Tu nous parles d’une petite fille…
Qui a déjà douze ans mais en paraît neuf et qui découvre l’hiver dans un pays apaisé, elle caresse les premières neiges qui tombent sur Stockholm et confond les flocons avec le duvet blanc… Une petite fille qui paraît neuf ans, dix ans, mais son regard est celui d’une femme, elle a tant vu, à Stockholm elle raconte lors d’une conférence une histoire de soldats qui viennent dans son village, une histoire de fusillade et d’une mère qui se retourne au moment de la chute, dit-elle qu’elle était presque écrasée sous son corps mère, et qu’elle a fini par s’extraire de l’abri du tas de morts, elle et sa petite sœur et une amie, et elle raconte comment les bombes sont tombées aussi, comment les fourmis rouges attirées par le sang ont piqué les enfants survivants…
Il est dans l’humanitécette histoire qui pourrait dater d’aujourd’hui mais elle est pourtant ancienne, 54 ans, le journal l’a publiée pour la première fois en novembre 1970… elle témoigne d’un village du Vietnam au moment de la guerre américaine, quand les gauches mondiales manifestaient contre les abus des GI’s, venus contenir le communisme en Extrême-Orient… cette histoire témoigne d’un grand journaliste engagé, communiste, qui pour Huma dans un langage dur et urgent, avait relayé l’histoire de la petite fille, son il s’appelait Da, cet orphelin, et la journaliste s’appelait Madeleine Riffaud, décédée hier, cent ans, sans avoir su que Donald Trump, en Amérique, était triomphant…
Vous lirez sur les sites du monde ou de Libération portraits chaleureux de Madeleine Riffaud, à qui nous allions rendre visite chez elle le soir de sa vie, aveugle, fumant des cigares Cohiba… Elle était devenue une lumière dans nos incertitudes, une bande dessinée lui était dédiée, nous allions la toucher l’héroïsme de la guerre, racontent sans cesse une jeune femme entrant dans la résistance, exécutant à bout portant un soldat allemand sur la passerelle de Solférino, capturant un train ennemi sur la voie ferrée du Parc des Buttes de Chaumont…
Vous lirez ceci, l’avez peut-être déjà lu, et avez déjà vu sa beauté rayonnante, son intensité qui ne la quittait jamais, la tresse vietnamienne qui ornait son visage, l’amitié dont Picasso et Eluard qui l’honoraient après la guerre aimaient ses poèmes. … Mais l’humanité a le bon goût d’oublier aussi certains de ses reportages, elle était de la maison, et de nous offrir ce qu’elle était alors après la poudre, une plume combattante, qui nous raconte nous-mêmes les Français opprimant en Algérie, les Américains tuant en Algérie. Le Vietnam, raconte aussi la grande misère de nos hôpitaux… Elle était poète, mais dans ses articles elle se battait – elle était une des sincérités absolues de ce pays…
Elle était aussi – je l’ai découvert – une adolescente violée par un passeur sous l’occupation, avant la résistance, qui devait lui faire franchir la ligne de démarcation… Cette histoire n’était pas au centre de sa vie de ses récits, comment ne pas penser que elle a aussi construit sa colère ?
On parle d’autres femmes…
Femmes de combat et de souffrance que je retrouve dans Le Figaro, le carnet littéraire, où deux livres m’éclairent sur notre actualité…
Le premier livre s’intitule « Le peuple oublié de l’Arkansas ».l’auteur, Monica Potts, est journaliste, elle revient pour une enquête dans sa ville natale, Clinton, Arkansas, qu’elle a fuie ; « un trou, une laveuse, une machine à écraser ses habitants », écrit Le Figaro, où les filles tombent enceintes à 14 ans, se marient à 15 ans quand elles ne font pas d’overdose, ne se suicident pas et ne sombrent pas dans l’alcoolisme. Les parents sont évangéliques, anti-vax et pro-Trump…. » A Clinton, Monica, qui enquête sur la mortalité croissante des femmes blanches sans instruction, retrouve son amie d’enfance Darci, qu’elle n’a pas quittée, toxicomane en couple avec un mec qui n’est pas une blague, elle pense aussi Monica à sa mère destin raté…
La mère qui fait aussi l’objet de l’écrivain et journaliste italien Maria Grazia Calandrone, auteur de « Ma mère est un fait divers », qui est également revenue aux origines, au destin des femmes des Abruzzes où les filles étaient battues pour qu’elles consentent au mariage, sur la photo d’elle, Lucia, la mère de l’auteur, avec la lèvre fendue, ” les yeux opaques de la proie qui fait semblant d’être absente. En 1965, Lucie se jeta dans le Tibre et mourut, après avoir laissé sa petite fille dormir sur la pelouse de la Villa Borghèse à Rome, et après avoir envoyé une lettre pour qu’on la retrouve et qu’on sache qu’elle était confiée « à la compassion générale ». », le mot était beau, la lettre avait été envoyée à l’Unita, le grand journal communiste italien auquel Le Figaro rend hommage – Madeleine Riffaud sourit, où elle est… Je me demandais à quel point l’épreuve et la bravoure de Lucia, dont l’inhumation n’a pas eu lieu dans l’église, appartient au passé.
