« Les incendies témoignent de notre entrée dans l’ère du feu »

« Les incendies témoignent de notre entrée dans l’ère du feu »
« Les incendies témoignent de notre entrée dans l’ère du feu »

Ce 12 janvier, malgré l’hiver, Stephen Pyne observe par sa fenêtre un horizon brouillé par la fumée noire d’une forêt en feu. L’universitaire à la retraite n’habite pas loin de la Californie, mais ce spectacle n’est pas celui des incendies de Los Angeles. Sous ses yeux s’agite le Horton Fire, un incendie qui dévore depuis deux semaines la forêt nationale de Tonto, au cœur de l’Arizona. Emmitouflé dans sa polaire bleue d’hiver, l’homme reste calme. Il connaît le feu, il le côtoie depuis suffisamment d’années. Il l’assure : il est même devenu un vieil ami.

A 75 ans, cet historien de l’environnement est sans doute l’un des experts les plus importants. De l’Amérique du Nord à l’Australie en passant par la Méditerranée, la Sibérie et l’Afrique du Sud, Stephen Pyne parcourt le pour comprendre l’embrasement de la planète. Son idée ? Nous entrons dans le Pyrocène, une époque où le feu façonne la planète comme la glace lors des dernières périodes glaciaires.

Trois incendies distincts dans l’histoire planétaire

Pour le chercheur, il existe trois incendies dans l’histoire planétaire. Le premier est naturel, provoqué par des événements météorologiques comme la foudre. La seconde est celle domestiquée par les humains. Le troisième feu est celui qui apparaît lorsque l’humanité découvre la combustion. “ C’est le point de rupture. Le feu est ensuite utilisé pour produire de l’énergie et brûler des ressources fossiles, perturbant ainsi l’atmosphère terrestre. »

Le début d’un sinistre cercle vicieux : le climat se réchauffe et change ; les sécheresses se multiplient, transformant la végétation en combustible toujours plus inflammable ; les mégafeux, terme en partie inventé et popularisé par le chercheur, prolifèrent et rejettent à leur tour d’énormes quantités de CO2 dans l’atmosphère (15 % des émissions totales entre 2023 et 2024). “L’humanité s’est développée en contrôlant le feu. Aujourd’hui, elle est hors de contrôle et perturbe nos écosystèmes »conclut-il.

Ce natif de Phoenix a été rapidement captivé par son sujet. “ Comme la plupart des gens de l’ère moderne, j’ai été élevé dans l’illusion que les grands incendies constituaient une menace contre laquelle les citadins étaient protégés. » À 18 ans, après avoir terminé ses études secondaires, il rejoint le North Rim, au nord du Grand Canyon, pour l’été. Un travail saisonnier l’attend, mais tout prend vite une tournure inattendue. “ Un pompier local est tombé malade et a dû être remplacése souvient l’intéressé. Je me suis porté volontaire, et sans même avoir été formé, j’ai été envoyé sur le plateau Powell, une petite mesa enflammée par la foudre. C’était mon premier feu. »

Les quatorze étés suivants, parallèlement à ses études d’histoire, Stephen Pyne retourne sur la rive nord. Il y rencontre sa femme, se marie, devient chef de section, commence à élaborer des plans d’intervention… Lors d’une opération, un arbre en feu tombe sur son casque, lui éclaboussant le dos de gerbes enflammées. Il en ressort indemne, plus alerte sur la façon de se déplacer avec le feu.

Enfin titulaire d’un doctorat, mais sans emploi et plein de doutes sur son avenir, il postule en 1976 pour une missionen Antarctique. Le soir du Nouvel An, l’étincelle lui vient. “ J’ai compris que je devais mélanger mes deux vies : pompier l’été et chercheur l’année. » Seul dans le froid polaire, il décide à 27 ans de débuter sa carrière d’historien du feu.

«Nous vivons un Rägnarok au ralenti”

Une quarantaine d’ouvrages et des décennies d’enseignement à l’université d’Arizona plus tard, Stephen Pyne met en garde contre l’embrasement de la planète. “ Nous vivons un Rägnarok au ralenti (ce mythe norvégien faisant référence à l’apocalypse, NDLR) »aime-t-il répéter sur un ton amer.

Pour l’historien, qui compare ces incendies au retour de la polio ou de la peste, le problème est triple. “ Premièrement, il y a trop d’incendies nuisibles, c’est-à-dire des incendies incontrôlables qui détruisent des communautés et des vies. Les dégâts sont encore plus importantsque nous avons perdu l’habitude de rendre nos maisons et nos communautés résistantes au feu. »

« Deuxièmement, il y a trop peu de bons feux. Nous avons adopté le réflexe de vouloir éteindre un incendie à la moindre étincelle, alors même qu’elles sont parfois indispensables à la régénération d’un écosystème. La conséquence est des zones forestières toujours plus vulnérables. Troisièmement, on brûle trop de combustibles fossiles, ce qui aggrave la situation globale. Sortir est essentiel. »

Aujourd’hui à la retraite, Stephen Pyne multiplie les projets. Il a passé ses derniers mois à écrire un scénario pour Hollywood, l’histoire d’un incendie catastrophique à Los Angeles. Alors visiblement, les incendies qui ravagent la Californie l’ont attristé sans le surprendre. D’ailleurs, la veille même du premier incendie, il rapportait au magazine allemand Monde du bâtiment un article sur les menaces qui pèsent sur la mégalopole californienne. Son nom : « Hollywood en flammes ».

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Ses raisons d’espérer

« J’aime me dire que le feu, c’est un peu notre super pouvoir (rires). Nous manipulons le feu comme aucune autre forme de vie ne le peut. Il ne pose problème que parce que nous avons abusé de notre relation avec lui, mais nous pouvons rétablir une certaine forme d’équilibre. Déjà en arrêtant de brûler les ressources fossiles. Ensuite, en réapprenant à travailler avec le feu. Par exemple, aux États-Unis, certains pompiers tentent aujourd’hui de réintroduire d’anciennes pratiques, comme les feux contrôlés, qui consistent à combattre un incendie avec un autre allumé à des endroits stratégiques, pour contrôler et « diriger » l’incendie. ».

 
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