SAndrine P. est une toute petite femme, très élancée, dont les traits se distinguent à peine derrière ses longs cheveux bruns. Une petite femme à la petite voix qui, sortie du box lors de son interrogatoire sur les faits, arrive jeudi à la barre enveloppée dans un long gilet noir et se recroqueville un peu devant le tribunal. Dans la matinée, entendue parler de sa personnalité, elle a raconté d’une voix précipitée et presque essoufflée les brimades et les abus dont elle a été victime lorsqu’elle était enfant – violences qu’elle n’a jamais signalées au cours de l’enquête.
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L’après-midi, nous arrivons aux faits. Aux faits « durs », dit à juste titre le procureur général. Leur ébauche, leur ébauche, leur qualification juridique, Sandrine P. est capable de les admettre : mardi soir, elle a cessé de nier pour reconnaître les violences contre sa fille, les actes de torture et de barbarie ayant conduit à la mort d’Amandine le 6 août. 2020. Le « dur à cuire » ne cesse de s’éloigner.
Les images atroces d’Amandine au corps squelettique
Le plus dur, ce sont ces deux captures d’écran, projetées jeudi à la demande du président de la cour d’assises et issues des caméras de surveillance qui surveillaient Amandine dans le débarras. Sur la première, datée de fin juin, la jeune fille est nue, prostrée, les bras croisés contre la poitrine, le front posé sur un rouleau de linoléum noir et blanc. Ses cheveux devant elle forment une flaque sombre.
Lorsque le second, pris peu avant sa mort, apparaît, nous avons d’abord du mal à comprendre ce que nous voyons. Un corps squelettique debout, appuyé sur un tas de cartons comme le comptoir d’un bar et horriblement cambré. Le visage d’Amandine est caché par ses cheveux en bataille.
Face à ces images, Jean-Michel C., le beau-père d’Amandine, fond en larmes et répète qu’il ne savait pas, qu’il est « impardonnable » de ne pas avoir vu. Il parle de « naïveté » et d’« encombrement », il jure qu’il a fini par croire ce qu’on lui disait : Amandine avait toujours été très maigre, elle développait une anorexie mentale.
Sandrine P. raconte : « J’ai vu, mais je ne savais pas comment réagir. » Elle jure qu’elle n’a jamais voulu que sa fille meure : « Tout mais pas ça. » Pour le reste, elle répète « Je ne sais pas. »
« Elle t’a demandé quelque chose ? Elle t’a demandé à manger ? Oui ou non, madame ? demande le président.
– Je ne sais pas.
– Elle t’a demandé à boire ?
– Je ne sais pas.
– Comment sa dent s’est-elle cassée ?
– Je ne sais pas.
– Elle a pris un coup ?
– Peut-être, sans aucun doute.
– Allais-tu la voir dans ce débarras ?
– J’ai fait fonctionner la machine, j’ai pris le linge.
– Mais je vous parle d’elle, madame. »
« La vie d’Amandine a été une longue punition »
Sandrine P., lors de ses deux heures d’interrogatoire, explique que le confinement a été dur pour elle. « Normalement, Amandine était en internat, il y avait des distances entre elle et moi, on n’était pas tout le temps ensemble tous les deux comme pendant le confinement. Je ne peux que l’expliquer comme ça, je tourne en boucle, je me pose des questions, et ce qui me revient c’est ça : il n’y avait plus d’internat, plus d’école. C’était très compliqué pour nous deux, mais je n’ai jamais voulu le tuer. »
Sandrine P. pleure à la barre. Mais Sandrine P. affirme aussi que les difficultés sont allées « crescendo », car Amandine refusait de faire ses devoirs.
« Êtes-vous en train de nous dire qu’elle vous a défié ? Cet enfant qui se fait battre depuis dix ans, pour un oui ou un non ? Qui a dit je vais mourir en entendant l’annonce du confinement ? Elle a eu le courage extraordinaire de s’opposer à vous ?
– C’est la réalité. »
Des devoirs, en l’occurrence, Amandine n’en a fait aucun. Et Sandrine P. finit par admettre qu’au final, elle l’a punie « pour tout et pour rien ». “Ça y est, de rien”, commente le président. Sa vie n’était qu’un long châtiment. Dix ans de punition et de violence. »
-« Elle m’a dit Non, pas les pompiers. »
Le « plus dur », ce sont toujours ces tas de vêtements qui entouraient Amandine dans son débarras, et qu’elle n’a même pas pensé à toucher. Ce frigo vide sous ses yeux. Surveillance exercée par son frère et sa sœur à la demande de leur mère.
La partie « dure » est finalement le déroulement de la journée du 6 août, dont on ne peut que déduire des détails atroces. Sandrine P. a remercié mercredi sa fille Ambre d’avoir “malgré son jeune âge, dit la vérité” à ce sujet mais a donné, à la barre, une version très proche de celle qu’elle avait donnée lors de l’audience.
