Open since September 2024, the École supérieure des Arts du Rire (ESAR) received a visit from its artistic director Jeremy Ferrari.
Jérémy Ferrari, très présent dans la création de l’école puis dans le recrutement de la cinquantaine d’élèves formant la première promotion de cette école si particulière, est ensuite parti en tournée, mais a toujours eu un oeil sur cette école dont il rêve. Ce rendez-vous mi-décembre – avant de partir avec ses complices Arnaud Tsamère et Baptiste Lecaplain pour un nouveau spectacle – était donc pour lui un moment privilégié pour faire le point avec les élèves et l’équipe pédagogique.
Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait
Ils ? Le triumvirat Frédéric Biessy, directeur général de La Scala Paris et de La Scala Provence, Jérémy Ferrari le directeur artistique, et Geneviève Meley Othoniel, la directrice générale.
Quoi ? Créer une Ecole Supérieure des Arts du Rire et assumer ce titre qui peut paraître prétentieux, mais il fallait ériger ce genre humoristique comme un Art d’excellence à part entière.
Faut-il rappeler qu’avec 30 heures de cours hebdomadaires en première année, des masterclasses, six professeurs permanents, de nombreux conférenciers professionnels de l’humour, des bourses pour permettre aux plus défavorisés d’accéder à l’éducation, tout a été pensé et créé pour mener à bien ce projet un peu fou. réalisation?
Jérémy Ferrari seul sur scène lors d’un premier bilan
Il le dit lui-même, il a été le premier sceptique. Il pensait sincèrement que ce n’était pas possible pour plusieurs raisons : il fallait une structure, il devait accepter de perdre de l’argent, il lui fallait de la force et une implication importante, il fallait trouver des personnes qualifiées permettant une professionnalisation, obtenir l’agrément pour octroyer des crédits européens (université EU ), avoir la reconnaissance d’un diplôme universitaire, trouver des professeurs de qualité qui acceptent de venir à Avignon une à deux fois par semaine et de ne pas se « cacher » !
“Je n’ai pas été un véritable élève dans mon parcours scolaire mais j’ai créé une véritable école dont je suis fier”
Heureux, fier, satisfait : ces adjectifs reviennent souvent dans sa bouche. « Très enthousiaste après avoir rencontré les étudiants qui m’ont fait part de ce qui peut encore être amélioré dans le fonctionnement. Lorsqu’il s’agit d’améliorations, les étudiants en veulent plus ! Je n’ai pas été une vraie élève dans mon parcours scolaire, donc j’écoute ce qui peut être amélioré. »
Qu’est-ce qu’il y a d’exceptionnel dans cette école ?
Bienveillance, dialogue permanent entre les étudiants et l’équipe pédagogique, écoute, remise en question incessante. Il est exceptionnel de proposer plus de 30 heures de cours par semaine avec des personnes de qualité (d’autres écoles existent avec seulement 3 à 9 heures de cours par semaine). Il y a un effectif réduit, un programme complet, on accompagne vraiment les étudiants, on fait un travail sur mesure, au cas par cas pour trouver des financements. La relation avec les professeurs est fluide et respectueuse.
Artiste, producteur, diffuseur, éditeur, bientôt réalisateur : « Je ne peux pas être seul avec moi-même »
« Pour moi, cette école est la suite logique de mon envie de transmettre, ce métier est ma passion. Je ne peux pas être seul avec moi-même, j’aime travailler avec les autres, participer à toutes les étapes d’un spectacle. C’est ce qui me rend indépendant et pour moi un gage de sérénité. Artiste, producteur, diffuseur, éditeur, bientôt réalisateur, cela me permet d’être libre, de me donner plus de poids pour me défendre ou défendre d’autres artistes. Je travaille avec des gens que j’aime, je m’amuse et je donne. C’est un grand moment pour moi lorsque j’ouvre une billetterie ! »
Ne confondez pas critique et censure
« Je ne fais pas partie de ces gens qui considèrent qu’on ne peut plus rien dire. Je dis tout ce que je veux pendant 15 ans de carrière. Récemment sur Canal Plus, j’ai encore insulté la moitié du monde sans aucun problème ! La censure a toujours existé, même au temps de Coluche – lui-même a été censuré sur RMC –, la chanson Hexagone de Renaud a été banni de la radio. Ce n’était pas mieux avant. Les gens confondent censure et critique. Désormais, nous avons donné à chacun la liberté de donner son avis sur tout. Le problème pour moi, c’est l’importance qu’on accorde à ceux qui ne sont pas contents. »
Et l’autocensure ?
