Agen-Biarritz : on (re)matche avec Christian Lanta

Agen-Biarritz : on (re)matche avec Christian Lanta
Agen-Biarritz : on (re)matche avec Christian Lanta

Je me souviens avoir dit : “Cette année, nous visons le titre”

Christian Lanta : Il y a plus de 20 ans, Agen et Biarritz se disputaient la suprématie du rugby français, et cette finale de 2002 est l’une de mes plus grandes frustrations et déceptions. Je voudrais revenir sur le contexte. Le SUA était en difficulté financière depuis deux ans et nous avions réussi à maintenir ce groupe. Nous nous sommes souvent rencontrés et les joueurs avaient accepté des baisses de salaire l’année précédente. Nous étions unis et j’étais convaincu que nous pouvions remporter le titre. Lors d’un entraînement en début de saison, je me souviens avoir dit aux joueurs : « Cette année, nous visons le titre, nous voulons être champions. » Je pense que c’est la seule fois où je le dis dans ma carrière. Les joueurs m’ont regardé, un peu surpris, mais je leur ai expliqué qu’il était temps. Nous arrivions à maturité, notre jeu était en place et il y avait une belle expérience au sein du groupe, avec des joueurs comme Crenca, Benetton, Labrousse et d’autres. Il était temps pour nous de viser le titre.

Le contexte était difficile. Ce n’était pas qu’une difficulté sportive : on s’est éclaté sur le terrain, mais le club était fragile. Nous étions déterminés à réussir pour le club et nous avons vraiment signé un pacte de performance et d’engagement. Dans le contexte, il faut aussi rappeler que Serge Blanco venait de prendre la direction de la Ligue. Il a régné un peu sur le rugby français et a mis la pression sur tout ce qu’il pouvait. Il a dû apprendre d’Albert Ferrasse (rires). Cela nous a donné encore plus de motivation et de solidarité pour réussir. Malheureusement, en finale, nous avons perdu sur quelques petits détails.

« Aujourd’hui encore, je suis convaincu qu’on ne pouvait pas la perdre »

CL : Je pouvais réciter par cœur le déroulement du match, et pourtant, j’ai mis du temps à le revoir, car c’était vraiment une blessure pour moi. Mais pendant le Covid, j’ai regardé tous les matchs, et j’ai revu cette finale. À une minute de la fin, je suis convaincu que nous ne pourrions pas la perdre. Mais c’est comme ça, c’est la beauté du sport, même s’il est vécu à notre détriment. On a fait une bonne saison malgré tout, et je pense qu’on a redonné de l’enthousiasme au club et aux supporters. Nous avons été reçus à Agen presque comme si nous avions gagné la finale.

Un discours différent aujourd’hui ?

CL : C’est facile de dire après coup qu’on aurait changé les choses. Mais quand on perd, c’est parce qu’il y a des choses qu’on ne savait pas faire. Le staff, les joueurs, c’est une responsabilité collective. Nous avions tout mis en place pour bien préparer les joueurs, mais dans les moments clés du match, nous n’avons pas su saisir nos occasions. Je pense avec le recul que nous avons placé trop de responsabilités sur les joueurs. On leur a dit de gagner pour le club, pour leurs supporters ; nous avions mis trop de poids dans cette finale. Je regrette de ne pas leur en avoir assez dit pour remporter ce titre à leur place.

“La meilleure équipe que j’ai entraînée”

CL : Oui, dans le jeu que nous avons produit, c’était le meilleur. Nous avions la capacité d’alterner notre jeu et ce qui m’a plu, c’est l’intelligence tactique de l’équipe. A la mi-temps, on pouvait complètement changer de stratégie en fonction de l’évolution du match. C’est une équipe qui avait une vraie malléabilité tactique, et c’était un plaisir de travailler avec eux. Agen est une terre de labeur, de travail, où il faut se battre pour prouver qu’on existe. J’ai mis beaucoup de cette idée dans mes discours, et les joueurs l’ont bien reflété : c’étaient des hommes de caractère. Des joueurs comme Crenca, Rué, Hassan, Benetton. Ce sont ces hommes qui ont fait la différence et qui ont contribué à notre parcours.

Loyauté et honnêteté, les secrets du duo Lanta-Deylaud

CL : Il y avait une vraie complicité avec Christophe Deylaud. Il avait des qualités que je n’avais pas et vice versa. Il y avait une loyauté totale entre nous et une honnêteté. A la fin de chaque séance de formation, nous faisions toujours le point. On s’est dit : « Je n’étais pas bien, toi non plus. » Cette capacité à penser de manière critique nous a permis d’avancer ensemble. Et quand j’ai demandé à Christophe de venir s’entraîner avec moi, c’est parce qu’il avait une belle expérience et que j’avais des jeunes joueurs derrière. Nous restons toujours en contact aujourd’hui. On parle beaucoup de rugby quand on s’appelle. C’est une véritable amitié qui s’est nouée entre nous. Peut-être que j’aurais pu revenir aider le SUA avec lui en 2022 lorsque le club l’a ramené. Nous restons toujours attachés à ce club. Le SUA est une affaire de famille. Lorsqu’un membre de la famille est en difficulté, nous voulons l’aider.

