La Russie et la Turquie ont toutes deux intérêt à maintenir de bonnes relations, mais les récents jeux de pouvoir des deux côtés et la diminution de l’influence de la Russie au Moyen-Orient et dans le Caucase démontrent que ces liens ne tiennent pas à un fil.
La chute du régime de Bachar al-Assad le 8 décembre en Syrie a bouleversé l’équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient. Autrefois sur un pied d’égalité avec la Turquie, la Russie a vu son influence dans la région diminuer considérablement – une porte ouverte aux tensions, estiment les experts.
«Le fait que Recep Tayyip Erdoğan ait soutenu les forces islamistes qui ont pris le pouvoir à Damas et que Bachar al-Assad soit tombé sans sourciller doit blesser Vladimir Poutine. Son régime ne doit pas aimer ça.”Carol R. Saivetz, chercheuse principale au programme d’études de sécurité du Massachusetts Institute of Technology (MIT), a déclaré à Euractiv.
Selon elle, l’avenir des relations entre la Russie et la Turquie sera déterminé par la question centrale : si le Kremlin sera en mesure de maintenir ses deux bases militaires en Syrie.
« Dans ce cas, Vladimir Poutine pourrait être plus favorable à ce que la Turquie tente d’accomplir. »
« En effet, si la Russie perd la base navale de Tartous, elle ne pourra plus défier la Turquie et prétendre être une puissance méditerranéenne. » explique le chercheur, ajoutant que, dans l’état actuel des choses, la Russie ne sera pas en mesure d’étendre son influence même en Afrique.
Par ailleurs, l’expert attire l’attention sur le fait que la Turquie a invoqué la Convention de Montreux – un accord international visant à réglementer la libre circulation dans certaines zones maritimes – qui maintenait la marine russe confinée à la mer Noire.
Moscou et Ankara ont besoin l’un de l’autre
Les experts soulignent cependant que la Russie a autant besoin de la Turquie que la Turquie a besoin de la Russie. En d’autres termes, les deux pays maintiendront leurs relations, mais elles ne seront peut-être pas aussi amicales qu’avant.
Recep Tayyip Erdogan “il veut maintenir les relations avec Vladimir Poutine, car s’il y a une dynamique diplomatique dans la guerre en Ukraine, la Turquie voudra jouer un rôle important dans ces négociations”explique Sinan Ulgen, directeur de groupe de réflexion Le turc Edam, basé à Istanbul.
La Russie est également cruciale pour que le président turc conserve son soutien populaire, car les importations de pétrole et de gaz en provenance de ce pays maintiennent les prix bas. « L’énergie naturelle que la Turquie importe de Russie fait baisser les prix en Turquie et fait de Recep Tayyip Erdoğan un héros pour son propre peuple »a besoin de Carol R. Saivetz.
Selon la chercheuse israélienne indépendante Marianna Belenkaya, la Russie constitue également une ressource importante pour Ankara dans son jeu avec Washington, d’un point de vue géopolitique.
“En collaborant avec la Russie, la Turquie démontre aux Etats-Unis qu’elle dispose d’une alternative en termes de choix d’un allié et qu’elle peut être utile comme intermédiaire pour les contacts avec Moscou”explique Euractiv.
“Maintenant que la Russie a perdu son influence au Moyen-Orient et est soumise à des sanctions, c’est plus difficile, mais la Turquie doit toujours conserver une marge de manœuvre”ajoute le chercheur.
Par ailleurs, l’isolement croissant de la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine la rend de plus en plus dépendante de la Turquie, selon Marianna Belenkaya, qui estime que Moscou ne souhaite pas qu’Ankara se joigne aux sanctions internationales.
De possibles affrontements dans le Caucase
Après l’invasion massive de l’Ukraine, la Russie a perdu une partie de son influence sur tout l’espace post-soviétique, y compris le Caucase, une région où les intérêts des deux pays pouvaient s’opposer, souligne Carol R. Saivetz, chercheuse au MIT.
«Vladimir Poutine oscille quelque peu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en partie parce que l’Azerbaïdjan vend son pétrole et son gaz et laisse le pétrole et le gaz russes approvisionner le marché intérieur azerbaïdjanais. La Russie a donc besoin de l’Azerbaïdjan à ce niveau. À un autre niveau, la Turquie a aidé l’Azerbaïdjan à vaincre l’Arménie et à récupérer le Haut-Karabakh. Et d’une manière générale, je constate que la Turquie essaie de s’engager davantage dans le Caucase.»explique.
Mais selon le spécialiste, la Russie ne jouit plus de la même influence qu’avant dans le Caucase car elle est plus concentrée en Ukraine.
«Vladimir Poutine a montré certaines des limites et des dommages que la guerre en Ukraine cause à sa politique étrangère dans d’autres régions. »
[Édité par Anna Martino]