MONTRÉAL — Les influenceurs de Tenet Media, prétendument financés par la Russie, sèment la méfiance et la division au sein de la société canadienne, selon une enquête qui met en lumière les vulnérabilités de l’écosystème informationnel du pays.
L’enquête publiée lundi matin par le Réseau canadien de recherche sur les médias numériques (CMNRR) montre comment des influenceurs accusés d’être financés par la Russie diffusent sur les réseaux sociaux une propagande contre les politiques, institutions et personnalités canadiennes.
L’enquête met également en lumière le rôle des influenceurs canadiens qui partagent ou adaptent le contenu de Tenet Media pour leur public. Leurs publications amplifient les messages négatifs sur les politiques publiques et les personnalités politiques canadiennes.
Des milliers de podcasts analysés
Les chercheurs du RCRMN ont analysé, notamment grâce à l’intelligence artificielle, le contenu de milliers d’épisodes de podcast, diffusés depuis 2020, par les six influenceurs recrutés par Tenet Media, une organisation fondée par deux Canadiens et qui aurait été financée par la Russie.
Ces influenceurs sont les Américains Benny Johnson, Dave Rubin, Tim Pool, Matt Christiansen, Tayler Hansen et la Canadienne Lauren Southern.
« Même aujourd’hui, nous voyons tous les jours des influenceurs américains de Tenet Media parler du Canada et c’est presque toujours dans un contexte négatif, et ils parlent de sujets comme l’aide médicale à mourir, le soutien aux personnes toxicomanes, aux personnes transgenres ou même l’immigration », a expliqué Aengus Bridgman, directeur de l’Observatoire de l’écosystème médiatique.
Même s’ils discutent des politiques canadiennes, a-t-il ajouté, les personnalités de Tenet Media « ne savent presque rien du Canada et ce sont tout le - des conversations très superficielles, et évidemment elles ne comprennent pas le contexte, mais elles utilisent le Canada comme un « récit édifiant ». pour avertir leur auditoire du danger posé par les politiques du gouvernement canadien.
De nombreux internautes consomment du contenu de ces influenceurs, selon le rapport qui indique qu’un quart des Canadiens sont capables d’identifier au moins un influenceur Tenet Media à partir de leur photo.
“La Russie a identifié avec précision les voix pro-russes et ceux qui sèment ouvertement la discorde en Occident et leur a fourni des ressources financières supplémentaires”, indique le rapport publié lundi.
En septembre 2024, le ministère américain de la Justice a inculpé deux ressortissants russes pour avoir prétendument payé 10 millions de dollars à Tenet Media pour recruter ces six personnalités afin d’amplifier la propagande russe aux États-Unis en particulier, mais aussi en Occident.
On peut également lire dans le rapport du RCRMN que, à travers leurs podcasts et leurs publications, les influenceurs de Tenet Media « sèment régulièrement la méfiance à l’égard de la démocratie canadienne, des politiques publiques et des dirigeants politiques » et des Occidentaux.
Le Premier ministre Justin Trudeau, la Gendarmerie royale du Canada, la CBC sont cités dans le sondage du RCRMN comme étant parmi les sujets favoris des influenceurs de Tenet Media.
Des centaines d’« influenceurs passerelles »
Les publications sur les réseaux sociaux provenant d’environ 4 000 comptes canadiens ont également été analysées par les chercheurs.
Parmi ce nombre, quelques centaines ont été identifiées comme des « bridge influenceurs », c’est-à-dire des personnalités proches de Tenet Media.
Les « influenceurs Bridge » sont des personnalités qui « prendront les messages de Tenet Media et les modifieront » pour « les adapter à un public canadien », a expliqué Aengus Bridgman, précisant qu’ils se comptent souvent par dizaines de milliers, voire centaines de milliers d’abonnés.
