La promesse d’achat a été faite en juin par l’ancien locataire de Bercy. Elle sera officialisée ce mardi 5 novembre lors d’un déplacement du ministre de l’Economie Antoine Armand sur le site industriel Alcatel Submarine Networks à Calais. Grâce à l’ASN (et à Orange Marine), le pavillon français aligne la plus grande flotte de câblodistributeurs au monde. Un enjeu de souveraineté et d’indépendance technologique, fait valoir Bercy.
Les négociations entre l’Etat et Nokia ont duré longtemps. Mais ils semblent avoir trouvé une issue depuis la promesse d’achat faite fin juin par Bruno Le Maire. Alors ministre de l’Économie et des Finances, le locataire de Bercy avait annoncé son intention d’acquérir, via l’Agence des participations de l’État (APE), 80 % du capital d’Alcatel Submarine Networks (ASN) auprès du groupe de télécommunications finlandais. Le rachat devrait être officialisé et détaillé ce mardi 5 novembre, lors d’un déplacement particulièrement « étudié » du ministre de l’Economie, Antoine Armand, à l’usine ASN de Calais où travaillent 600 des 1 370 salariés. de cette entreprise spécialisée dans la fabrication, l’installation et la maintenance de câbles sous-marins. ” C’est un projet qu’il souhaite partager en premier avec la direction et les salariés de l’entreprise. », indiquent ses prestations.
Il devrait être en terrain conquis. Les instances représentatives du personnel, qui devaient commenter l’opération dans le cadre de la procédure d’information-consultation, l’ont également validée. “CIl est important de le souligner car les négociations se sont conclues sur un alignement quasi parfait de tous les acteurs impliqués. », se félicite-t-on au ministère. Le groupe de télécommunications – parmi les tout premiers acteurs mondiaux du câble aux côtés de l’américain SubCom et du japonais NEC – devrait conserver une participation de 20 % et une représentation au conseil d’administration jusqu’à sa sortie définitive et « ciblé », a un jour assuré le « transition en douceurr», indiquait le communiqué de l’actionnaire actuel en juin.
« Un investisseur responsable »
« Nokia s’est comporté en investisseur responsablerapporte aujourd’hui le conseiller d’Etat, actionnaire d’Antoine Armand, Pierre-Léonard Rouzaud. L’entreprise a investi massivement, à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros ces dernières années, contribuant à assurer sa résilience et à développer son chiffre d’affaires. Entre 2019 et 2022, les effectifs ont également augmenté de près de 30 %. De nombreux efforts ont également été déployés pour moderniser cette usine. [de Calais] ».
Dans ces conditions, le désengagement de Nokia peut poser question. ” Il s’agit d’une réorientation stratégique de leur part. Nokia a déclaré publiquement qu’il cherchait à se recentrer sur les réseaux optiques terrestres. « . L’équipementier finlandais souffre actuellement de la faiblesse de ses marchés et a enregistré un repli de 8% de son chiffre d’affaires au troisième trimestre, à 4,3 milliards d’euros mais une hausse de 32% de son bénéfice net, à 175 M€.
Une entreprise stratégique et rentable
« L’État actionnaire peut apporter cette vision de long terme dont ces entreprises industrielles, qui disposent d’un savoir-faire à la maîtrise industrielle très particulière, ont besoin de développer. », assure Alexis Zajdenweber, commissaire aux participations de l’État, établissant un étrange rapport avec la nationalisation en cours de l’entreprise de supercalculateurs Atos, en difficulté financière depuis plusieurs mois, avec une dette abyssale de 5 milliards d’euros. Sur le rôle industriel de l’État, Antoine Armand entend « développer la doctrine », a-t-il déjà eu l’occasion de le mentionner, estimant que cela « il faut être un stratège ».
ASN, ancienne division câbles sous-marins d’Alcatel, qui figure parmi les leaders mondiaux (33% de part de marché) dans la fabrication, l’installation et la maintenance de câbles sous-marins avec plus de 800 000 km de systèmes optiques sous-marins déployés grâce à sa flotte de 10 câbliers sous le Pavillon français, avait déjà fait l’objet de négociations en 2019 en vue d’un rachat par l’équipementier français Ekinops. La transaction a échoué. Pourtant, dès son entrée dans le giron de Nokia suite à la fusion avec Alcatel-Lucent en 2015, l’État français est parvenu à négocier un droit de regard en cas de vente.
Le gouvernement devrait faire une belle affaire en déboursant à peine 100 millions d’euros pour une entreprise dont la valorisation est estimée à 350 millions d’euros et dont le chiffre d’affaires dépasse 1 milliard d’euros. ” C’est à la fois une acquisition d’importance stratégique, à bien des égards emblématique de nos investissements, mêlant enjeux de souveraineté et dimension stratégique indéniable, mais au-delà, c’est une opération qui se veut rentable. », reconnaît Alexis Zajdenweber.
