« Sur ‘Paris, Texas’, j’ai dû apprendre à surmonter les défis avec Wim. » – .

« Sur ‘Paris, Texas’, j’ai dû apprendre à surmonter les défis avec Wim. » – .
« Sur ‘Paris, Texas’, j’ai dû apprendre à surmonter les défis avec Wim. » – .

« ELe rêve américain est-il arrivé à son terme ? Est-ce que quelqu’un le rêve encore vraiment, ou bien seul le cinéma continue-t-il à le rêver ? Existerait-il même sans le cinéma ? L’Amérique n’est-elle pas une invention du cinéma ? Y aurait-il un rêve d’Amérique dans le monde sans le cinéma ? » Cette citation de Wim Wenders est tirée d’un essai publié en 1987 aux Éditions de L’Arche : Images d’émotion. Ce film témoigne de la fascination du réalisateur allemand pour l’Amérique. L’Européen a en effet vécu six ans aux Etats-Unis.

Palme d’Or à Cannes en 1984, Paris, Texas est sa déclaration d’amour à ce vaste pays aux grands espaces, tant de fois magnifié à l’écran et qu’il a lui-même filmé plusieurs fois. Pour fêter les 40 ans de ce chef-d’œuvre, Tamasa Distribution le ressort en salles dans une nouvelle restauration 4K : l’occasion était trop belle pour la rater de parler de ce film mythique avec une autre grande cinéaste, Claire Denis, qui fut à l’époque la première assistante réalisatrice de Wenders.

A ce titre, son rôle était d’assurer le bon déroulement des tournages en faisant le lien entre le réalisateur, le directeur de production (responsable du financement) et l’ensemble du plateau (techniciens, comédiens, régie, etc.). Un travail colossal, effectué dans l’ombre et souvent ingrate. Paris, TexasClaire Denis a ainsi été aux commandes des repérages, du plan de travail, de l’organisation de la logistique… Et a été aux premières loges de cette aventure homérique. Ouragan historique à son arrivée au Texas, tournage sous pression financière, routes à perte de vue sillonnées de tous côtés, grâce de Nastassja Kinski malgré ses problèmes de cheveux… La réalisatrice témoigne d’un voyage rock’n’roll, magique et inoubliable.

Le Point Pop : Comment en êtes-vous venu à collaborer avec Wim Wenders sur Paris, Texas ?

Claire Denis: J’étais à Lisbonne, au Portugal, travaillant comme assistant sur le tournage d’un téléfilm HBO réalisé par Clive Donner, Opération Windsor (Pour attraper un roi1983). Wim Wenders m’a appelé à l’hôtel un matin. Au début, je n’y ai pas cru. J’ai d’abord pensé que c’était une blague, parce que j’avais vu et aimé ses premiers films, comme Alice dans les villes (1974). Il faisait partie d’une nouvelle génération de cinéastes allemands, comme Rainer Werner Fassbinder, dont j’admirais la liberté. Il m’a demandé si je voulais travailler avec lui. Il cherchait un assistant réalisateur.

Et j’ai accepté son offre. Ma seule crainte était que mon anglais ne soit pas assez courant. Mon allemand était très rudimentaire. Mais heureusement, Wim parlait couramment le français et l’anglais. J’ai appris plus tard que Paris, Texas était un film allemand coproduit par la France, en l’occurrence par Argos Films fondée par Anatole Dauman. [le producteur de L’Empire des sens et du Tambour, NDLR]. J’ai donc compris que Wim avait besoin d’un quota de Français dans son équipe – ce qui explique notamment la présence d’Aurore Clément au casting.

Comment s’est passée votre première rencontre avec lui ?

Je suis allée le voir à Houston en 1983. Je suis arrivée là-bas avec trois valises car je ne savais pas combien de temps j’allais rester aux États-Unis. Wim m’attendait à l’aéroport avec une moustache, une barbiche et une queue-de-cheval – il ressemblait à Buffalo Bill ! Il était habillé comme un Texan. Et j’avais la tête rasée. J’avais à peine un centimètre de cheveux sur la tête. Et la première chose qu’il m’a demandée, c’était si j’étais malade ! Il pensait que je sortais d’une chimiothérapie (rires).

