : vous avez appris cette langue pour le film de Guillaume Senez et avez vécu quelques mois au Japon…
ROMAIN DURIS– Je l’ai appris phonétiquement, avec un coach qui m’envoyait des phrases ; J’ai travaillé le son, répétant pendant des journées entières. Finalement, nous repérons des mots et avons l’idée de parler japonais ! J’étais déjà allé plusieurs fois au Japon, mais c’était vraiment lorsque j’étais dans les rues de Tokyo pour la présentation de Nos combats [2018]mon premier film avec Guillaume, dont je lui ai dit : « Il faut faire un film ici ! » Par la suite, il a trouvé son sujet en discutant avec des expatriés qui se trouvaient dans la situation évoquée dans le film. Avant, j’avais vaguement entendu parler du problème de la garde partagée, non seulement au Japon mais dans toute l’Asie…
On voit souvent des films sur les migrants qui arrivent en France, mais ici, c’est le Français qui est l’étranger dans un autre pays. Vous avez déjà rencontré une autre culture dans Gadjo dilo par Tony Gatlif. Aimez-vous cet exercice d’adaptation?
C’est intéressant d’adopter ce parti pris, de devenir un outsider, d’avoir un nouveau regard sur une autre population. Cela change notre place et ce sont des situations « payantes » cinématographiquement parlant. J’aime cette ouverture d’esprit, qui est assez naturelle pour moi… Contrairement au personnage, je n’ai pas vécu dix ans au Japon ; donc pour être crédible rapidement, il faut être disponible, savoir s’oublier et beaucoup regarder, être curieux. J’ai passé trois mois à vélo autour de Tokyo parce que j’avais besoin de « manger » à chaque coin de rue.
Avec Nos combats et Le règne animalc’est votre troisième film récent sur la parentalité et les pères seuls… Depuis le jeune parisien que vous incarnez à vos débuts et désormais les rôles de père de famille quadragénaire, avez-vous l’impression d’avoir grandi devant la caméra ?
Oui, il y a une logique dans tout ça : j’explore mon métier et je me rends compte que la relation paternelle est magnifique. Jouer un père procure une formidable émotion. Ce sont souvent des pères un peu fragiles, gênés, des pères séparés de leurs mères ; J’aime qu’il n’y ait pas le côté « confort » des « couples » au cinéma… que j’ai beaucoup joué ! L’amour paternel inconditionnel est passionnant car il comble pleinement : on n’est jamais vide ou léger avec l’amour d’un enfant. En plus, j’ai de la chance avec les castings : le choix de « mes » enfants est toujours assez miraculeux ! Avec Paul Kircher [son fils dans Le Règne animal]nous sommes vraiment devenus amis !
Le succès de Règne animal auprès des jeunes, cela a-t-il encore élargi votre audience, au-delà de ceux qui vous suivent depuis vos 20 ans ?
C’est un film très mémorable et ce n’était que joie du début à la fin, de la rencontre avec le réalisateur, la lecture du scénario, les essais avec Paul, le tournage, le public, les prix… Je comprends le regard extérieur que les gens ont sur ma carrière mais j’essaie de ne pas avoir cette distance : je ne regarde pas ma « carrière » et je me protège beaucoup, peut-être à tort… J’évite beaucoup les retours sur mes films, même si ceux de Règne animal ont été très chaleureux et son succès s’explique : on pouvait y voir un film d’auteur très spécifique, mais Thomas Cailley avait une manière de délivrer son message qui parlait à tout le monde, au-delà de la France. Des films comme celui-ci sont rares.
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Les jeunes comédiens d’aujourd’hui incarnent une jeunesse plus soucieuse de l’avenir, du changement climatique et de la politique que le cool parisien que vous incarniez à vos débuts. Etes-vous nostalgique des années 1990 ?
Je n’ai pas de nostalgie, ce n’est pas dans mon caractère… mais c’est vrai que les années 90 ont été belles et folles. Maintenant, il y a les réseaux sociaux, qui me font peur. Avant, tout se passait « dehors » : les concerts se faisaient dehors, la peinture et les graffitis aussi, on traînait… On rencontrait beaucoup de réalité, même si parfois c’était impressionnant. Je n’étais pas devant la télé, je ne l’avais même pas, il n’y avait pas de confinement. Il se passait tellement de choses dans la musique à cette époque, le rap français se portait bien – comme aujourd’hui -, l’électro arrivait et tout ce monde était très actif.
Vous avez joué dans la série Vernon Subutexadapté du livre de Virginie Despentes, dans lequel vous incarnez un fou… rock. Pas trop difficile de passer de l’autre côté ?
