La France traverse une période d’incertitude politique et Emmanuel Macron fait l’objet de nombreuses critiques. Pensez-vous, comme on l’entend parfois, que le président est victime de l’isolement du pouvoir ?
Quand quelque chose ne va pas, il doit toujours y avoir un bouc émissaire. Le principal responsable, dans la situation actuelle, beaucoup pensent qu’il s’agit d’Emmanuel Macron, et c’est normal. Quand on prend un poste à responsabilité, il faut l’assumer. Après côté isolement, il faut savoir que le pouvoir entraîne des modifications dans le fonctionnement psychologique, dans la façon dont on voit le monde et les autres.
Quand on a le pouvoir, il y a une sorte de toute-puissance qui peut apparaître, une ivresse du pouvoir qui peut se déconnecter des réalités. C’est de cela que sont accusés les technocrates et les hommes politiques. On leur reproche de penser d’abord à eux-mêmes, de penser de manière purement politique et de faire passer leur élection, leurs intérêts personnels avant le bien commun. Et cela vaut pour absolument tous les hommes politiques. C’est la dérive de la politique telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui.
L’incertitude politique française se double d’une crise économique, avec des licenciements très médiatisés ces derniers jours… Est-il normal de reconnaître, de se dire que cela pourrait finir par nous arriver ?
Cela dépend des gens. Quand Auchan licencie, je ne suis pas sûr qu’un médecin, par exemple, puisse s’identifier à cette situation. Par contre, quelqu’un qui travaille dans le commerce, ou qui a un emploi précaire, oui, il peut y avoir une identification. Mais pour cela, il faut qu’il y ait quelque chose en commun.
A ces difficultés propres à la France s’ajoute un contexte international non moins anxiogène, avec les conflits au Moyen-Orient et en Ukraine, la Russie qui brandit régulièrement la menace de l’arme nucléaire, ou encore l’élection de Donald Trump… Faut-il en avoir peur ? le futur ?
Préoccupations collectives, raisons d’être anxieux, elles sont constamment présentes. On parle d’écoanxiété, de possibilité de guerre, d’économie, d’insécurité… Il peut effectivement y avoir cette peur de l’avenir mais chacun a ses propres inquiétudes, qui ne sont pas les mêmes que celles des autres. Cela a toujours existé, mais je ne suis pas sûr qu’il soit plus marqué aujourd’hui qu’à d’autres époques.
Tous ces événements ont lieu à l’approche de l’hiver. Le froid, la pluie, les journées très courtes, tout cela affecte aussi le moral ?
En ce moment, je vois beaucoup de gens pour la dépression saisonnière, et peut-être plus que ces dernières années… Quand on traverse une période difficile, ce n’est pas la même chose au printemps ou en été qu’en automne et en hiver. La météo a une très forte influence sur notre moral.
La période des fêtes de fin d’année est aussi toujours une période difficile pour certains… Pourquoi ?
La période des fêtes est une période de l’année qui n’est neutre pour personne. Certaines personnes sont très heureuses, d’autres craignent cette période car elle les renvoie à des choses négatives. Le sentiment d’isolement chez quelqu’un qui se sent normalement seul est accru durant cette période. Il y a aussi la pression exercée sur les personnes en difficulté. Il faut offrir des cadeaux, il faut inviter ses proches… Cette obligation d’être bien, d’être heureuse, est très difficile à supporter pour les personnes qui souffrent.
Toutes ces mauvaises nouvelles créent un climat anxiogène qui n’incite guère à l’optimisme…
En ce moment, beaucoup de mes patients me disent qu’ils vont arrêter de regarder la télévision et de lire les informations parce que cela leur pèse sur le moral. Quand tout ce qui nous arrive est systématiquement négatif, c’est compliqué d’être bien. Si nous passons une soirée avec des amis qui parlent positivement, nous éprouvons naturellement un sentiment de bien-être. En revanche, s’ils vous bombardent de nouvelles négatives, le sentiment sera négatif. Il y a une contagion de la morosité, donc quand il y a une morosité ambiante, il y aura une contagion individuelle sur presque tout le monde.
Quels conseils pourriez-vous donner pour surmonter cet obstacle ?
Il faut être capable de relativiser, de prendre du recul et de se rendre compte qu’il y a aussi tout un tas de choses qui fonctionnent bien. Il ne faut pas mettre de côté les choses négatives mais les peser, en se disant qu’à côté d’elles, il y a aussi du positif. Nous sommes dans un pays très stable, il n’y a ni guerre ni danger imminent. Ce dont nous avons besoin, en fait, c’est de retrouver un peu de confiance.