Y a-t-il un événement qui vous a marqué durablement lors de votre séjour aux États-Unis ?

Vingt-quatre heures après notre rencontre, Wim devait partir au Nouveau-Mexique pour travailler avec le scénariste, acteur et dramaturge du film, Sam Shepard. Je restai donc seul dans ma chambre du Holiday Inn, dans le centre-ville de Houston. Et soudain, vers minuit, mes fenêtres se mirent à trembler ! Une averse torrentielle provoqua une coupure de courant. Je vis un grand panneau publicitaire s’envoler devant ma fenêtre, au trente-septième étage de l’immeuble ! Le téléphone sonna et l’opératrice de l’hôtel me demanda de descendre à la réception au plus vite.

Il me dit : « Alicia est là ! » Comme il n’y a pas d’ascenseur, je descends les escaliers en courant. Et quand j’arrive à la réception, je découvre qu’un énorme ouragan va frapper la ville le lendemain de mon arrivée aux États-Unis. [l’ouragan Alicia est un cyclone tropical qui a frappé le Texas et causé d’importants dégâts le 15 août 1983, NDLR] ! Des avions s’écrasaient dans les hangars de l’aéroport de Houston ! Il y avait des éclats de verre partout. Je n’avais pas regardé la télé ni écouté la radio. J’étais complètement surpris. J’ai dû m’acclimater rapidement à la situation. C’était une sorte de baptême avant le début du tournage. Cela a brisé la glace.

Dans Paris, TexasOn déambule le long des voies ferrées. On croise des routes sans fin. Où avez-vous trouvé ces décors incroyables, ces grands espaces à la John Ford, ces territoires cinématographiques ?

Nous avons fait beaucoup de repérages. Nous avons pris la route principale du sud et traversé le pays d’est en ouest. Chaque jour, nous partions en voiture avec une carte, sans l’aide d’un GPS. Nous sommes allés en Louisiane et en Arizona, à Phoenix. Dans presque toutes les villes du Texas du nord au sud, y compris Dallas, puis jusqu’à la frontière mexicaine. Sans oublier le désert de Mojave, dans le sud de la Californie. Nous avons pris beaucoup de photos. Nous nous sommes arrêtés le soir dans des motels. J’avais aussi un petit carnet de bord avec la liste de tous les décors que nous avions trouvés. Nous avons par exemple découvert la station-service avec le diplodocus ! Les champs de pétrole avec les pompes à chevalet. Au cours de ce voyage, j’ai noué une grande amitié avec Wim. Ce fut un moment très fort pour moi.

Nastassja est belle, gracieuse. Elle n’a été sur le plateau que sept jours. Et en une semaine seulement, elle a illuminé tout le film. Elle est magique.

Dès les premiers plans, on sait qu’on a affaire à un grand film. L’œuvre d’un vrai cinéaste. Où était l’incroyable ouverture de Paris, Texas ?

Nous avons survolé en petit avion le territoire de Big Bend, une plaine désertique sur le cours du Rio Grande, à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Nous sommes tombés sur un magnifique canyon rouge surnommé The Devil’s Graveyard et Wim a décidé que c’est ici que le film commencerait, avec des prises de vue aériennes depuis un hélicoptère. Bob Dylan devait à l’origine signer la musique. Comme il ne pouvait pas, c’est finalement Ry Cooder qui a composé la bande-son avec ses fameux accords de guitare slide.

Pouvez-vous nous dire un mot sur Harry Dean Stanton, dont c’était le premier rôle principal dans un film, lui qui était surtout connu comme acteur secondaire ?