« La censure peut venir de n’importe qui, n’importe où et n’importe qui. La seule chose qu’un comédien peut faire, c’est ne pas céder. La vraie question à se poser est : est-ce que je vais faire rire les gens avec ça ? N’acceptez pas d’être coupé. Si on accepte une fois, c’est fini. Parce que plus on essaie, plus on a peur. Après, on n’ose plus y aller et on se déteste. »
Ne cède pas
« Prenons l’exemple du Bataclan (attentat du 13 novembre 2015). J’avais en préparation l’émission « Vendre 2 pièces à Beyrouth » sur le terrorisme qui a débuté trois mois plus tard. Je dois parler de l’attaque. Comment parler de ce fait abominable ? Sur scène, je fais de l’humour noir, donc je ne peux pas le traiter différemment, ce n’est pas possible. Je décide de le traiter d’une manière tellement abominable que cela paraîtra absurde et c’est cela qui fera rire les gens.
Pendant 25 minutes, je me moque des victimes et de la manière dont elles sont mortes ! Cela ne peut pas être plus abominable que ça. Si j’avais montré ce texte demain, on m’aurait demandé d’y renoncer.
Maintenant au Trianon, dans une salle de plus de 1000 personnes, les gens m’aimaient pour ça. Certains ont pu faire leur deuil en riant. D’autres me détestaient, mais c’est leur problème. Il faut donc être vigilant tout au long de notre vie pour éviter l’autocensure. Au début, vous n’avez rien à perdre, le vrai courage vient plus tard. »
Les comédiens ne sont pas les ennemis des gens, ils sont leurs amis.
L’Ecole Supérieure des Arts du Rire – et c’est là sa grande particularité – se trouve dans les locaux de La Scala Provence. Lors de cette rencontre avec leur directeur artistique, la salle grouillait de 47 étudiants nouvellement recrutés. Je suis allé à leur rencontre enthousiasmé à l’idée de rencontrer les talents de demain et de comparer leur ressenti à ceux évoqués par Jérémy Ferrari.
Quel est votre ressenti après 3 mois d’opération ?
Le petit groupe interrogé a répondu d’une seule voix, sans hésitation : « Très agréablement surpris et content de l’investissement de tous les professeurs. On se sent accompagné, on est dans un cocon, il y a une vraie générosité, une bienveillance totale. »
Compétition ou coopération entre vous ?
« On ne peut pas parler de concurrence. Peut-être en 2ème et dernière année l’année prochaine à Paris ? Nous travaillons avec humour, il ne peut pas y avoir de guerre d’ego, car nous pouvons tous échouer lorsque nous sommes exposés sur scène. Nous sommes encore en phase d’apprentissage. De plus, les différents cours et professeurs nous incitent à travailler en groupe pour des improvisations par exemple, mais aussi en réécriture. Des styles très différents émergent : stand-up, humour noir, absurde, comédie visuelle, seul sur scène. »
« Nous avons des profils très différents : certains sont déjà montés sur scène, d’autres sont plutôt destinés à être interprètes, d’autres auteurs. »
Étudiants de l’ESAR
Humour engagé ?
« On nous apprend à être rigoureux, à comprendre où nous pouvons placer la barre. Pour cela, il existe des cours de débat rhétorique pour ne pas calomnier, savoir chercher des sources, et établir des faits concrets. On s’amuse, mais rien n’est gratuit. Humour engagé ? Les femmes de la classe le sont peut-être davantage, elles ont plus de choses à dénoncer. »
Votre vie à Avignon
Le mot « cocon » revient souvent ! Les 47 étudiants ont entre 19 et 40 ans et viennent de toute la France. Ils découvrent Avignon et apprécient « la petite ville qui a tous les atouts d’une grande, avant de se libérer l’année prochaine à Paris. » Ils restent plus facilement entre eux, car ils travaillent beaucoup, le programme est dense. Certains s’essayent à la scène sur leur temps personnel et se produisent dans divers lieux d’Avignon comme La Souricière, La Cave des Pas Sage ou le Théâtre de l’Observance (qui accompagnait un certain Jérémy Ferrari à ses débuts).
Bientôt une scène ouverte
Le public sera officiellement invité à les voir le 24 avril sur la scène de La Scala Provence lors d’une scène ouverte qui transformera La Scala Provence en un Comedy club géant. Les étudiants de l’ESAR utiliseront les quatre salles de La Scala Provence et côtoieront des artistes confirmés tels que Jos Houben, Tania Dutel et Jeremy Nadeau.
La Scala Provence. 3 rue Pourquery de Boisserin. Avignon. 04 90 65 00 90.