Après avoir accédé à un pouvoir sans précédent aux États-Unis suite à sa nomination par Trump à la tête du Département de l’efficacité du gouvernement, Elon Musk investit désormais la scène politique européenne en ciblant différentes personnalités et partis politiques. Pour ce faire, Musk utilise son réseau social X comme caisse de résonance de son soutien à l’extrême droite, suscitant des accusations d’ingérence politique. Quels objectifs poursuit l’homme le plus riche du monde ? Pourquoi attaquer l’Europe ? Et quelles pourraient être les conséquences sur les relations américano-européennes ? Pour répondre à ces questions, Jean-Yves Camus, journaliste, politologue et directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès, livre à Infraction son analyse de ces positions controversées.
L’Allemagne et le Royaume-Uni dans la ligne de mire
A six semaines des élections législatives allemandes, Musk multiplie les attaques contre le chancelier Olaf Scholz, le qualifiant d'”imbécile incompétent”. (tdlr) », tout en affichant un soutien explicite à l’extrême droite en assurant que seul le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) est en mesure de « sauver l’Allemagne « . Dans une tribune pour Die Welt, il a salué la politique de l’AfD en matière d’immigration, de réductions d’impôts et de déréglementation du marché.
Jeudi 9 janvier, Musk a amplifié la polémique en participant et en animant une émission en direct sur X avec Alice Weidel, la candidate de l’AfD aux élections législatives anticipées, suscitant l’indignation des dirigeants européens. Plusieurs parlementaires, dont Raphaël Glucksmann, tête de liste française PS-Place publique pour les élections européennes de 2024, ont appelé la Commission européenne à enquêter sur X et Tiktok et leur rôle potentiel dans la déstabilisation politique, exigeant des sanctions en cas de non-respect des Règles européennes.
De même, depuis l’arrivée au pouvoir de Keir Starmer au Royaume-Uni en juillet 2024, Elon Musk a qualifié le Premier ministre travailliste de « leader ». mal » à la tête d’un « État policier tyrannique « . Il lui reproche notamment de ne pas avoir poursuivi les criminels impliqués dans des affaires de violences sexuelles dans le nord de l’Angleterre lorsqu’il était directeur des poursuites pénales entre 2008 et 2013, des accusations que réfute Starmer, dénonçant mensonges et désinformation.
Par ailleurs, Musk a offert 100 millions de dollars de soutien financier à Nigel Farage, chef du parti conservateur et eurosceptique Reform UK, pour renforcer l’opposition conservatrice, une offre que Farage a déclinée. Le désaccord s’est approfondi après le soutien d’Elon Musk à Tommy Robinson, militant d’extrême droite et adepte des théories du complot, anti-immigration et anti-musulmans condamné en 2024 pour diffamation envers un jeune réfugié d’origine syrienne.
Quels objectifs ?
Selon Jean-Yves Camus, « toute la question est de savoir si Musk agit avec l’aval de Donald Trump ou s’il continue, poussé par sa mégalomanie, à vouloir saturer l’espace d’un réseau social qui lui appartient ». Cette question se pose à quelques jours de l’investiture de Donald Trump, dans un contexte où les Européens s’inquiètent des conséquences de l’arrivée au pouvoir de ce dernier, notamment sur la défense du Vieux continent en cas d’agression. Russe. Si l’hypothèse selon laquelle Musk agit avec l’aval de Trump se confirme, cela pourrait indiquer, selon Jean-Yves Camus, un projet politique bien plus ambitieux et inquiétant : celui de constituer un réseau populiste européen qui viserait à propager la vision trumpiste, qualifiant potentiellement remettre en question les fondements démocratiques et institutionnels de l’Europe.
-Le politologue met en garde contre le risque d’accorder une importance excessive à Elon Musk dans les affaires européennes. Il souligne également que ce type de rapprochement entre l’Europe et les partisans de Donald Trump n’est pas nouveau. Jean-Yves Camus évoque notamment le Conférence d’action politique conservatrice (CPAC), un rassemblement politique annuel des conservateurs américains. En 2019, Steve Bannon, ancien stratège de Donald Trump, avait tenté d’étendre cette initiative en Europe en s’immisçant dans les politiques nationales, à l’approche des élections européennes. Son objectif : « créer une fondation européenne destinée à fédérer les partis d’extrême droite », rappelle Camus. L’échec de Steve Bannon à fédérer l’extrême droite européenne rappelle que, tout comme Elon Musk qui s’appuie davantage sur sa fortune et son influence, des partis comme le RN, Fratelli d’Italia, le FPÖ ou encore le Fidesz n’ont pas attendu des personnalités extérieures. pour s’imposer sur la scène politique.
Jean-Yves Camus évoque une autre hypothèse pour expliquer les agissements d’Elon Musk : « miser sur sa puissance financière et médiatique pour entraîner les partis européens dans son sillage ». Selon lui, cela pourrait passer par des subventions et la promotion de contenus en période électorale, une stratégie qui n’est pas sans rappeler les objectifs politiques de l’ingérence russe, permettant de saturer un réseau social qui lui appartient pour l’alimenter, récupérer des données et faire parler d’eux-mêmes. Il rappelle cependant que les pays européens ont des règles strictes en matière de financement politique par les donateurs étrangers, tandis que le Parlement européen et la Commission veillent à empêcher toute transformation d’élus en agents d’influence étrangère.
Elon Musk peut-il changer la donne en Europe ?
En réalité, tout dépend de la réponse de l’Union européenne (UE) et du degré de liberté que Trump accordera à Elon Musk après son investiture. “Tout dépend de jusqu’où l’UE est prête à aller face à la puissance économique d’Elon Musk, qui est nettement supérieure à celle de nombreux Etats”, affirme Jean-Yves Camus. Le nouveau Parlement et la nouvelle Commission issue des élections de 2024, plus conservateurs, se montrent peu enclins aux actions fortes. Des personnalités comme le Premier ministre italien Meloni négocient avec Von der Leyen, présidente de la Commission européenne tandis qu’Orbán, Premier ministre hongrois ignore les sanctions européennes. Le politologue rappelle que « l’UE est malheureusement une non-puissance politique, freinée par la faiblesse de la diplomatie commune et l’absence de sa propre armée », ce qui laisse l’avantage à Musk.
Un autre élément clé à surveiller est la relation entre Elon Musk et Donald Trump. Pour l’instant, « lui et Trump ne sont pas encore au pouvoir et peuvent lancer les idées les plus extrêmes pour remercier les électeurs les plus radicaux », analyse Jean-Yves Camus. Il nuance toutefois : « Ce sera plus compliqué lorsque la diplomatie, on peut l’espérer, retrouvera ses droits. »
L’implication de Musk dans les affaires européennes, mais aussi dans les questions internationales, dépasse largement le cadre des fonctions confiées par Trump. Cette omniprésence a amené l’ancien président à déclarer lors d’un discours à Phoenix, en Arizona, le 23 décembre : « Non, il ne sera pas président. » Une remarque qui suggère que l’orgueil de Trump pourrait être la seule véritable limite à l’influence croissante de Musk.