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Le harcèlement existe aussi à l’école maternelle

Arriver à l’école avec la boule au ventre, ça arrive même aux tout-petits. A 5 ans, Nolan* pleurait tous les matins avant de rejoindre ses copains en classe moyenne. Ses parents ont découvert, stupéfaits, qu’il était quotidiennement l’objet de moqueries répétées de la part de deux de ses camarades. Pour le personnel enseignant de la petite école où il était inscrit, gérer cette situation était une première. Mais les cas comme celui de Nolan sont de moins en moins rares.

« Nous recevons de plus en plus de retours de la part de directeurs d’écoles maternelles et d’enseignants qui signalent des situations de harcèlement. »confirme Catherine Verdier, psychologue pour enfants et fondatrice de l’association Amazing Kids, qui lutte contre le harcèlement scolaire. Les faits constatés en France se multiplient partout et les classes maternelles ne font pas exception.


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« Le harcèlement ne commence pas au collège »

Selon l’association e-enfance, qui lutte contre le cyberharcèlement et le harcèlement scolaire, « Le harcèlement est défini comme une violence répétée qui peut être verbale, physique ou psychologique »Les moqueries quotidiennes à l’école, même à 5 ans, entrent donc dans cette définition. « L’intimidation a toujours existé à tous les âges, confirme Samuel Comblez, directeur général adjoint de l’association e-enfance, directeur du 3018 (numéro de protection des mineurs sur internet) et psychologue clinicien. On pourrait penser que cela n’existe pas chez les tout-petits, mais oui, on peut parler de harcèlement même chez les enfants de maternelle.

Catherine Verdier préfère parler de « situations de harcèlement ». « Dès 6-7 ans, on peut déceler une intentionnalité dans le comportement des enfants « bulleurs ». C’est cette intentionnalité, cette volonté de blesser l’autre, qui différencie les conflits qui peuvent naître de la jalousie ou des situations de frustration chez les enfants du harcèlement. Chez les tout petits, y a-t-il une intentionnalité ? Je ne pense pas, en tout cas, c’est difficile à montrer. »

S’il n’existe pas de chiffres ni d’études sur le harcèlement en maternelle, une enquête de 2023 du ministère de l’Éducation nationale a montré que 5 % des élèves du primaire, du CE2 au CM2, sont victimes de harcèlement. 19 % de ces enfants sont concernés « situations à surveiller ». « Cela signifie que de nombreux élèves de primaire ne sont pas épanouis et sont victimes de harcèlement à l’école. Cette enquête a montré que le harcèlement ne commence pas au collège, mais à l’école primaire, et sans aucun doute même avant »continues Samuel Comblez.

Ce mal-être scolaire peut avoir des conséquences sur la scolarité de la victime, ses relations avec les autres et sa socialisation. « Les enfants victimes de harcèlement ne sont pas dans de bonnes conditions pour apprendre, ils ont des problèmes d’attention et de concentration, développent des peurs et des angoisses, notamment liées aux relations avec les autres et le groupe, explains Samuel Comblez. L’enfance est une période importante mais fragile où l’on construit notre estime de soi. Les microviolences quotidiennes fragilisent la confiance en soi.

Les enseignants de maternelle exclus

Pour éviter d’en arriver là, les enseignants de maternelle doivent être capables d’identifier les situations de harcèlement afin de les faire cesser. Or, ils ne sont pas formés à gérer le harcèlement à l’école, contrairement à leurs collègues qui enseignent en primaire ou en collège et lycée, pour qui suivre le programme de lutte contre le harcèlement à l’école (pHARe), mis en place en 2021, est obligatoire.

« Dans le programme pHARe, il n’y a pas de protocole pour les enfants de maternelle, ce qui pose question, car cela suggère que le ministère considère qu’il n’y a pas de harcèlement chez les très jeunes enfants. »estime Samuel Comblez. Il prône une sensibilisation et une formation de tous les membres des équipes pédagogiques des écoles pour leur donner les outils pour agir lorsqu’une situation potentielle de harcèlement est détectée.

Pour la psychologue Catherine Verdier, « Le travail sur le programme pHARe est bien, mais il manque le volet prévention, qui se fait dès le plus jeune âge, dès l’entrée à l’école. L’objectif des classes de maternelle est d’apprendre à vivre ensemble. »

Travailler sur l’empathie et les émotions

Les enseignants doivent donc trouver des moyens d’intervenir au bon moment et de mettre fin aux comportements abusifs. Une façon pour les enseignants des écoles est de travailler dès le plus jeune âge sur l’empathie et sur l’apprentissage du vocabulaire des émotions, et ainsi permettre aux enfants de verbaliser leurs sentiments.

« C’est ce sur quoi nous travaillons dans nos cours avec nos élèves. »confirme Maryse Chrétien, présidente de l’Association générale des enseignants des écoles maternelles publiques (AGEEM), qui ne regrette pas que les enseignants du primaire ne soient pas impliqués dans les formations sur le harcèlement scolaire. « Le programme pHARe a le mérite d’exister, mais j’ai vu de nombreux collègues formés à ce programme qui, au final, ne restent pas. Il faut d’abord comprendre comment fonctionnent les enfants. »

Depuis 2022, le harcèlement scolaire est reconnu comme une infraction pénale en droit français.

L’AGEEM propose donc régulièrement ses propres webinaires sur le sujet, pour former ses membres enseignants, en s’appuyant sur les travaux des chercheurs sur le développement de l’enfant et les compétences psychosociales. « En tant qu’association, nous travaillons à mettre en place des expérimentations et des actions concrètes dans les classes pour éviter les situations difficiles entre élèves. Je pense que notre rôle est d’accompagner les enfants, qu’ils soient victimes ou harceleurs, d’informer les parents sans les culpabiliser et d’expliquer, de mettre des mots sur ce qui se passe. Le harcèlement, c’est l’affaire de tous. »continues Maryse Chrétien.

On ne reste pas un harceleur ou une victime à vie.

Bien que l’intimidation chez les tout-petits puisse sembler inquiétante, « Ce n’est pas parce qu’un enfant est victime de harcèlement à la maternelle qu’il en sera victime toute sa vie. Un enfant peut se reconstruire »Catherine Verdier tient à rassurer. De même, un enfant qui est un tyran à la maternelle ne le deviendra pas forcément plus tard, si on lui explique que son comportement n’est pas acceptable dans la société et si on lui apprend l’empathie et l’estime de soi.

« Punir un enfant sans explication peut le conduire à récidiver, mais si on lui pose un cadre, en lui expliquant que ce qu’il a fait au fil du temps a fait du mal à l’autre et en lui demandant de se mettre à la place de la victime, cela peut lui faire comprendre que ce qu’il a fait était mal. Canaliser sa violence est quelque chose qui s’apprend. »adds Samuel Comblez.

Depuis 2022, le harcèlement est reconnu comme une infraction pénale dans le droit français. Les sanctions pour harcèlement scolaire peuvent aller de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende à dix ans de prison et 150 000 euros d’amende, lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire.

*Le prénom a été changé.

 
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