Avec la « loi spéciale » et le décret sur les « services votés » prolongeant exceptionnellement le budget 2024, la France est entrée le 1er janvier dans une période inédite. “On ne peut pas prendre de nouveaux engagements : la France fonctionne au service minimum”a résumé la ministre des Affaires sociales Catherine Vautrin, le 3 janvier sur RTL.
Une circulaire du 30 décembre des nouveaux ministres de l’économie, Éric Lombard, et des comptes publics, Amélie de Montchalin, alertait sur les conséquences d’une gestion limitée au minimum indispensable pour assurer l’exécution des services publics : aucune création d’emploi public n’est ainsi pas possible.
Au ministère de la Justice, il faudra attendre le vote du projet de loi de finances 2025 (PLF) pour confirmer les 343 magistrats et 320 greffiers supplémentaires, que l’ancien garde des Sceaux Didier Migaud avait réussi à extorquer. Mais toutes les décisions doivent être reprises. Que « fera l’objet d’un travail commun avec Bercy en janvier »résume sobrement la chancellerie.
Seulement 25% du budget disponible
Dans chaque ministère, des échanges ont lieu avec le contrôleur ministériel budgétaire et comptable, placé directement sous l’autorité de la direction du budget et de la direction générale des finances publiques du ministère des finances. Cette année, la circulaire Lombard-Monchalin lui a ordonné de bloquer toute dépense supérieure à 25% du budget de l’année précédente.
« Chaque année, j’engage par avance environ la moitié de mon budget de décembre, explique un chef de service dans une grande administration gouvernementale. La moitié de ces commandes devront attendre d’être payées par nos fournisseurs, avec un risque de sanctions financières pour l’Etat. »
Toutefois, la circulaire prévoit que certaines dépenses peuvent être maintenues si leur report entraîne “un coût disproportionné pour l’Etat”. Mais cette disposition concerne plutôt les dépenses stratégiques, comme en matière d’armement.
“Conformément à la loi de programmation militairele PLF 2025 prévoyait d’augmenter les dépenses de défense de 3,3 milliards d’euros. Ne pas avoir ce budget en début d’année fait courir le risque d’un retard voire d’une annulation des commandes »s’inquiète l’ancien député François Cornut-Gentille, qui conseillait Michel Barnier sur les questions de défense.
“Tout ce qui n’est pas acquis est fragile”
L’exemple le plus évident est celui du porte-avions de nouvelle génération (Pang), dont la commande ferme devrait théoriquement être signée au premier semestre 2025. « Le respect des délais apparaît d’autant plus crucial que les Chantiers de l’Atlantique ont « réservé » leurs capacités industrielles à la construction du Pang pour une durée donnée en renonçant à la construction de bâtiments civils sur ce créneau »avaient prévenu les sénateurs Hugues Saury et Hélène Conway-Mouret fin novembre dans leur rapport sur le budget de la défense.
Prévoyant, l’état-major avait déjà commandé en mars les chaudières nucléaires de Pang, pour 600 millions d’euros. Un retrait serait donc particulièrement coûteux pour l’État. « Au-delà de ça, tout ce qui n’est pas acquis est fragile, surtout quand les besoins sont pressants ailleurs et qu’il faudra arbitrer »relief François Cornut-Gentille.
Ainsi, en matière sociale, les dépenses s’écoulent d’autant plus vite que les dépenses dites « de guichet » ne sont pas concernées par la limitation des dépenses. En l’absence d’un projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) en 2025, il faudra aussi compter sur la hausse automatique de 2,2% des retraites (+ 6,5 milliards d’euros, quand le gouvernement Barnier espérait économiser 3,6 milliards en reportant la hausse des retraites. jusqu’au 1er juillet), et sur les dépenses de santé que l’assurance maladie ne peut plus contenir. Selon Amélie de Montchalin, sans mesures d’économies, le déficit de la Sécurité sociale pourrait s’élever à 25 milliards fin 2025 (et non plus 16 milliards dans le PLFSS du gouvernement Barnier).
