Quand Bachar al-Assad était le chouchou de l’Occident

Il n’y a pas si longtemps, Saddam Hussein, Mouammar Kadhafi ou encore Bachar al-Assad étaient considérés par l’Occident comme ses alliés les plus fidèles. Avant de devenir subitement ses pires ennemis. Dans Qui est le diable, l’autre ou l’Occident[1] ?Régis Le Sommier dit que c’est l’Occident, érigé en sauveur, qui s’est octroyé le droit de désigner qui est le bien et de désigner qui est le mal. C’est même, bien souvent, le complexe militaro-industriel qui se met au service du bien par les armes et décrète qu’une guerre est juste.

Par Ian Hamel

Le 14 juillet 2007, le couple présidentiel syrien assiste au défilé militaire à Paris. En 2010, « ils ont dîné à l’Élysée avec Sarkozy et son épouse Carla et, avec un sourire éclatant, Claude Guéant, qui avait travaillé au rapprochement », se souvient Régis Le Sommier, ancien directeur adjoint de Paris Match. La veille, Asma al-Assad avait été reçue par une organisation caritative présidée par le prince Aga Khan. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, a présenté la Première dame de Syrie comme un « pont glamour entre l’Europe et le Moyen-Orient ». Interviewée par Régis Le Sommier, Asma al-Assad a assuré que la Syrie plaçait la culture au cœur de son développement national…

La n’est pas le seul pays occidental à faire de Bachar al-Assad son « animal de compagnie ». Les États-Unis ont publié des biographies élogieuses du fils de Hafez al-Assad, notamment Le nouveau Lion de Damas : Bachar al-Asad et la Syrie modernepar David Warren Lesch, un grand spécialiste du Moyen-Orient. Nous connaissons la suite. Bachar est devenu pour l’Occident non seulement un tyran sanguinaire, mais carrément le diable. Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, disait de lui qu’il « ne méritait pas d’être sur terre ». D’autres dictateurs du monde arabe ont subi le même sort. À commencer par Saddam Hussein. L’Occident lui a reconnu de nombreuses vertus lorsqu’il a combattu l’Iran. Donald Rumsfeld, alors en visite à Bagdad en 1983, a serré la main de Saddam Hussein, réaffirmant le soutien inconditionnel des États-Unis à l’Irak. Mais il est devenu le diable lorsque les Américains ont affirmé qu’il était le complice du Saoudien Oussama ben Laden, envahissant l’Irak grâce au mensonge des armes de destruction massive.

La rencontre entre Donald Rumsfeld et Saddam Hussein

Kadhafi reçu somptueusement

Du point de vue du droit international, cette guerre était évidemment illégale. Pour l’éditorialiste de CNews « les États-Unis se sont comportés comme un État voyou : d’autres puissances en ont profité pour s’affranchir des normes. Après tout, si la superpuissance s’exclut du droit international, pourquoi les autres devraient-ils s’y conformer ? « . Quelques années plus tard, c’est au tour de la France et du Royaume-Uni de prendre le commandement d’une opération qui aboutira à l’élimination de Mouammar Kadhafi. Ce dernier était pourtant au pouvoir depuis quatre décennies. Il avait un temps parrainé tous les terroristes de la planète, le FPLP et Carlos, mais aussi l’ETA, l’IRA, et même les indépendantistes corses. Mais personne n’a jamais parlé de renverser le régime de Kadhafi. L’Occident lui a pardonné car il était devenu le gardien de la frontière sud de l’Europe.

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Creator: CAROL AMAR | Credits: LE PARISIEN

Une fois de plus, les oreilles de Nicolas Sarkozy doivent sonner : quatre ans avant la mort du tyran à Syrte, en Libye, le 20 octobre 2011, n’a-t-il pas reçu somptueusement Kadhafi, l’autorisant à planter sa tente en plein Paris, sous prétexte qu’il allait acheter à la France des Rafale, des hélicoptères Tigre, des navires de guerre et même des réacteurs nucléaires ? « L’Élysée se vantait d’avoir obtenu des contrats d’une valeur d’une dizaine de milliards d’euros », rappelle Régis Le Sommier. Chasser le diable, qu’il s’agisse de Saddam Hussein ou de Mouammar Kadhafi, ne pose pas de difficultés majeures à Washington, Londres ou Paris. En revanche, son remplacement « nécessite une vision ». Cependant, ni la Libye ni l’Irak n’ont réussi à se remettre du renversement de leur représentant, « et le chaos s’est étendu à la région ». Ce sont les arsenaux de Kadhafi, pillés après sa chute, qui ont armé le jihad au Mali. A l’époque, Régis Le Sommier rappelait à Laurent Fabius que la France allait affronter au Mali les mêmes personnes qu’elle avait armées en Libye. Le ministre a simplement répondu : « Je comprends, mais c’est la vie »…

Rendre les clés aux talibans

« Dans le cas de Hussein et de Kadhafi, nous sommes confrontés à des gens que nous avons armés, encadrés, parfois entraînés, souvent utilisés, des gens qui ont été nos amis », écrit l’auteur de Qui est le diable, l’autre ou l’Occident ? On peut remonter encore plus loin, lorsque les Américains financèrent Oussama ben Laden, pour que ce dernier harcèle les Soviétiques en Afghanistan. Il était alors du bon côté, et donc le bon gars aux yeux des Occidentaux. Enfin, en Afghanistan, en août 2021, après avoir dépensé des milliards de dollars, les Américains ont été contraints de remettre les clés à ceux qu’ils avaient chassés, les talibans. Ce qui a fait dire à Donald Trump en novembre 2024 : « Nous avons dépensé neuf mille milliards de dollars pour bombarder le Moyen-Orient comme des fous. Nous y avons semé la mort, y compris les nôtres. Et qu’est-ce que cela nous a apporté ? Rien “. Du coup, trente ans d’interventions contre les diables que nous désignons nous ont transformés en diables pour les autres, écrit en conclusion Régis Le Sommier.

Le chapitre consacré au nouveau président américain ne manque pas de piquant. L’auteur décrit un personnage prisonnier d’une « boulimie de lui-même ». Un « égocentrique patenté ». Mais dans ce pays, il est d’usage de dire que n’importe qui peut devenir président. Pire, que le président, « c’est n’importe qui ». Pour beaucoup, Donald Trump est aussi le diable. Mais s’il parvient à imposer la paix en Ukraine, il n’est pas absurde d’imaginer qu’il puisse obtenir le prix Nobel de la paix, « et entrer dans l’Histoire comme le pacificateur qui a évité l’Apocalypse à la planète ». Il ne sera plus le diable, et ses pires ennemis actuels vanteront ses talents. Car, c’est bien connu, « les mouches changent d’âne ». Moralité? Aucun.

[1] Éditions Max Milo, 234 pages, December 2024.

 
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