Reconstruire les fondations avant de chercher des résultats

CL : Les trois, quatre dernières saisons ont été difficiles pour Agen. Ils ont un peu perdu confiance par rapport à ce que je vois, et j’avoue que je ne comprends pas tout. Ici, il y a des moyens financiers pour la Pro D2, il y a du staff, et pourtant le club continue de souffrir. Mais je pense que cette année, il y a un travail qui commence à porter ses fruits. Il faut laisser du temps à Sébastien Calvet et aux joueurs, pour renforcer ses convictions. Ce n’est pas un problème de résultats immédiats. Il faut reconstruire les bases, trouver une équipe qui prend plaisir à jouer et qui puisse progresser chaque année. L’erreur est d’attendre pour remonter en Top 14. Il ne faut pas s’impatienter des résultats, mais voir les progrès dans le temps, réenthousiasmer le public, émettre de la sérénité, de l’apaisement…

Le petit questionnaire //

Quidam Hebdo : On a tendance à l’oublier, mais vous avez aussi joué à Agen, en plus d’y avoir été entraîneur. Avec le recul, avez-vous préféré y jouer ou y entraîner ?

CL : C’est difficile de choisir. Déjà, venir jouer à Agen était pour moi une vraie reconnaissance, je ne m’y attendais pas. Ils venaient d’être champions de en 1976. Je suis arrivé en 1978, et rejoindre l’une des plus grandes équipes françaises de l’époque était une énorme responsabilité. J’ai joué deux saisons, avant une blessure au genou. Entre-temps, j’avais obtenu mon CAPES et j’étais muté à Paris. Mais ces deux années ont été magnifiques. J’ai joué avec des joueurs exceptionnels : Daniel Dubroca, Bernard Viviès, Philippe Mothe, Charles Nieucel, Jean-Louis Tolot… C’était une équipe en reconstruction après les départs des grands noms de 1976 comme Plantefol. Sur le terrain, nous avions beaucoup de liberté, et en dehors, il y avait une vraie camaraderie. C’était une époque où rugby rimait aussi avec convivialité et ambition.

Côté coaching, j’ai eu deux mandats : huit ans d’abord, puis quatre ans plus tard. C’est vrai qu’au début, certains comme Bernard Lavigne me disaient : « Un entraîneur, c’est pour deux ou trois ans, pas plus. » Eh bien, j’ai essayé de lui prouver qu’il avait tort ! Ce fut une belle aventure, même si le regret de ne pas avoir remporté de titre reste présent. On a quand même fait de très belles saisons, et pour moi, ça a été une fierté et un accomplissement personnel. Les deux expériences sont radicalement opposées, mais je ne peux pas choisir, elles se complètent.

QH : Y a-t-il un joueur, parmi ceux que vous avez entraînés, qui vous a particulièrement marqué ? Et un joueur de l’effectif actuel qui retient votre attention ?

CL : Je pense évidemment à Rupeni Caucaunibuca. Sa venue fut une aventure unique. Avec Laurent Lubrano, nous sommes allés le chercher. Quand j’ai montré les vidéos qu’on avait sur lui à Christophe (Deylaud) et que je lui ai dit qu’il serait avec nous à la rentrée, il sautait partout ! Nous n’avons pas dormi de la nuit (rires). Il avait un talent extraordinaire. Ce qui m’a frappé chez lui, c’est son intelligence de jeu. Il a tout anticipé : s’il ne s’est pas engagé dans une action, s’il est resté sur son aile, presque désintéressé, c’est qu’il savait que la phase de jeu n’aboutirait à rien. Neuf fois sur dix, cela lui a donné raison. Il n’avait rien à lui apprendre, il faisait tout naturellement. C’était un joueur exceptionnel, même s’il avait un style de gestion un peu inhabituel en dehors du terrain. Mais lorsqu’il jouait, il pouvait à lui seul changer le cours d’un match. Il faisait partie de ces joueurs qui ont marqué un club de leur empreinte. Quant à l’effectif actuel, j’ai un faible pour les troisièmes lignes. Le jeune Valentin Gayraud m’impressionne. Il a une vraie régularité dans ses matchs, et je pense qu’il fait partie de ceux qui ont la plus grande marge de progression dans ce club. C’est un joueur sur lequel Agen doit s’appuyer pour la suite.

 
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