C’est vrai que je n’ai jamais écouté de rock, ce n’était pas mon truc ! Je suis passé du reggae au rap et à l’électro, tout ça mélangé… J’écoutais Rocca, La Cliqua, le 113, DJ Mehdi, Fonky Family… ces groupes étaient fous. J’adore Virginie Despentes et j’ai beaucoup aimé incarner ce personnage pris dans un moment de vie assez puissant, avec une liberté rare. J’ai dû écouter du rock pendant des mois parce que je n’y connaissais rien, et c’était intéressant ! Mais rien n’y fait : je ne « bouge » pas le rock, je ne « bouge » toujours pas le rock.
Vous avez également joué dans Le briseur de cœurune comédie romantique populaire rare dans votre filmographie. Pourquoi avoir fait ce pas de côté ?
J’adore les comédies romantiques, mais il faut qu’elles soient bien écrites. Les scénarios de comédie sont compliqués ; J’en lis beaucoup, mais ils ont toujours de gros sabots, ça me met mal à l’aise. Pour Le briseur de cœur aussi, j’avais peur… Peut-être parce que se pose la question du sens de l’humour : comment peut-on jouer dans un film si on n’a pas le même humour que le réalisateur ? Je sais qu’il faut lâcher prise et se lancer, mais une comédie ratée me fait mal, je n’aime pas le goût qu’elle me laisse. Il faut toujours bouger et varier les projets : j’ai adoré travailler avec Jacques Audiard, Christophe Honoré, Patrice Chéreau, etc., qui m’ont apporté beaucoup de poésie, des personnages d’univers différents. Ils ont des personnalités très fortes, différentes de celle de Cédric Klapisch. J’ai eu beaucoup de chance de tous les rencontrer.
Guillaume Senez a réalisé en partie la série politique Dans l’ombre. Un engagement politique, même sous-jacent, est-il important dans vos choix de films ou est-il devenu trop compliqué en 2024 d’exprimer publiquement son engagement, par peur des réseaux sociaux ou de voir des contrats vous échapper ?
Oui, bien sûr, c’est toujours important, mais mon engagement vient plus du fait de participer à un film, d’avoir réfléchi sur le sujet et de l’avoir défendu. J’ai un engagement de citoyen mais l’exercice public est compliqué, surtout avec mon caractère : j’ai toujours été discret et pas doué pour dire des bêtises à la télévision ! On nous demande de réagir sur trop de choses, de commenter chaque fait d’actualité… J’ai toujours eu peur, depuis mes débuts, d’avoir une opinion et de la lancer : qui sommes-nous pour faire des raccourcis sur tous les sujets ? Je suis acteur, pas politicien, ce qui est un vrai métier.
Romain Duris a rencontré La Tribune dimanche à Paris. (Crédits : LTD/CYRILLE GEORGE JERUSALMI)
Sauf Cathy Verney pour la série Vernon Subutexvous n’avez jamais travaillé avec des réalisatrices. Êtes-vous conscient de ce que les réalisateurs projettent sur vous en tant qu’homme ?
Ils ont l’intelligence de ne jamais trop me le faire ressentir et ils me laissent toute la marge pour imaginer le personnage. Je n’ai jamais senti qu’un réalisateur voulait trop me faire jouer ce qu’il était ou ce qu’il avait vécu. Mais j’aimerais travailler avec beaucoup de réalisatrices : Céline Sciamma, Julia Ducournau, Noémie Merlant, Laetitia Dosch… Je trouve qu’il n’y a aujourd’hui que des réalisatrices brillantes. Je ne sais pas qui sera le prochain car je suis acteur et je dépends du désir du cinéaste, mais j’ai hâte, ce sera génial.
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Vous dessinez et avez exposé vos dessins, mais vous aimeriez réaliser un film ?
Oui ! J’adorerais diriger des acteurs… Je me pose la question de l’adaptation pour tous les livres que j’ai lus récemment… mais comment éviter la pression ? Je suppose qu’il faut se lancer sans trop se poser de questions, et je m’en pose trop. Sauf en dessin : j’arrive à rester spontanée et à ne pas trop juger ce que je fais. Un dessin, c’est rapide à réaliser, quinze jours maximum, mais pour un film qui prend trois ans de sa vie, comment ne pas être totalement paralysé par son propre jugement ? Bravo à ceux qui le font, cela demande un lâcher prise que je n’ai pas encore. Mais quand je trouverai une adaptation de livre, j’aurai une histoire solide et je pourrai repartir en toute confiance.
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