Dans Revue de philosophie et le Nouvel Obs, on me raconte comment une dispute philosophique est devenue une affirmation d’identité dans l’art pictural… Elle opposait Averroès, l’immense philosophe de l’Espagne musulmane du XIIe siècle, qui rendit Aristote intelligible à ses contemporains, et le dominicain Thomas d’Aquin. , dont l’Église a fait un sain… Pour le dire très vite, vous lirez, Averroès avait soutenu que l’intellect, l’intelligence, était le même pour tous les hommes, était éternel et séparé de les hommes – nos individualités de pensée nées de nos fantasmes, de nos imaginations… Thomas d’Aquin a décrété que la conception d’Averroès niait la pensée et faisait de l’homme un animal, nous étions alors durs, et Averroès était mort quand Thomas l’a attaqué… Mais plus encore que l’argumentation, c’est la représentation qui était violente, ce qu’analyse un historien médiéviste, Jean-Baptiste Brenet, dans un livre brillant… Pendant deux siècles et dans nos musées aujourd’hui, Thomas fut représenté en sage triomphant, surplombant Averroès habillé en Guerrier sarrasin – et il ne s’agissait plus de débattre de l’intelligence, mais d’exprimer en images la supériorité du christianisme sur l’islam, exclu de la pensée… Ainsi déjà, par d’astucieux raccourcis on transgressait la raison…
Vous nous parlez enfin d’une expulsion…
Qui menace un dénommé Abdi, sous emprise d’une OQTF, mais que nous sommes venus défendre hier devant le tribunal administratif de Rennes, J’ai lu ça dans Ouest-France… Nous, soit une cinquantaine de personnes dont Isabelle Clément Vitoria, maire de la commune d’Hédé-Bazouges, où habite Abdi, et aussi le patron d’Abdi, il tient un restaurant, et aussi des amis d’Abdi, des bénévoles du Association des Etonnants voyageurs, et des compagnons d’Emmaüs aussi, car Abdi est à Emmaüs… Et ils décrivent tous un type bien, une belle personne, un facilitateur de mises en relation, un homme engagé… Et ils l’entourent après l’audience, dis-lui de rester fort…
Et ce que je vous raconte, déjà émouvant, ne serait qu’un de ces épisodes de solidarité populaire qui s’oppose à la logique de l’Etat si Abdi n’était pas un individu expulsable…
Abdi était pirate chez lui en Somalie, et s’il vit en France, c’est qu’en 2009, il faisait partie des pirates qui avaient kidnappé l’équipage d’un voilier breton, le Tanit… L’affaire avait tourné au drame lorsque les Français la marine, pour récupérer les otages, a tué l’un d’entre eux par erreur… On retrouve cette histoire dans les archives de Ouest-France et d’autres journaux. Assis devant le tribunal, Abdi et deux autres pirates avaient raconté leur vie de misère, s’ils étaient nés français, ils ne seraient pas devenus pirates…
A sa sortie de prison, Abdi a découvert qu’il était français, du moins de cœur et d’amitié… Mais après tant d’années l’administration s’est souvenue de son passé que parfois ses amis découvrent, quand on le défend… Ils ne le défendent pas moins, nous comprenez que nous changeons, vous avez le droit d’être oublié.…
Chloé Lemaçon, la veuve de Florent Lemaçon, le skipper tué par nos marins, est une des amies d’Abdi, elle l’a soutenu hier à Rennes… Alors la vie nous emmène là où on ne l’attendait pas.
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