Par
Margot Nicodème
Publié le
15 janvier 2025 à 18h30
C’est ce fait divers, survenu le 15 novembre 2024, qui a décidé Julien*, un habitant de Lilleécrire à la rédaction de L’actualité lilloise. L’article relate l’arrestation d’un vendeur ambulant à la sortie du métro de Wazemmes, dont la marchandise était des cigarettes et prégabaline. C’est cette substance qui fit grimacer Julien : ce médicamentNormalement délivré sur ordonnance aux gens épileptiques, son frère jumeau est mortun an plus tôt, en novembre 2023. Virgile*, âgé de seulement 41 ans, a été découvert sans vie dans son appartement de la rue Gambettaoù de nombreuses boîtes de prégabaline – bien qu’il n’y ait aucun droit sur celle-ci – ont été trouvées sur les étagères. Aujourd’hui, sa famille veut dénoncer les effets dévastateurs de ce qu’on surnomme « la drogue du pauvre », de plus en plus détournée à des fins récréatives. Le parquet de Lillede son côté, est bien conscient de ce trafic de drogue à grande échelle, encadré par des « réseaux structurés », principalement dans le quartier de Wazemmes et à Roubaix, indique-t-il. En réponse, une « stratégie judiciaire » a été mise en place « pour détecter les méga-consommateurs ».
Des comprimés de prégabaline retrouvés dans un appartement lillois : « C’est ça qui l’a achevé »
C’est dans la nuit du 17 novembre 2023 que Julien, accompagné de sa mère, apprend le décès de son frère jumeau. Virgile, que tous ses proches connaissaient qu’il luttait contre ses addictions depuis des années, en plus de devoir composer avec sa bipolarité, a été retrouvé mort dans le lit de son appartement à Lille. Si le médecin venu constater le décès évoque une probable crise cardiaque, induite par le surpoids du défunt, l’intuition de Julien est toute autre lorsqu’il accède aux lieux. Il repère rapidement « des pilules isolées entassées » » sur un meuble. Tout un cocktail de médicaments, en fait, composé de zopiclone, d’un somnifère et de comprimés ouverts de prégabaline.
C’est plus tard, lorsqu’il dispose du téléphone de son jumeau, que Julien comprend que ce dernier médicament nécessite une prescription obligatoire. “C’est ce qui l’a achevé”il décide. Messages à l’appui, il découvre que son frère l’avait facilement obtenu dans la rue, pour une somme dérisoire. « 2 à 5 euros pas plus », estime Julien. Avec sa famille, il a porté plainte en janvier 2024 pour dénoncer le trafic en cours et ses acteurs. Depuis, il n’a plus de nouvelles.
Nous déplorons de n’avoir jamais été convoqués depuis un an. Ce que nous voulons maintenant, c’est que les effets de la consommation [abusive] de prégabaline sont connus. C’est mortel.
Consommation détournée de prégabaline : quels risques pour la santé ?
Le Dr Jean-Philippe Platel, président départemental de l’Ordre des médecins du Nord, explique que la prégabaline répond à des « indications spécifiques » en cas d’épilepsie ou de « douleurs neuropathiques ». Le premier risque d’une mauvaise utilisation est l’intoxication aiguë. « La prégabaline est souvent associée à d’autres médicaments, car elle augmente leurs effets. Comme l’héroïne, la cocaïne mais aussi la morphine”, explique le médecin. Ce cocktail explosif peut provoquer « des troubles de la conscience, une détresse respiratoire, des convulsions et la mort ». Le risque de surdosage est multiplié ». Le deuxième risque est « la désinhibition, avec des personnes qui auront tendance à se suicider plus facilement ».
Les funérailles de Virgile sont désormais lointaines et aucune autopsie n’a encore été pratiquée. Les chances de retrouver – ou de condamner – la ou les personnes qui lui ont fourni de la prégabaline sont minces, Julien et sa famille le savent. Cependant, la procureure de Lille, Carole Etienne, s’est saisie du problèmeet bien avant que le cas de Virgile ne soit porté à son attention.
Police, CPAM, bailleurs sociaux… Un « groupe de travail » pour identifier les trafiquants
Le parquet reprogramme le début des enquêtes sur ce trafic de drogue – « souvent vendu au détail, directement dans la rue » – à avril 2021.
Il y a quatre ans, un « groupe de travail territorialisé » est ainsi développé pour « détecter les méga-consommateurs qui se procurent des médicaments dans différentes pharmacies, certaines utilisant des ordonnances falsifiées ». Ledit groupe de travail est le résultat d’une « instance de partenariat entre les magistrats du parquet de Lille, Les élus de la ville, la police nationale, bailleurs sociaux et le caisse primaire d’assurance maladie», informe encore le parquet. Et cette collaboration exceptionnelle porte ses fruits.
Les enquêtes judiciaires menées permettent d’identifier des individus, faisant partie de réseaux structurés, qui organisent et alimentent le trafic de drogue, à l’instar de ce que l’on connaît pour le trafic de drogue. Le procureur a également rappelé en avril 2022 aux services d’enquête de mener des investigations sur le fondement de l’infraction définie au I de l’article L.5432-2 du code de la santé publique.
Que dit exactement cet article ? Il réprime 5 ans de prison et de 375 000 € d’amende « le fait pour quiconque de fabriquer, importer, exporter, transporter, offrir, céder […] détenir illicitement ou être dispensé au moyen de prescriptions fictives ou de convenance » de « substances […] classés comme psychotropes » et les médicaments pouvant avoir les mêmes effets. Commis aux gangs organisésces infractions peuvent donner lieu à des peines « portées à 7 ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende« .
Un trafic « en constante augmentation » sur le territoire de la métropole lilloise
Et comment le trafic de drogue évolue-t-il localement ? Si le « phénomène reste difficilement quantifiable », le parquet le décrit tout de même comme étant « en constante augmentation »notamment la vente illégale d’antiépileptiques. Ils sont « appréciés pour leurs puissants effets psychotropes et font l’objet d’abus de drogues ». La prégabaline en fait donc partie, mais aussi le clonazépam, plus connu sous son nom commercial Rivotril®.
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