« Ma belle chouette »… De ses yeux bleus malicieux, Ardaches Papazian contemple l’objet qui vient de lui être offert. Cela fait trente et un ans que le joaillier prend en charge « sa » chouette en or. « J’ai perdu l’habitude », glisse-t-il, un peu moqueur, en remettant la statue sur son socle. Il y a quelques jours, les fondateurs du jeu se sont rendus à Lyon pour lui demander de redonner à l’oiseau « son éclat d’antan », avant de le remettre définitivement au vainqueur de l’énigme.
Car si on a beaucoup parlé de la chasse au trésor et de sa récente résolution, le joaillier était resté quelque peu dans l’ombre. Pourtant, c’est lui qui a réalisé l’objet tant convoité. « Un sacré défi », résume-t-il en nous accueillant dans son petit atelier, situé tout près de la place des Terreaux. « Au début, je pensais à une médaille. Je n’aurais jamais imaginé que ce serait aussi gros », rit-il en écartant les bras en guise de démonstration.
Bouche à oreille de Pierre Bellemare
Comment ce joaillier d’origine libanaise est-il devenu associé à la plus grande chasse au trésor de France ? Grâce à « Pierre Bellemare », il répond avec son éternel sourire : « C’est lui qui a dit aux créateurs du jeu : « appelle Papazian à Lyon » ».
Nous sommes en 1993. Michel Becker, l’un des cofondateurs de La Chouette d’or, recherche activement un artisan pour lui donner vie. L’expérience entreprise avec un fondeur parisien s’est soldée par un échec. Il y a donc urgence à trouver la perle rare. Pourtant, loin de la capitale, « Papaze » jouit déjà d’une solide réputation dans la communauté. Débarqué entre Rhône et Saône dans les années 1970 après avoir fui son Beyrouth natal, l’homme attire rapidement l’attention des plus grandes bijouteries. Il apprend le métier à 14 ans, sur le tas. « Au bout de deux ans, j’en maîtrise tous les aspects et je me lance seul. Pour nous, c’était une routine. Au Liban, c’est gagner ou mourir, on ne peut compter que sur soi. J’ai commencé à 16 ans et j’avais déjà trois salariés », souligne-t-il.
À 18 ans, il se retrouve à la case départ. Les bombes ont détruit son atelier. Le jeune homme décide de tenter l’aventure à l’étranger et pose ses maigres affaires à Lyon, où sa créativité fait mouche. L’artisan gravit progressivement les échelons et décide au bout de dix ans d’ouvrir sa propre boutique. Pierre Bellemare le repère alors et fait régulièrement appel à lui pour ses émissions de télévision. « C’est ainsi que le lien s’est fait », résume le joaillier. « J’avais préparé une petite chouette en cire. Quand Michel Becker est venu nous exposer ses plans, je n’y croyais pas, rigole-t-il. J’ai répondu que je n’étais pas équipé pour ce type de travail. « . D’autant que le temps presse, la chouette doit être prête dans trois semaines.
Une mission délicate
La mission est délicate. « S’il n’y avait eu que de l’argent ou de l’or à fondre, cela aurait été moins problématique. Mais il y avait les deux. C’était un problème. Il faut savoir que l’argent fond à 600°C et l’or à 800°C, rappelle Ardaches Papazian. De plus, je n’avais pas encore de four pour faire fondre le métal. Mais je voulais réussir. » L’homme collabore avec un fondateur et enchaîne les journées à un rythme effréné, « entre 16 et 18 heures de travail par jour pour respecter le délai ».
La soudure lui a particulièrement donné du fil à retordre, se souvient-il de façon hilarante. « Il y avait un tel four dans l’atelier. Les employés qui se trouvaient à proximité étaient dans l’eau. C’était de la folie. » L’équation n’est pas simple à résoudre : utiliser le chalumeau le plus près possible – sans combinaison appropriée sur le moment – et affronter une « chaleur insupportable », ou s’éloigner mais risquer que le métal ne fonde pas assez. « J’ai fini par trouver une solution : fabriquer un fil de deux mètres pour souder sans trop m’approcher. » Pour polir la statue et créer le plumage de l’oiseau, l’artisan fera encore une fois appel à son imagination. « J’ai trouvé un petit outil qui me permettait de faire exactement ce que je voulais tout en gagnant du temps », avoue-t-il. Aujourd’hui, il existe des machines 3D pour nous aider. Il y a trente ans, nous faisions tout à la main. »
Aujourd’hui, Aradaches Papazian est « fier » de sa chouette. « Je ne pensais pas qu’il faudrait autant de temps pour la retrouver », glisse-t-il malicieusement, tout en affirmant qu’il n’a jamais su où elle se cachait. Au moment de dévoiler les dernières retouches apportées à l’oiseau, le joaillier avoue, dans une vidéo postée sur YouTube, avoir « travaillé entre 15 et 20 heures » pour ajouter les diamants manquants, reprendre la tête qui présentait plusieurs « fissures ». » après un choc. “Tout est rattrapé, elle est encore meilleure que le premier jour”, conclut-il en passant une dernière fois la main sur les ailes de son “bébé”. Un hibou prêt à s’envoler loin de lui.
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