L’Europe peut-elle se passer complètement du gaz russe ?

Près de trois ans après le début de l’invasion de l’Ukraine, l’Europe est encore en partie chauffée au gaz russe. Le pétrole et le charbon étant soumis à un embargo, c’est la seule énergie fossile épargnée par les sanctions européennes contre Moscou. Pourquoi l’Union européenne met-elle autant de temps à s’en sortir, et finira-t-elle par y parvenir ?

Les flux de gaz russe vers l’UE ont certes été divisés par trois au cours de l’année 2022. L’Union a pu absorber cette baisse car, d’une part, sa demande en gaz a chuté de 20 %, du fait des économies d’énergie et de la hausse des prix. En revanche, elle a diversifié ses sources d’approvisionnement, notamment grâce à l’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) américain, transporté par navires méthaniers et importé via les terminaux portuaires.

Toutefois, depuis fin 2022, les importations de gaz russe se sont stabilisées. Ils ont atteint 45 milliards de mètres cubes en 2023, et ont même légèrement rebondi en 2024, à 50 milliards de m3.3. Ainsi, après avoir chuté à la quatrième place parmi les fournisseurs de gaz de l’UE, la Russie est revenue l’année dernière à la deuxième place, derrière la Norvège mais devant les États-Unis.

Politiquement, la situation est confuse, car ces volumes importés dans l’UE représentent autant de devises finançant l’effort de guerre russe. En 2023 et 2024, ces ventes, même réduites, rapportaient encore près de 35 milliards d’euros à Moscou, selon l’estimation du groupe de réflexion Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur (CREA).

« 45 % de notre gaz venait de Russie [avant l’invasion]. Nous avons abaissé cette part à 18 %. Mais 18%, c’est encore trop”», a déclaré Dan Jorgensen, le nouveau commissaire européen à l’énergie, en novembre 2024, lors de son audition par les députés européens qui a précédé sa nomination officielle.

Vers des sanctions contre le gaz russe ?

Dès mai 2022, la Commission européenne s’est fixé pour objectif d’éliminer progressivement le reste des importations de gaz russe d’ici 2027, dans le cadre du plan RepowerEU. Mais Dan Jorgensen veut “accélérer” cette sortie. Pour y parvenir, le social-démocrate danois a promis une feuille de route d’ici fin février.

Ce plan pourrait faire partie du 16e vague de sanctions européennes contre Moscou, qui doivent être annoncées d’ici le 24 février par la Commission. La possibilité d’une interdiction progressive du GNL russe est également à l’étude, selon Bloomberg. Ce serait une première.

La pression politique augmente. Le 13 janvier, dix États de l’UE ont appelé au plus vite à des sanctions contre le gaz russe

Pendant ce temps, la pression politique s’accentue. Le 13 janvier, dix États de l’UE – les pays baltes et nordiques, la Pologne, la République tchèque, l’Irlande et la Roumanie – ont appelé à des sanctions contre le gaz russe le plus rapidement possible, qu’il arrive par gazoduc ou sous forme de GNL, a rapporté Reuters.

Quoi qu’il en soit, les possibilités de transport du gaz de la Russie vers l’Europe deviennent de plus en plus rares. À partir de 2022, la Russie a interrompu ses livraisons via le gazoduc Yamal – qui traversait la Biélorussie et la Pologne – puis via le gazoduc Nord Stream 1, qui reliait la Russie à l’Allemagne. Ce dernier a finalement été saboté en septembre 2022, en compagnie de son jumeau Nord Stream 2 qui suivait le même trajet, mais n’était pas encore entré en service.

En 2023 et 2024, il ne restait plus que trois routes pour importer du gaz russe dans l’UE : les gazoducs traversant l’Ukraine ; le gazoduc Turkstream traversant la Turquie ; et enfin le GNL, dont les flux ont triplé en deux ans, faisant de ce canal la principale voie d’importation du gaz russe, notamment via les ports français, espagnols, néerlandais ou belges.

Qui consomme encore ce gaz russe ? Au cours des deux dernières années, la plupart des Etats européens se sont libérés de leur dépendance. Mais certains, notamment la Hongrie, la Slovaquie et l’Autriche, ont continué à s’approvisionner majoritairement avec cette source d’énergie bon marché, moins chère que le GNL américain.

Cette situation a été bouleversée le 1est janvier 2025, date à laquelle le transit de gaz via l’Ukraine a cessé. Kiev a en effet refusé de renouveler ce contrat, la Russie étant privée de 6 milliards d’euros de revenus annuels via ce canal, tandis que l’Ukraine tire un trait sous les 700 millions d’euros de droits de transit par an.

Les prorusses nostalgiques du gaz de Moscou

La fin de l’accord de transit a contribué à la hausse des prix du gaz, qui ont dépassé les 50 euros le mégawattheure pour la première fois depuis plus d’un an. Dans le même temps, cela a suscité des tensions politiques. Les gouvernements européens proches de Moscou hésitent à se passer du gaz russe.

Le Premier ministre slovaque Robert Fico, pro-russe et allié de l’extrême droite, a critiqué le choix de Kiev de ne pas renouveler le contrat de transit, qui permettait au gaz russe d’arriver en Slovaquie. LE chef Le Slovaque a même mis en garde contre un possible « crise du gaz »ce qui menacerait l’approvisionnement du pays et de l’ensemble du reste de l’UE.

Un argument contesté par une note de groupe de réflexion l’ECFR, pro-européen, qui constate que la société gazière nationale slovaque a déjà assuré d’autres approvisionnements en Europe. En revanche, ce dernier pourrait coûter plus cher à Bratislava, qui perdrait également ses revenus liés au transit du gaz russe. Robert Fico mobilise donc aussi l’argument pécuniaire, et dénonce « un sabotage des finances publiques slovaques ».

