(Paris) Tribun hors pair, provocateur sulfureux en croisade contre l’immigration, reconnu coupable d’antisémitisme, l’homme politique français Jean-Marie Le Pen est décédé mardi, à l’âge de 96 ans, après avoir sorti l’extrême droite française de sa marginalité.
Publié à 7h05
Mis à jour à 7h42
Anne RENAUT and Paul AUBRIAT
Agence -
Jean-Marie Le Pen est entré dans la mémoire collective avec un pansement noir sur son œil gauche blessé, cultivant une image provocante et transgressive de sa jeunesse.
Et jusqu’au bout, le fondateur du Front national (devenu Rassemblement national en 2018) n’a exprimé aucun regret pour les dérapages, maîtrisés ou non, qui lui ont valu plusieurs condamnations : les chambres à gaz qualifiées de « point de détail de l’histoire du de la Seconde Guerre mondiale » (1987) aux « inégalités raciales » (1996), en passant par l’occupation allemande de la France, « pas particulièrement inhumaine » (2005) ou l’agression physique d’un opposant socialiste (1997).
Il fut également condamné à la fin des années 1960 pour apologie de crimes de guerre après avoir publié un disque de chansons du IIIe siècle.e Reich. « Je suis un homme libre », répète-t-il, préoccupé par sa posture anti-système quitte à se marginaliser.
Jean-Marie Le Pen voulait-il le pouvoir ? “Je crois qu’au fond, il ne voulait pas gouverner”, a déclaré le journaliste Serge Moati, qui l’a suivi pendant 25 ans. “Avoir été considéré comme un réprouvé, un exclu, un antisystème, l’a en fait aidé et lui a paradoxalement donné une popularité qui s’est progressivement traduite dans les urnes.”
« Putain de merde »
Le 21 avril 2002, il choque la classe politique et une grande partie de l’opinion publique française en atteignant le second tour de l’élection présidentielle derrière le sortant Jacques Chirac. Ce dernier a été largement réélu après des manifestations massives contre l’extrême droite.
Mais Jean-Marie Le Pen aura réinventé une extrême droite française jusqu’alors disqualifiée par la collaboration avec l’occupant nazi, et ouvert la voie à la montée des mouvements nationalistes et populistes en Europe.
Né le 20 juin 1928 à La Trinité-sur-Mer (Nord-Ouest), il perd son père, pêcheur, à l’âge de 14 ans, mort en mer en sautant sur une mine.
Etudiant en droit à Paris, combattant, il privilégie le militantisme et cultive des amitiés colorées, à l’image du cinéaste de la Nouvelle Vague Claude Chabrol, engagé à gauche, qui voyait en lui un « magnifique connerie ».
Engagé dans les parachutistes de la Légion étrangère, Le Pen part combattre en Indochine, où il se lie d’amitié avec une future légende du cinéma, Alain Delon.
De retour en France, il est élu député en 1956 et devient le plus jeune député à l’Assemblée nationale. Puis il repart, cette fois en Algérie, où il sera accusé de torture – ce qu’il a toujours contesté.
« Diabolisation »
Anticommuniste viscéral, partisan de l’Algérie française, Le Pen fréquente l’ultra-droite. En 1972, il est nommé à la tête d’un nouveau parti regroupant des néofascistes : le Front national.
Le mouvement stagne puis éclate en 1983, avec un thème obsessionnel : « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés de trop ».
Avec son slogan fétiche « Les Français d’abord », cet orateur est le champion autoproclamé des « petits », lui devenu millionnaire en héritant de la fortune de son ami Hubert Lambert.
Mais celui qui gère le Front national comme « une boutique familiale » fait face à des divisions. À la fin des années 1980, sa femme et mère de ses trois filles le quitte brutalement et pose alors nue dans le magazine. Playboy.
Dix ans plus tard, il renie en direct à la télévision sa fille promise, Marie-Caroline, qui soutient une rivale au sein du parti.
C’est finalement la cadette, Marine, qui a repris le flambeau en 2011. Elle a d’abord clamé sa loyauté avant d’exclure en 2015, après un énième dérapage antisémite, ce père devenu gênant pour son projet de « diaboliser » l’État. extrême droite.
« Gros remplacement »
Elle change le nom du parti et entame sa banalisation. « Un suicide », selon Jean-Marie Le Pen, qui avait théorisé le rapprochement de tous les partis d’extrême droite.
Il se retire dans ses mémoires, où il revient sur ses thèmes favoris, comme le « grand remplacement » de la population française par l’immigration.
Ces dernières années, Jean-Marie Le Pen a diverti à la pelle. Il avait laissé entendre qu’il voterait pour le candidat d’extrême droite Éric Zemmour à l’élection présidentielle de 2022.
Un an plus tard, une crise cardiaque l’oblige à abandonner la vie sociale. Dès février 2024, ses trois filles, Marie-Caroline, Yann et Marine, sont désignées pour gérer ses affaires courantes.
Après la victoire du RN aux élections européennes de juin et la dissolution surprise de l’Assemblée décidée par le président Emmanuel Macron, le parti a commencé à croire au pouvoir.
Contré par un « front républicain », le RN remporte néanmoins un nombre record de députés. Et Marine Le Pen, trois fois candidate à la présidentielle, croit en ses chances pour la quatrième, prévue en 2027, malgré ses démêlés avec la justice.