Cette année encore, le comité Nobel a décidé de mettre l’ARN à l’honneur. Après avoir récompensé l’année dernière Katalin Karikó et Drew Weissman pour leurs travaux pionniers sur les vaccins à ARN messager, il a décerné cette année le prix Nobel de physiologie ou médecine aux biologistes américains Victor Ambros et Gary Ruvkun, qui ont découvert les microARN et mis en avant leur rôle dans le processus post-transcriptionnel. régulation des gènes.
Tout part de la question suivante : comment expliquer que le même ADN soit présent dans les photorécepteurs de notre rétine et dans les cellules qui tapissent notre estomac ? En effet, nos organes et tissus sont constitués de nombreux types de cellules différents. Or, presque toutes nos cellules possèdent la même information génétique : les mêmes chromosomes constitués d’ADN. Ceci s’explique par la régulation de l’expression des gènes. Chaque cellule exprime un ensemble unique de protéines, lui permettant de remplir sa fonction. C’est-à-dire que selon le type cellulaire et selon les stimuli environnementaux, les gènes ne seront pas utilisés de la même manière par la machinerie cellulaire. De plus, l’absence d’adaptation de l’activité des gènes par rapport aux messages environnementaux ou la perturbation de la régulation des gènes peuvent être très problématiques pour la cellule et conduire à l’apparition de maladies (cancers, diabète, auto-maladies). immunitaire).
Un ADN identique mais plusieurs types de cellules ? La réponse grâce à un petit ver
Victor Ambros et Gary Ruvkun ont travaillé sur l’organisme modèle Caenorhabditis elegans. Ce ver rond, d’environ 1 millimètre de long, possède différents types de cellules : pour les muscles, pour le système nerveux et pour le système digestif. Cette organisation simplifiée en fait un organisme modèle pour l’étude du développement multicellulaire. Dans les années 1980 et 1990, les deux biologistes cherchent à comprendre les processus qui régissent la croissance de ce petit nématode transparent. Ils ont alors découvert un nouveau mécanisme de régulation génique. En 1993, ils publient leurs premiers résultats sur les microARN dans la prestigieuse revue Cell.
« C’est fou ce qu’un si petit ver nous a permis de découvrir ! se réjouit Jérôme Cavaillé, chercheur CNRS à l’unité de biologie moléculaire, cellulaire et du développement, à Toulouse. Leurs études étaient purement motivées par une curiosité sans préjugés. Ils ont d’abord cherché à comprendre le développement larvaire d’un nématode mutant. En 1993, lorsqu’ils ont constaté que le gène responsable de ce phénotype mutant ne codait pas pour un ARN messager et qu’il ne conduisait pas à la production d’une protéine, ils ont été assez surpris. Premièrement, on pensait que le phénomène des microARN était unique à C. elegans. À partir des années 2000, on a commencé à découvrir des microARN partout : chez les plantes, chez les humains… »
Les microARN sont des fragments d’ARN particulièrement courts – entre 21 et 25 acides nucléiques – qui ne codent pas pour une protéine. En revanche, ils inhibent (ou réduisent) la traduction d’autres protéines. Ce sont des « régulateurs post-transcriptionnels » car ils interviennent en aval de la transcription. En s’hybridant avec les ARN messagers, les microARN forment des complexes d’ARN double brin. Cependant, ces structures hybrides sont reconnues par la machinerie cellulaire comme une anomalie et sont éliminées de la cellule. Ainsi, les microARN inhibent l’expression des gènes en provoquant la dégradation de leur ARN messager. Un seul microARN peut réguler l’expression de nombreux gènes différents. Et inversement, un même gène peut être régulé par plusieurs microARN.
Une révolution en biologie moléculaire
Non contents d’avoir découvert une nouvelle classe de molécules, Victor Ambros et Gary Ruvkun ont également révélé un nouveau mécanisme moléculaire. Leurs travaux ont bouleversé le « dogme de la biologie moléculaire », qui schématise que l’information codée dans l’ADN est transférée vers l’ARN messager (ARNm), qui dirige ensuite la synthèse des protéines. L’ADN se place alors comme la molécule porteuse d’information, la protéine est la molécule effectrice et l’ARNm joue le rôle de navette. Mais en réalité, les mécanismes moléculaires qui orchestrent l’activité de nos cellules sont bien plus complexes. Aujourd’hui, nous savons que l’expression des gènes est constamment finement régulée par des réseaux entiers d’ARN non codants et de protéines comme les facteurs de transcription.
Pour Serge Braun, directeur scientifique de l’Association française contre les myopathies-Téléthon, les travaux sur les ARN non codants offrent des perspectives pour de nouvelles thérapies : “Victor Ambros et Gary Ruvkun sont partis à la recherche de ce qu’on appelait à l’époque “l’ADN indésirable”. [expression inventée par le généticien japonais Susumu Ohno en 1972 pour désigner l’ADN ne codant pas une protéine, NDLR]. Même si on sait aujourd’hui que cette notion d’« ADN indésirable » est obsolète, à l’époque peu de gens s’intéressaient à l’ADN non codant. Depuis, de nombreux ARN, autres que les ARN messagers, ont été découverts : les si-ARN, les ARN interférents, les piARN, etc. Chacun est différent mais joue un rôle dans la régulation des gènes. Ils sont déjà utilisés comme biomarqueurs [caractéristique biologie utilisée pour vérifier le risque d’apparition d’une maladie, la présence d’une maladie, l’évolution d’une maladie ou bien les effets d’un traitement, NDLR]. Comprendre leurs interactions est important, car ils offrent des perspectives de traitement pour de nombreuses maladies, y compris les maladies génétiques.
L’importance de la recherche fondamentale et de la collaboration entre chercheurs
La découverte des micro-ARN et leur rôle dans la régulation des gènes n’aurait pas pu avoir lieu si Victor Ambros et Gary Ruvkun n’avaient pas collaboré. Pour Anne Houdusse-Juille, directrice de recherche CNRS à l’Institut Curie et membre de l’Académie des sciences, ce prix célèbre la coopération entre équipes : « L’association entre chercheurs est plus fertile que la compétition, elle assure. Ce prix Nobel en est une illustration flagrante.»
Il souligne également l’importance de la recherche fondamentale et de l’étude des organismes modèles : « Bien sûr, c’est toujours un accomplissement pour un chercheur lorsque ses recherches ont des applications. Mais il ne faut pas négliger l’importance de la recherche fondamentale. Par ailleurs, un chercheur ne perd jamais de vue l’aspect appliqué. Il est nécessaire de continuer à explorer notre curiosité initiale sans nous limiter aux applications »conclut-elle.
Par Alice Carliez
Crédits photo : (à gauche) Joseph Prezioso / AFP & (à droite) Gary Ruvkun Lab / DR
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