“Nous savons très bien qu’il va falloir contribuer à réduire les déficits”
Dans les collectivités locales, la situation n’est pas forcément plus facile, même si la loi spéciale a sécurisé les principales dotations de l’Etat. « La dotation globale de fonctionnement sera versée normalement, rassure Jérôme Lenoir, directeur général des services de l’agglomération et de la ville de Sète, et vice-président de l’Association des administrateurs territoriaux de France. Il en va de même pour les impôts locaux pour lesquels on bénéficiera de l’indexation automatique des valeurs locatives à l’inflation. »
Autre motif d’allègement : les collectivités sont exonérées des déductions prévues par le PLF, à l’exception notable de la hausse de 3% des cotisations à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales (CNRACL). “Mais nous savons très bien qu’il va falloir contribuer à la réduction des déficits et, comme en octobre, nous sommes à la merci des annonces faites au dernier moment”reconnaît Jérôme Lenoir qui a fait voter le budget de la ville de Sète en décembre et attendra avril pour celui de l’agglomération.
Risque récessif
Mais les subventions ne sont pas les seuls revenus des communautés. « La part de TVA que nous percevons représente les deux tiers de nos recettes », explique Isabelle Mouze-Esteves, directrice générale adjointe des services du département du Calvados, inquiète des risques que représente pour ses finances une croissance atone.
« Moins de consommation signifie moins de TVA. Moins d’investissements des entreprises et des ménages signifie moins de constructions et d’achats immobiliers, donc moins de taxes d’aménagement et moins de droits de mutation »résume-t-elle. Soit, au total, plusieurs dizaines de millions d’euros de moins, alors que les dépenses départementales (RSA, dépendance, enfance…) sont contraintes. « Nous essayons de générer des marges opérationnelles, mais la hausse à la CNRACL représente à elle seule plus de 2 millions par an sur trois ans : l’équivalent de 150 postes »fait-elle remarquer.
Le risque est donc que les collectivités ne touchent pas aux investissements, pourtant ceux-ci jouent un rôle important dans la croissance. Selon l’Insee, les dépenses publiques ont contribué pour plus de la moitié aux 1,1 % de croissance française en 2024. « Les collectivités représentent 60 % des investissements publics, mais seulement 20 % des dépenses publiques et 9 % de la dette »insiste Jérôme Lenoir qui a maintenu l’investissement à Sète à 35 millions, « que nous finançons entièrement nous-mêmes ».
Avec l’extrême limitation des dépenses publiques, le risque d’un effet récessionniste est réel. « Associations ou entreprises, nos partenaires locaux sont inquiets. Parce que derrière les marchés publics, il y a des emplois, prévient Isabelle Mouze-Estèves. Nous sommes dans un cycle où l’on craint une récession. » Une crainte partagée par Éric Lombard qui convient que contenir le déficit dans une fourchette “entre 5% et 5,5%” était une flexibilité nécessaire « pour préserver la croissance ».
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Un déficit “entre 5% et 5,5%”
Après un déficit de 6,1% du PIB en 2024, et alors que le gouvernement Barnier espérait le réduire à 5% en 2025, le nouveau ministre des Finances Éric Lombard estime le déficit “entre 5% et 5,5%”.
Ce chiffre reste toutefois conforme aux règles européennes. du pacte de stabilité qui demande aux pays soumis à une procédure de déficit excessif, comme la France, de réduire leur déficit d’au moins 0,5 point chaque année.
La croissance française devrait être révisée à la baisse : +0,8%, moins que les 1,1% sur lesquels comptait Michel Barnier dans son projet de loi de finances, mais plus proche de la dernière prévision de la Banque de France (+0,9%).
Cela représentera un effort budgétaire “environ 50 milliards d’euros”soit moins que les 60 milliards ambitionnés par le gouvernement précédent.