La France, leader mondial des câblodistributeurs
A l’ère de la digitalisation, alors que 97% des flux d’informations mondiaux, notamment financiers, militaires ou étatiques, transitent par 450 câbles sous-marins à fibres optiques, disposer d’une flotte de navires permettant l’installation, la maintenance et leur suivi représente un avantage géopolitique certain. En l’occurrence, avec une poignée d’entreprises – Orange Marine et Alcatel Submarine Network – et une flotte de 13 câbliers, le pavillon national est leader mondial (30 % en unités et 46 % du contingent en service). Les câbliers font partie de ces navires dits essentiels qui doivent étoffer le bataillon dit de « flotte stratégique » auquel le gouvernement cherche à donner corps.
Ces dernières années, la demande en matière de transmission de données a explosé, portée par l’énorme demande des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Les géants du web ont d’abord travaillé avec les opérateurs historiques. Aujourd’hui, ils opèrent en partenariat ou assurent même eux-mêmes leur câblage sous-marin. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes d’espionnage à grande échelle. La crainte des opérateurs historiques est de voir se créer sous les mers un réseau indépendant, instrument d’une bataille économique entre blocs.
Louis Dreyfus Armateurs at the helm
A ce jour, c’est l’armateur français Louis Dreyfus armateurs (LDA) qui gère, sous pavillon rifain, la flotte des câbliers de l’ASN, portant tous des noms d’îles de la côte métropolitaine : Ile de Batz, Ile de Bréhat, Ile de Sein, Ile d’Aix, Ile d’Ouessant, Ile de Molène et Île d’Yeu. Ce dernier est un géant du câblage avec ses 148 m de longueur et sa capacité d’emport de 8 500 t, de quoi immerger 15 000 km de câbles. Il a été baptisé le 13 juin 2023 à La Rochelle.
Pour mémoire, c’est LDA, alors lauréate de l’appel d’offres lancé par Alcatel dans les années 2000 auprès de 12 compagnies maritimes pour exploiter la flotte, qui a convaincu l’équipementier de télécommunications de disposer de ses propres navires. Jusqu’alors, Alcatel, qui contrôlait jusqu’à 50 % du marché mondial de la pose de câbles sous-marins, se contentait d’être un affréteur et une relation client-fournisseur classique. Au lieu de cela, elle a été intégrée dans une filiale commune avec LDA (51/49%) jusqu’en 2015, date à laquelle la coentreprise sera vendue. Le positionnement de Louis Dreyfus Armateurs dans l’installation et la réparation de ces grosses canalisations nécessitant un savoir-faire particulier est une des intuitions de marché que l’ancien vraquier a « ressenties » avant l’heure.
Extrêmement fragile
« L’actualité nous a prouvé que le sabotage en mer est possible, qu’il s’agisse de câbles sous-marins ou de gazoducs. », indique le rapport du député varois Yannick Chevenard, que le gouvernement a mandaté pour mener à bien le concept de flotte stratégique. ” Il est donc vital d’assurer la maintenance et l’entretien de notre parc de câbles afin de pouvoir rétablir très rapidement le fonctionnement de nos communications en cas de conflits, faute de quoi nous ne pourrons pas les surveiller. », recommande le parlementaire.
Le réseau d’infrastructures de fibre optique – dont on estime le nombre à 450, totalisant plus de 1,2 million de km – est particulièrement vulnérable aux phénomènes naturels et aux accidents provoqués par les ancres de navires ou les filets de pêche (en moyenne 150 pannes par an). Mais dans le contexte de guerre actuel, c’est l’intention de nuire qui est redoutée, comme le souligne un récent rapport du Forum international du Golfe.
La probabilité d’un acte malveillant n’est pas le fruit de l’imagination. Les entreprises de télécommunications yéménites ont tiré la sonnette d’alarme début février, craignant une action de sabotage du groupe militant proche de l’Iran sur les câbles de la mer Rouge après un message implicite diffusé sur Télégrammechaîne acquise auprès des intérêts Houthis. La mer Rouge est traversée par seize de ces grands tuyaux (et six autres sont prévus) sur quelque 2 000 km, reliant ainsi l’Europe à l’Inde et à l’Asie de l’Est, rappelle l’entreprise de télécommunications yéménite. L’un des plus importants est le câble AAE-1 Asie-Afrique-Europe de 25 000 km.
Si un rapport européen datant de 2022 (Menaces pour la sécurité des câbles et infrastructures de communication sous-marins – conséquences pour l’UE), exclut un scénario de black-out total au sein de l’UE, il est moins catégorique en ce qui concerne les territoires français d’outre-mer, ultra dépendants des câbles sous-marins pour leur accès à la connectivité mondiale.
Adeline Descamps
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