Ce jour-là, vers 14 heures, elle aurait appelé ses trois enfants pour qu’ils se mettent à table. « Amandine, je lui ai demandé si elle voulait manger, elle m’a dit non. Je suis remonté au niveau cuisine et après, je ne sais pas comment c’est arrivé… Je sais qu’Amandine s’est fait doucher par Ambre, je lui ai demandé à manger, elle m’a dit Maman, je n’ai pas faim. Je l’ai forcée à manger une cuillerée de compote qu’elle n’a pas pu avaler. Je lui ai dit Amandine, si tu ne te forces pas j’appelle les pompiers ou je t’emmène à l’hôpital. Elle a dit Non maman, pas les pompiers. J’ai demandé à Monsieur C. d’aller chercher une boisson énergisante, il est revenu avec… » Au moment où elle décide d’aller chercher la voiture pour emmener sa fille à l’hôpital, Amandine aurait commencé à « mousser » avant de perdre connaissance.
Comment Amandine est-elle arrivée au deuxième étage ?
Sandrine P. en reste là. Elle reste à la limite du « dur », incapable de le décrire. Elle ne raconte ni comment Amandine a été remontée au deuxième étage, ni pourquoi il a semblé nécessaire de demander à Ambre de lui donner une douche alors qu’elle était à peine consciente – le médecin légiste a expliqué, mercredi, que le décès avait été provoqué en partie par une septicémie. déclenchée par des lésions de grattage que l’enfant s’est lui-même infligées en raison d’un manque d’hygiène. Sandrine P. n’explique pas la pommade, retrouvée partout sur les lésions de sa fille, pas plus que ses ongles très propres et coupés, qui ont surpris le pathologiste. « Peut-être était-il opportun de le présenter aux pompiers le plus intact possible ? demande le procureur général.
– Je n’ai pas calculé ça.
– Comme vous n’avez pas calculé que la priver de nourriture, l’enfermer dans ce débarras finirait par la tuer ? Elle était très faible, on sait que ces derniers temps elle ne pouvait plus bouger. Comment s’est-elle soulagée ? Il y a deux étages pour monter aux toilettes, comment c’était ?
– Je pense qu’elle allait aux toilettes.
– Alors elle est montée à l’étage, presque mourante, puis est redescendue dans son débarras pour attendre que ça arrive ? Répondez, s’il vous plaît.
– Je ne sais pas. »
Six jours après le décès d’Amandine, Sandrine P. demande à sa banque le capital décès de sa fille, ce qui lui est refusé. Début septembre, elle part en vacances en Corse avec Jean-Michel C. « Je ne voulais pas partir, mais il m’a dit C’est dommage, on a déjà les billets, ça te fera du bien « . Dans les semaines et les mois qui ont suivi, elle a commencé à s’en prendre à son autre fille, Ambre. Cassandra, l’aînée, craignait d’être la prochaine.
« Quand les assistantes sociales sont arrivées, je leur ai ouvert ma porte »
Sandrine P. dit pourtant « aimer » ses enfants. Elle assure avoir « appelé à l’aide », à sa manière, qu’elle s’est retrouvée seule, face aux traumatismes de son enfance, face à la perte de ses deux filles aînées – emmenées par leur père au Portugal pour les protéger – face à celle de Samantha, sa troisième fille, victime, semble-t-il, de la mort subite du nourrisson. La violence qu’elle a exercée sur chacun des petits qui lui ont été confiés, elle ne sait pas comment l’expliquer.
« Pourquoi ne pas consulter ? lui demande le président. Pourquoi n’as-tu pas vu une assistante sociale ? D’autant plus qu’il y avait eu des rapports : si on était une mère monstrueuse, il existait des moyens de se débarrasser des causes de ce comportement. Au contraire ! Vous avez réussi à empêcher que les choses ne soient révélées. Quel plaisir avez-vous trouvé à entretenir ce système ?
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– Je n’ai eu aucun plaisir. Quand les assistantes sociales sont arrivées, je leur ai ouvert ma porte. Que les enfants soient placés dans une institution, c’était impensable.
– Qu’est-ce qui distinguait Amandine des autres ?
– La ressemblance avec son père, sans doute.
– Tu ne l’aimais pas ?
– Oui, je l’aimais. »
Devant le tribunal mardi, son fils aîné Jérémy a raconté comment sa mère avait emmené Amandine sous la douche, pour la frapper sous l’eau glacée. Comment elle s’est assise un jour sur le visage de sa petite sœur – Sandrine P. a ri ce jour-là sous son regard impuissant. «Je la déteste, je veux que justice soit rendue. Et obtenez son traitement. Il y a vraiment beaucoup de travail. »