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« La violence est entrée dans nos campus »

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Une opération d’évacuation au campus Mermoz, après que le ministère de l’Éducation nationale a ordonné aux étudiants occupant illégalement des chambres dans des résidences universitaires de quitter les lieux, au quartier Cocody, à Abidjan, le 7 octobre 2024. ISSOUF SANOGO / AFP

Le gouvernement ivoirien vient de sonner le glas de la Fédération étudiante et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci). Une décision annoncée en deux phrases concises, à la fin du communiqué du Conseil national de sécurité (CNS) réuni jeudi 17 octobre sous la présidence d’Alassane Ouattara : « Le ministre [de l’enseignement supérieur] a proposé la dissolution de toutes les associations syndicales étudiantes. Le Conseil national de sécurité a approuvé ces propositions. » Un décret gouvernemental devrait officialiser dans les prochains jours la dissolution du puissant syndicat étudiant, plongé dans la tourmente depuis plusieurs semaines par une histoire de double meurtre.

Mercredi, les deux ministres interrogés sur le sujet se sont néanmoins montrés réservés devant la presse. “ Je n’ai pas l’habitude de commenter des actions qui s’inscrivent dans le cadre d’une procédure judiciaire. », avait esquivé le porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly, à l’issue du conseil des ministres, tout en reconnaissant que « la violence est entrée dans nos campus et nos universités qui ne peut plus être accepté ».

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Interrogé par Le quelques heures plus tard à « Rencontre RHDP »Dans la chronique bimensuelle du parti présidentiel, son porte-parole Kobenan Kouassi Adjoumani a renvoyé la balle au tribunal de justice. ” Là où il y a un décès, dans un pays de droit, la politique ne doit pas intervenir, il a déclaré. S’il est avéré que les dirigeants actuels de la Fesci sont à l’origine [de ces crimes]la justice décidera du sort des personnes impliquées dans le meurtre, et ensuite la justice fera son travail. »

Dix-sept membres de la Fesci, dont son secrétaire général Sié Kambou, ont en effet été arrêtés et placés sous mandat d’arrêt, révèle le communiqué du CNS. Ils font l’objet d’une enquête pénale sur deux meurtres successifs, commis en quelques semaines.

« Un gros lot d’armes blanches »

La première est celle de Khalifa Diomandé, 30 ans, battu à mort fin août. Étudiant en deuxième année de master en criminologie, adhérent au syndicat, il serait tombé dans un « embuscade » tendu par plusieurs « féscistes » à la demande d’un certain Benié Assy, « mécontent de l’issue d’une affaire de bourse universitaire », a indiqué le procureur de la République dans un communiqué le 7 octobre. Transporté par ses agresseurs au CHU de Cocody, il y a été soigné avant de regagner son domicile, où il est décédé des suites de ses blessures.

Un autre étudiant, Mars Aubin Déagoué, 49 ans, connu à la Fesci comme le rival de Sié Kambou, a été à son tour assassiné dans la nuit du dimanche 29 au lundi 30 septembre. Ce dernier aurait été « kidnappé puis agressé par des individus identifiés comme membres » de la Fesci, selon les autorités.

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Outre cette vague d’arrestations, les ministères de l’Enseignement supérieur et de l’Intérieur avaient temporairement interdit les activités de toutes les associations syndicales étudiantes. Et lancé, dès le 2 octobre, plusieurs opérations » assainissement dans les campus universitaires ».

Selon le CNS, ces opérations auraient permis « la saisie d’un important lot d’armes blanches dont 107 machettes, grenades et plusieurs autres matériels, notamment des treillis des forces de défense et de sécurité « . Ils auraient également permis la découverte et la destruction de « de nombreuses entreprises illégales ainsi que quatre fumoirs, un bordel et un tunnel de torture ».

Gestion opaque des locations étudiantes

Les autorités ont expulsé principalement 5 000 individus hébergés » irrégulièrement » sur les campus d’Abidjan, Bouaké et Daloa, tandis que la sous-location des salles universitaires constituait un apport financier pour la Fesci. L’organisme officiellement en charge, le Centre régional des œuvres universitaires (Crou), ayant perdu partiellement le contrôle des loyers étudiants ces dernières années, a en fait laissé l’organisme le gérer dans des conditions opaques.

Sous son règne, « 35% des lits universitaires étaient occupés illégalement, a rappelé mercredi Amadou Coulibaly, soit environ 5 000 lits sur un total d’un peu plus de 14 000. Soit par des étudiants qui ne remplissaient pas les conditions d’attribution des chambres, soit par des ouvriers, voire par des fonctionnaires. »

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La décision de dissoudre le syndicat a toutefois surpris les observateurs jusque dans les rangs du camp présidentiel, jusque-là divisés sur le sujet. ” Les plus radicaux voulaient la dissolution de la Fesci, reconnaît un cadre supérieur, mais la plupart ne le voulaient pas. Ceux-ci estiment qu’il ne faut pas confondre le secrétaire général, impliqué dans ces affaires d’assassinats, et la Fesci comme une institution qui, selon eux, a amorcé sa transformation et se présente de plus en plus comme une structure œuvrant pour la paix sur les campus. »

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Car, malgré ses dérives et ses pratiques violentes, la Fesci a su s’imposer depuis sa création en 1990 comme une institution incontournable pour les étudiants, capable de pallier les nombreuses insuffisances du système universitaire. ” Les problèmes à l’école et à l’université sont énormes, souligne le politologue Geoffroy-Julien Kouao. Les étudiants estiment que la Fesci est la seule association capable de défendre leurs intérêts. »

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Tous les efforts visant à éradiquer le Fesci au cours des trois dernières décennies se sont soldés par un échec. Lorsque le gouvernement d’Alassane Ouattara, alors premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, déclare sa dissolution en 1991, le mouvement parvient à survivre dans la clandestinité. En 2011, après la chute de Laurent Gbagbo et lorsque la Fesci s’est transformée en milice au service de l’ancien président, les observateurs ont encore cru que le syndicat ne s’en relèverait pas.

« Les gouvernements successifs ont préféré épargner la Fesci pour éviter des grèves internationales sur les campus universitairesexplains Geoffroy-Julien Kouao. Et puis il y a le facteur politique. La population scolaire et étudiante est de 8 millions en Côte d’Ivoire et la majorité est, sinon fasciste, du moins sympathique à cette organisation.. Avoir la Fesci contre vous est électoralement préjudiciable. »

Marine Jeannin (Abidjan, correspondance)

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