En Corée du Sud, la querelle entre la présidence et l’Assemblée nationale est une malédiction. Chronique de Harold Hyman

En Corée du Sud, la querelle entre la présidence et l’Assemblée nationale est une malédiction. Chronique de Harold Hyman
En Corée du Sud, la querelle entre la présidence et l’Assemblée nationale est une malédiction. Chronique de Harold Hyman

Le 3 décembre, le président de la République de Corée a proclamé la loi martiale, mais y a mis fin le même jour face à l’opposition populaire, parlementaire et même militaire. Le peuple sud-coréen n’aime pas que les présidents prennent trop de pouvoir, mais ils veulent que ce soit efficace et paternel. Confucius était là. Depuis les années 1950, les Sud-Coréens ont connu 25 ans de dictatures militaires partielles ou absolues. Ils s’expriment avec violence. Dans les années 1970, leur président-dictateur général Park Chung-hee a été assassiné par des éléments militaires dégoûtés par la dérive monarchique de son pouvoir. Ces mêmes officiers lui succédèrent collectivement, puis tentèrent de maintenir un régime militarisé pire que le précédent.

Ce nouveau régime a réprimé dans le sang les étudiants pro-démocratie (au moins 200 morts) ce qui a donné lieu à huit années de protestations qui ont poussé la junte à restaurer progressivement la démocratie. Cependant, les conservateurs actuels, qui perpétuent les idées des autocrates militaires, persistent électoralement.

La preuve : en 2014, Park Geun-hye, la fille du général assassiné 35 ans plus tôt, a été élue ! Cependant, elle fut rapidement prise dans divers scandales de probité. Une vague populaire a mis fin à tout cela : des centaines de milliers de manifestants se sont relayés chaque soir, dans la rue, pour protester silencieusement contre Madame Park, dans un immense sit-in, sans violence, jusqu’à ce que ses députés se retournent contre elle et lui infligent une «impeachment», soit un procès devant la Cour suprême et une peine de 25 ans de prison en 2017, dont une grâce présidentielle est venue la délivrer en 2022.

Et ici le peuple élit en 2022, M. Yoon Suk Yeol, un procureur très conservateur, avec une infime marge, pour un mandat non renouvelable de cinq ans. Du même côté que Madame Park ! Les conservateurs sont tenaces.

En 2024, les élections législatives – le mandat d’un député est de quatre ans et ne coïncide pas avec celui du président – ​​ont vu le parti conservateur complètement mis en minorité. Mais le régime est présidentiel ! C’est un nouvel exemple de l’effet délétère de la désynchronisation des élections législatives et présidentielles, comme tous les Français le savent désormais. Yoon a été assailli par le rouleau compresseur de l’opposition désormais majoritaire : tous ses projets de loi ont été bloqués, et plusieurs de ses ministres ont été soumis à des procédures de destitution, la fameuse « impeachment ».

Yoon a sans aucun doute aggravé son cas en tentant la loi martiale pour briser la paralysie. Reprenons les arguments de Yoon pour se justifier ce 3 décembre :

« Protégez la démocratie libre contre les forces antinationales opérant secrètement en République libre de Corée (du Sud) et contre leurs menaces de subvertir l’État et la sécurité publique. »

Yoon laisse flotter l’idée d’un risque de trahison en faveur de la Corée du Nord ! L’hyperrigidité envers le Nord est la spécificité des conservateurs. Évidemment, d’un point de vue occidental, l’opposition sud-coréenne n’est absolument pas antinationale. Pour un Sud-Coréen, est-ce une trahison que de négocier avec un tyran du Nord ? Oui. Yoon a donc moins dérivé qu’on pourrait le penser. Et peut-être attendait-il un signal positif de la part des Etats-Unis, lui qui a eu le privilège de s’adresser, dans son excellent anglais, aux élus américains à la Chambre des représentants en 2023. Et il a eu un échange téléphonique avec Donald Trump le 7 novembre. , 2024 d’une durée de douze minutes… pas de quoi expliquer son projet de loi martiale.

Le jour même de la déclaration de la loi martiale, les députés rentrent à l’Assemblée nationale, au nez et à la barbe des parachutistes qui désobéissent à leurs ordres de ne laisser passer personne. La loi martiale nécessite un vote favorable de la moitié des députés, et on se demande si Yoon avait vraiment l’intention de sauter cette étape ! C’est d’ailleurs ce dont il sera accusé lors de son futur procès, car l’Assemblée nationale l’a « mis en accusation », c’est-à-dire l’a accusé de crime contre la république, lui qui suspend ses fonctions en attendant un procès de six mois maximum devant la Cour suprême. Tribunal.

Pourtant, sa loi martiale a été annulée par la députation cet après-midi fatidique du 3 décembre, et Yoon a accepté cette décision. En revanche, si l’on pense que Yoon aurait dû démissionner immédiatement après l’abolition de la loi martiale, cela signifie que nous ne lui accordons aucune circonstance atténuante. Mais nous devrions le faire : la Corée du Nord constitue un danger réel et le blocus institutionnel lancé par l’opposition était partisan et non patriotique. Enfin, ce n’est la faute de personne si la Constitution sud-coréenne rend quasi automatique le bras de fer entre la présidence et l’Assemblée nationale.

Aucune partie n’a accepté la cohabitation, comme cela s’est produit dans le passé dans des circonstances similaires. Le système constitutionnel est dans une impasse définitive. Tout cela alors que le Japon, allié indispensable, s’affaiblit. La Corée du Nord se lance dans une guerre chaude, envoyant 12 000 soldats à Koursk, certes pour aider la guerre de Poutine mais aussi pour apprendre à mener une vraie guerre. En fait, l’opposition est fatiguée de sa guerre froide péninsulaire. Ce n’était probablement pas le moment d’exaspérer le président.

Les dégâts causés à la démocratie sud-coréenne sont graves : la tentation de l’aventure s’enracine. Un futur président saura mieux faire les choses. Emmanuel Macron a de quoi réfléchir. Le président contre le Parlement, une recette pour le désastre dans des systèmes présidentiels moins verticaux que celui des Etats-Unis. Il faudrait un mécanisme constitutionnel pour contraindre soit le Président, soit l’Assemblée. Cet entre-deux est trop dangereux, comme le prouve le cas sud-coréen. Il faut avant tout faire preuve d’un esprit patriotique fraternel.

Harold Hyman,
journaliste spécialisé dans les questions internationales sur CNEWS

 
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