L’Autriche, qui s’approvisionnait en gaz russe via l’Ukraine et la Slovaquie, s’est tournée sans problème vers d’autres fournisseurs

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L’Autriche, qui s’approvisionnait en gaz russe via l’Ukraine et la Slovaquie, s’est également tournée sans problème vers d’autres fournisseurs. Avant même la fin du transit de gaz via l’Ukraine, la compagnie nationale autrichienne avait également mis fin à son contrat avec la société russe Gazprom, qui courait jusqu’en 2040, en raison d’un différend financier.

Mais sur le plan politique, l’avenir reste incertain, car l’Autriche devrait bientôt être dirigée par l’extrême droite. LE chef du FPÖ Herbert Kickl, pro-russe et europhobe, a en effet été chargé début janvier de former un gouvernement.

Le cas de la Hongrie – qui s’approvisionne toujours en gaz russe, principalement via le gazoduc Turkstream, le dernier en service – est encore plus sensible. Le Premier ministre d’extrême droite Viktor Orban, lui aussi pro-russe, a critiqué la fin du transit via l’Ukraine avec les mêmes arguments que son homologue slovaque. Mais pour l’instant, elle peut compter sur des livraisons depuis Moscou, avec un contrat courant jusqu’en 2036.

Dans ce contexte, Turkstream se retrouve menacé de plusieurs manières, sans que les flux vers la Hongrie ne soient pour l’instant perturbés. Sur le plan financier d’abord : en décembre 2024, les États-Unis ont mis en place des sanctions visant Gazprombank, la banque par laquelle transitent entre autres les paiements de gaz via Turkstream.

Sauf que la Hongrie a rapidement annoncé avoir obtenu une dérogation de Washington, permettant la poursuite des livraisons. La menace militaire plane également : début janvier, la Russie a accusé l’Ukraine d’avoir attaqué sans succès le gazoduc avec des drones. Kyiv n’a ni confirmé ni infirmé.

Un problème politique plus que technique

Alors que l’UE s’est affranchie des deux tiers du gaz russe qu’elle importait avant 2022, ce sont les derniers mètres cubes qui pourraient poser le plus de problèmes. Pas techniquement, mais sur le plan politique – en raison des sympathies pro-russes de certains pays de l’Est – et sur le plan économique – car fermer la porte au gaz russe pourrait faire monter les prix mondiaux pour tout le monde.

« Avec l’interruption des livraisons par l’Ukraine le 1erest En janvier, il n’y a plus aucun pays de l’UE qui affiche une forte dépendance au gaz russe, à l’exception de la Hongrie, liée à la proximité de Moscou »résume Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre énergie et climat de l’Ifri.

La Commission européenne estime pour sa part, dans une note de décembre, que « Le système gazier européen dispose de capacités suffisantes pour faire face à la fin de l’accord de transit avec l’Ukraine »et que plusieurs routes existent pour approvisionner les pays d’Europe centrale et orientale en gaz non russe, via l’Allemagne, la Pologne, l’Italie ou les Balkans.

« Aucun pays n’est sans solution technique, cela coûtera juste plus cherjuge Phuc-Vinh Nguyen, responsable du Centre énergétique de l’Institut Jacques-Delors. Arrêter toutes les importations de gaz russe dans l’UE avant Mais d’ici 2027, une approche coordonnée des États sera nécessaire, notamment pour interrompre le flux de GNL russe. Car si un pays décide seul de les refuser, les méthaniers pourront facilement livrer leur gaz dans les ports d’un autre pays. »

Reste donc à savoir si les éventuelles sanctions que pourrait proposer la Commission en février 2025 obtiendront l’unanimité des Etats européens. Une nécessité pour qu’ils entrent en vigueur.

Contre le gaz russe, l’arme de la sobriété

« Dans tous les cas, nous devons continuer à réduire la demande européenne de gazpoursuit Phuc-Vinh Nguyen. Mais ce sera désormais plus difficile : le prix du gaz ayant baissé depuis la crise énergétique, les incitations à réduire la consommation sont moins nombreuses. L’UE doit donc mettre en place des politiques publiques de sobriété plus ambitieuses. »

En termes de souveraineté, de finances et de climat, la meilleure énergie fossile est celle que l’on ne consomme pas. Et malgré les efforts européens, des progrès restent à faire : alors que la demande européenne de gaz s’élevait à 395 milliards de m3 en 2023, elle atteindrait 305 milliards en 2030, selon l’Agence internationale de l’énergie. Ce qui n’est pas suffisant pour atteindre l’objectif de réduire les émissions européennes de gaz à effet de serre de 55 % d’ici là.

Des efforts sont nécessaires pour décarboner le chauffage et l’industrie européens, encore trop dépendants du gaz

Des efforts sont donc nécessaires pour décarboner le chauffage et l’industrie européens, encore trop dépendants du gaz, et répondre à l’objectif ambitieux du plan RepowerEU, qui est de réduire la demande à 165 milliards de mètres cubes en 2030. Cela permettrait à la fois de respecter notre climat. objectif, se passer du gaz russe mais aussi de nombreux autres fournisseurs, dont les Etats-Unis, selon une étude du groupe de réflexion Brueghel.

Ce n’est malheureusement pas le souhait de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui a proposé en novembre à Donald Trump de ” remplacer “ Du gaz russe avec du GNL américain. Cependant, celui-ci est produit par des processus qui polluent les écosystèmes et sont très émetteurs, comme la fracturation hydraulique, et Donald Trump a récemment exprimé sa volonté d’utiliser ce gaz comme arme de négociation dans une éventuelle guerre commerciale contre l’UE.

En investissant davantage dans la sobriété, l’Union ne serait pas obligée de remplacer une dépendance par une autre.

 
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