C’est un serpent de mer qui refait surface à chaque fait divers tragique : la double peine. Dimanche sur le plateau de LCI, le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’est dit favorable à l’expulsion des étrangers condamnés lorsqu’ils ont fini de purger leur peine. “Quand on accueille un étranger, et que cet étranger est condamné, il n’a plus rien à faire sur le territoire français”, a-t-il insisté. Une proposition que le porte-parole du Rassemblement national, Laurent Jacobelli, s’est empressé d’applaudir des « deux mains ». Il faut dire que deux jours plus tôt, son parti annonçait son intention de déposer un projet de loi en ce sens.
Sauf que… le dispositif, créé en 1945, n’a jamais été supprimé. Le nombre de condamnations à l’interdiction de territoire française – ce qu’on appelle communément la double peine – a même augmenté de près de 40 % depuis 2019. Selon les chiffres du ministère de la Justice, les tribunaux en ont prononcé 6 298 en 2023, contre 4 579 quatre ans plus tôt.
Une phrase supplémentaire
Pour comprendre la controverse, un petit cours de droit s’impose. Selon l’article 131-30 du Code pénal, la peine d’exclusion du territoire peut être prononcée, soit à titre définitif, soit pour une durée n’excédant pas dix ans, à l’encontre d’un étranger « coupable d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à 10 ans ». supérieure ou égale à trois ans. » « Il s’agit d’une peine supplémentaire qui ne peut être encourue que pour certaines infractions », précise une Source judiciaire. Cela concerne tous les délits, mais aussi les agressions sexuelles, les violences graves, le trafic de drogue, l’usage de faux documents, l’escroquerie au mariage, etc. En revanche, un étranger condamné, par exemple, pour refus d’obtempérer ou pour violences avec arme qui ne n’entraîne pas d’incapacité ne peut être infligé d’une telle peine.
C’est le cœur du débat. Lorsque les politiques réclament le retour de la double incrimination, ils souhaitent en réalité son extension. En bref : qu’elles s’appliquent à davantage de délits mais aussi à tous les étrangers. Car depuis la création de cette peine, cette disposition a fait l’objet de plusieurs réformes visant à l’encadrer. Parmi les plus importantes, celle initiée en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur : il en a réduit la portée en élargissant les catégories de « citoyens protégés ».
La peine d’exclusion du territoire français ne peut être prononcée contre un étranger arrivé en France avant l’âge de 13 ans ou résidant sur le territoire depuis plus de vingt ans, contre un étranger marié depuis plus de quatre ans à un Français. ou avoir des enfants français… Seules exceptions : si ces derniers ont été reconnus coupables d’actes de terrorisme, d’affaires touchant aux « intérêts fondamentaux de la Nation » ou de crimes ou délits commis au sein de la cellule familiale.
Plusieurs exceptions
Mais ce cadre a été considérablement modifié par la dernière loi sur l’immigration, entrée en vigueur en janvier. Si ces catégories de citoyens protégés existent encore, elles sont de plus en plus théoriques à mesure que les exceptions se multiplient. Elles ne peuvent plus s’appliquer aux étrangers reconnus coupables d’un crime ou d’un délit puni d’au moins cinq ans de prison, voire trois ans s’il a été commis dans une situation de récidive. « Concrètement, cela réduit drastiquement le nombre de personnes pouvant entrer dans les catégories protégées », insiste une Source judiciaire.
Toutefois, cela ne signifie pas que tous les étrangers condamnés seront condamnés à une interdiction de territoire. Le Code pénal précise que le tribunal doit prendre en compte « la durée de la présence de l’étranger sur le territoire français ainsi que la nature, l’ancienneté et l’intensité de ses liens avec la France pour décider de prononcer l’interdiction de territoire français. C’est le principe d’individualisation des peines, clé de voûte du système judiciaire.
Relais administratif
Enfin, puisque tous ces débats découlent du meurtre du jeune Philippin au bois de Boulogne le 20 septembre, une précision et non des moindres : les mineurs, quels que soient leurs crimes ou délits, ne peuvent être condamnés à une peine d’interdiction de territoire. Or, au moment de sa première condamnation pour viol, le principal suspect était âgé de 17 ans.
En revanche, et ce fut le cas en l’espèce, même si une telle condamnation n’est pas prononcée par la justice, le préfet peut prendre le relais et demander l’expulsion du condamné en lui donnant un ordre de quitter le territoire. Française, la fameuse OQTF.
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