Par exemple, lorsque les influenceurs américains de Tenet Media, « Benny Johnson, Dave Rubin, Tim Pool, Matt Christiansen ou Tayler Hansen partagent une histoire sur l’immigration », les « influenceurs passerelles » canadiens récupèrent et adaptent l’histoire, en « moins de 24 heures ». heures », pour faire des reportages « très critiques à l’égard du gouvernement fédéral et de ses politiques ».
“C’est très clair, les Russes ont identifié un groupe de personnes très critiques à l’égard des institutions” et “ils ont décidé de les financer pour qu’elles continuent à propager des messages pro-russes” et “c’est une véritable communauté qui produit beaucoup de textes et beaucoup de podcasts», explique Aengus Bridgman, également professeur adjoint à l’École de politiques publiques Max Bell de l’Université McGill.
L’identité de certains « influenceurs pont » apparaît dans le rapport et bien qu’Aengus Bridgman ne soit pas opposé à l’idée de publier leurs noms, il ne voit pas l’intérêt de les identifier publiquement.
« Ils sont très antagonistes, notamment envers les chercheurs, les académiciens », et notre objectif n’est pas « d’entrer en guerre contre chacun de ces individus », mais plutôt de mettre en lumière ce phénomène de « communauté exploitée par les Russes ».
L’un des « influenceurs passerelles », selon le Réseau canadien de recherche sur les médias numériques, est un professeur d’une université de Montréal qui participe régulièrement à un podcast animé par l’un des six influenceurs prétendument financés par les Russes.
Sa dernière participation au podcast en question remontait au plus tard à vendredi dernier.
Une influenceuse québécoise, qui se décrit comme journaliste, fait également partie du lot, selon le rapport du RCRMN.
Pour illustrer à quel point ce Québécois fait écho à Tenet Media, Aengus Bridgman a montré à La Presse Canadienne certains messages republiés sur le réseau social X.
Par exemple, le 22 janvier, Benny Johnson de Tenet Media a publié une vidéo annonçant que le commentateur conservateur Tucker Carlson se rendrait à Calgary pour « libérer le Canada ».
L’influenceur a republié le message de Benny Johnson 17 minutes plus tard.
Le même jour, Benny Johnson a posté une vidéo de Tucker Carlson devant des spectateurs à Calgary.
On peut entendre le commentateur américain dire à la foule que le premier ministre canadien « n’est pas sorti du placard ».
Le contenu est republié 40 minutes plus tard par l’influenceur.
“Ce n’est pas que tout ce que disent ces gens soit problématique, mais il y a une raison pour laquelle les Russes ont identifié cette communauté” et se sont dit “nous allons leur donner des ressources pour qu’ils continuent leur bon travail”, a commenté Aengus Bridgman.
Il est important de noter que les « influenceurs pont », contrairement aux personnalités de Tenet Media, ne sont pas accusés d’être financés par les Russes.
“Ils sont un peu victimes de cette campagne de Russie, donc ils devraient être en colère”, mais “on ne sent pas qu’ils le sont et on ne voit pas cette réflexion sur le sujet de leur part”, selon M. Bridgman.
Les « influenceurs de pont » devraient « peut-être se demander pourquoi ils partagent des messages qui sont cohérents avec le message d’un pays étranger qui cherche à manipuler les gens », a-t-il ajouté.
L’enquête est le résultat d’une collaboration entre DisinfoWatch, l’Université Carleton, le laboratoire de recherche PolCommTech de l’Université d’Ottawa, le Network Dynamics Lab de l’Université McGill, l’Observatoire de l’écosystème médiatique de l’Université McGill et l’Université de Toronto.
Le rapport souligne également que « l’écosystème de l’information canadien est particulièrement vulnérable aux dynamiques et à l’influence provenant des États-Unis » et que les influenceurs en ligne, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières, « deviennent de plus en plus des acteurs politiques importants qui peuvent tirer parti de leurs plateformes pour propager la désinformation et façonner l’opinion publique ». discours.”
Toujours selon le document publié lundi, rien ne démontre que Tenet Media, fondé par les Canadiens Lauren Chen et Liam Donovan, ait influencé directement les politiciens canadiens.