Mercredi, l’UE a adopté un 15e paquet de sanctions contre la Russie, relatif à la « flotte fantôme » (navires exploités sous pavillon étranger que la Russie utilise pour contourner les sanctions, NDLR) permettant à Moscou d’exporter son pétrole. Cette mesure pourrait-elle avoir un impact significatif sur la manière dont la guerre est menée par Vladimir Poutine ?
Dmitri Nekrasov, économiste : Il faut s’attendre à des pertes financières pour la Russie car le prix de revient du baril va légèrement augmenter. Mais les exportations de pétrole vont se poursuivre. De plus, les compagnies pétrolières s’adaptent constamment aux sanctions en créant de nouveaux détours. La guerre en Ukraine ne sera donc pas maîtrisée.
Quel est l’intérêt de sanctionner le pétrole russe si les États européens continuent d’importer du gaz naturel liquéfié produit par Moscou ?
Sachez que, pour l’économie russe, le pétrole est plus important que le gaz (NDLR : selon l’Institut Montaigne, les ventes de pétrole russe ont atteint 179 milliards de dollars en 2021, contre 62 milliards pour le gaz). Cette dernière question relève davantage de la politique internationale. Les sanctions ont donc une certaine logique. En Europe, certains territoires comme la Hongrie ont de grandes difficultés à poursuivre leur production sans gaz. Ces pays ont besoin de pipelines pour être approvisionnés en énergie et manquent d’infrastructures alternatives à celles mises en place par la Russie.
Au-delà de l’aspect symbolique, toutes les sanctions ont-elles un impact sur la manière dont Moscou mène sa guerre ?
D’emblée, il n’y a aucune chance que ces sanctions aient un impact catastrophique sur l’économie russe, obligeant Poutine à changer de comportement. Sur les 14 000 sanctions adoptées, la plupart sont inefficaces. Les oligarques russes ont rapatrié leurs capitaux en Russie. C’est un véritable cadeau pour Poutine. En outre, la suspension de l’accord sur les visas est contre-productive. Au début de la guerre, de nombreux Russes ont quitté le pays. Parmi eux, certains ont rejoint les États développés. Mais la majorité, qui se trouvaient en Géorgie ou au Kazakhstan, sont rentrées chez elles. Or, en - de guerre, la question démographique est un enjeu majeur.
Quelles sanctions pénalisent réellement l’économie russe ?
Principalement la saisie des avoirs de la banque centrale. Par ailleurs, la Russie est désormais contrainte de vendre son pétrole à bas prix à l’Inde, qui le raffine et l’expédie vers l’Europe. Moscou perd environ 10 dollars le baril.
Les sanctions pourraient-elles être orientées différemment pour frapper plus durement l’économie russe ?
Paradoxalement, les sanctions sur les capitaux devraient être totalement supprimées. En effet, pour le moment, la classe moyenne supérieure n’a d’autre choix que de laisser son argent dans le système bancaire russe, ce qui aide Poutine à financer sa guerre.
Les sanctions sont-elles plus efficaces contre les Russes ordinaires que contre ceux impliqués dans la guerre ?
De nombreux Russes pauvres issus de régions défavorisées ont vu leurs revenus augmenter parce que l’industrie militaire fonctionne à pleine capacité. Le pays connaît un taux de chômage d’environ 2%, tandis que le salaire moyen a augmenté de 17% depuis le début de la guerre. En revanche, les classes moyennes et supérieures sont les plus touchées. Les produits fabriqués en Occident et revendus en Russie se font plus rares. De plus, les impôts des riches augmenteront considérablement l’année prochaine. Le pays est devenu moins libéral. Il y a beaucoup plus de redistribution de la part de l’État qu’auparavant, notamment vers ceux qui combattent et leurs familles.