L’amour peut-il résister à toutes les tempêtes, aux divergences d’opinions ou aux pires crimes ? C’est la question que pose, entre autres, Jouer avec le feu, le troisième long métrage de Delphine et Muriel Coulin.
Adapté du roman Ce dont tu as besoin la nuit de Laurent Petitmangin, paru en 2020 aux éditions La Manufacture de Livres, l’histoire est celle de Pierre (Vincent Lindon), un cheminot veuf qui élève ses deux fils, Fus (Benjamin Voisin) et Louis (Stefan Crépon). Si ce dernier se destine déjà à de grandes études, le premier, l’aîné, peine à trouver sa voie et se laisse séduire par des petits groupes d’extrême droite.
Pour son rôle, Vincent Lindon a remporté le prix du meilleur acteur à la dernière Mostra de Venise en septembre 2024. Il a remporté le prix face à Adrien Brody et Daniel Craig et ce qui a donné au film une visibilité incroyable.
Même s’il s’adresse à tous les publics et à tous les âges, Jouer avec le feu est une histoire ancrée dans son époque, s’adressant particulièrement aux jeunes, qu’ils soient sensibilisés ou non aux enjeux politiques. Rencontre avec les réalisateurs.
AlloCiné : L’histoire de ce film fait partie de l’actualité. Comment est né votre sentiment d’urgence de raconter le destin de cette famille ?
Delphine Coulin : La situation actuelle nous inquiète personnellement et collectivement. L’extrême droite gagne du terrain partout mais en même temps, nous ne voulions pas faire un film sur la dérive d’un garçon vers l’extrême droite. C’est quelque chose qui a déjà été fait. Notre objectif était d’établir un lien entre la peur de ce père face à la situation de son fils et notre propre inquiétude quant à la progression de ces valeurs.
Le père incarné par Vincent Lindon est un héros ordinaire. On parle souvent de « mères courageuses » au cinéma et on utilise rarement ce terme pour les pères. Je pense que c’est le cas ici. Le choix de Vincent Lindon était-il évident ?
Muriel Coulin : En lisant le livre, nous avons immédiatement pensé à Vincent Lindon, à nous deux. Nous avons écrit le scénario en pensant à lui et nous nous sommes dit qu’il y avait certainement encore des facettes de lui qu’on n’avait pas encore vues. Notamment une sensibilité, une tendresse. Dans notre film, il défend des idées, il se bat mais nous avons voulu explorer une fragilité insoupçonnée.
Ce n’est pas en méprisant ceux qui pensent différemment que les choses avanceront.
Ce film questionne l’amour conditionnel. Cet amour peut-il changer si l’on ne se reconnaît plus dans les valeurs et les actions de l’être aimé ? Vous n’êtes pas tous les deux en désaccord sur ce sujet. Vos opinions ont-elles changé après ce film ?
Delphine Coulin : Quant à moi, j’ai dit à ma sœur Muriel : «Quoi que tu fasses, même quelque chose de très grave, je te défendrai, je te cacherai s’il le faut, je continuerai à t’aimer.» C’est la même histoire dans ce film. Nous travaillons quotidiennement sur ces questions depuis maintenant deux ans. Je pense toujours qu’une sœur reste une sœur, un père reste un père et un fils, c’est encore plus fort…
Muriel Coulin : Pour moi, cela dépend de la nature du crime. Je n’aurais plus l’impression que ma sœur serait toujours ma sœur si elle commettait le pire crime. Je pense que là je serais complètement ébranlée et que l’amour pour ma sœur serait vraiment mis à l’épreuve. Je ne pense pas que nos points de vue aient beaucoup changé.
Il est très facile de juger, de se moquer ou de pointer du doigt des personnes qui perdent peu à peu leur lien avec la société. Le film interroge aussi cette problématique : comment les réinsérer ?
-Delphine Coulin : Ce n’est pas en méprisant ceux qui pensent différemment que les choses avanceront. Ce n’est pas non plus en faisant preuve d’autorité ou de colère comme le père au début du film, ni en s’enfonçant dans le silence.
Lors d’un dîner en famille, on entend souvent des commentaires qui peuvent nous déranger, mais que faire ? Rétorquer et provoquer une crise familiale, ou garder le silence pour préserver la bonne ambiance ? Je pense que garder le silence n’est pas une solution.
Il y a cette phrase dans la dernière partie du film : «Lien retour [ndlr, le personnage joué par Stefan Crepon] ça marchera pour nous trois.» A ce moment-là, les trois hommes de cette famille redeviennent une unité. C’est la même chose dans la société : il faut revenir aux liens et aux valeurs qui nous unissent véritablement.
Comment travaillez-vous avec la tension humaine qui semble si réelle à l’écran ?
Muriel Coulin : Pour nous, le plus important avec Delphine c’est d’instaurer un climat où les acteurs se sentent bien et où l’on peut aussi laisser place à quelques inventions ou quelques découvertes dans la gestuelle, etc. Cela commence par le décor par exemple.
La maison doit devenir leur maison. Lorsqu’ils arrivent le premier jour de tournage, ils doivent occuper leur espace, s’approprier leur chambre, faire comme s’ils étaient vraiment chez eux. On parle souvent de direction d’acteurs, mais la vraie mise en scène commence par le choix des acteurs. Une fois le rôle attribué au bon acteur, la matière humaine apparaît naturellement.
Pourquoi pensez-vous qu’il est important que les jeunes voient ce film ?
Delphine Coulin : C’est important et nous étions très heureux car, en plus du prix de performance pour Vincent Lindon, nous avons reçu le prix de la jeunesse en Italie, le Lion d’Or. Un étudiant a prononcé un très beau discours qui a particulièrement résonné dans l’Italie de Giorgia Meloni.
Muriel Coulin : Ce sont les jeunes qui bougent. Tous mes espoirs sont dans cette génération et ils sont là, que ce soit dans les questions écologiques mais aussi dans les manifestations politiques, comme en juillet 2024. J’espère vraiment qu’ils viendront voir le film. Le film s’adresse de toute façon à tout le monde, même aux politiques qui ne prêtent que peu d’attention aux jeunes. Que le cinéma s’intéresse à tous ces sujets, c’est la moindre des choses.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 14 janvier 2024.
Jouer avec le feu de Delphine et Muriel Coulin
Original article published on AlloCiné