Harry Dean est un acteur hors du commun, très timide et renfermé. Il avait peur de ne pas être assez jeune pour incarner le mari de Nastassja Kinski. Dans le film, il incarne Travis, un homme qui réapparaît un jour au milieu du désert alors qu’on le croyait mort depuis quatre ans. Il reprend petit à petit contact avec sa famille. D’abord avec son frère (Dean Stockwell), puis avec son fils (Hunter Carson), un petit garçon de 7 ans. Il décide de partir avec son enfant à la recherche de sa femme, Jane (Nastassja Kinski), l’amour de sa vie, qui l’a abandonné…

Wenders avait donné à Nastassja Kinski ses débuts au cinéma à l’âge de 13 ans dans Mauvais mouvement (1975). Il la retrouve neuf ans plus tard pour Paris, Texas.

Quand Nastassja est arrivée, elle était brune. Elle venait de terminer le film d’Andrei Konchalovsky, Les amants de Maria (1984). La maquilleuse avait prévu une perruque blonde pour elle. Et cette actrice avait des cheveux si beaux que j’ai trouvé ça dommage. J’ai dit à Wim : « On ne peut pas lui mettre cette botte de foin sur la tête ! » Kinski m’a regardé et a ri et a accepté de les décolorer. Elle a compris que ça valait la peine. Elle nous faisait entièrement confiance. Pour moi, c’était enchanteur. Nastassja est la beauté, la grâce. Elle n’est restée que sept jours. Et en une semaine seulement, elle a illuminé tout le film. Elle est magique.

Wim a toujours gardé son calme. Il refusait de montrer son anxiété et sa mauvaise humeur sur le plateau.

Dans Passeport pour HollywoodDans le livre d’entretiens de Michel Ciment, Wenders révèle que le tournage du film a été reporté à plusieurs reprises : « Il a été compliqué d’organiser le financement en Europe pour le tourner aux États-Unis. Nous avons finalement dû le faire avec 25 % de moins que prévu. Le film a finalement coûté un million et demi de dollars. »

Le scénario était en trois parties. Il était très long. Et pendant le tournage, il n’y avait plus d’argent. On manquait de temps. Et il y avait aussi des problèmes de dates et de disponibilité des acteurs. On a dû raccourcir le scénario. Le film risquait de s’enliser. Mais je ne pouvais pas accepter qu’on soit allés si loin dans les profondeurs du Texas et que tout allait s’arrêter. Il y avait tellement d’obstacles qu’il a fallu que j’apprenne à surmonter les défis avec Wim. Chaque jour, il fallait trouver des solutions et résoudre tous les problèmes. Je pense que j’ai beaucoup appris de cette expérience. Je me suis souvent mis en colère. Wim, en revanche, a toujours gardé son calme. Il refusait de montrer son anxiété et sa mauvaise humeur sur le plateau.

Comment ont été filmées les deux séquences dans la cabine de peep-show de Houston où Harry Dean Stanton et Nastassja Kinski sont séparés par un miroir sans tain ? On se croirait dans un confessionnal.

A l’origine, dans la première version du scénario, le personnage de Travis trouvait sa femme vivant avec un pasteur. Mais toute cette partie a été coupée. Il a donc fallu trouver une autre fin. Le scénariste a donc imaginé la scène du peep-show. Nous en avons trouvé une en Louisiane à la dernière minute. C’était dans une ville casino. Nous avons construit la cabine où Harry Dean Stanton se tient dans l’ombre. Nastassja, elle, ne voyait que son propre reflet dans le miroir. Elle jouait devant un miroir. Tout ce qu’elle entendait, c’était la voix de son partenaire. Mais l’émotion était palpable à l’écran. La fin du tournage a été déchirante pour toute l’équipe.

Trois ans plus tard, vous avez de nouveau travaillé avec Wim Wenders sur Ailes du désir (1987).

Oui, après avoir remporté la Palme d’Or en 1984 avec Paris, TexasWim était très excité ! Il lui a poussé des ailes, si je puis dire… Il m’a invité à l’accompagner sur le tournage de son nouveau film à Berlin. Mais je n’ai travaillé qu’en tant qu’assistant sur la première partie du film. Ailes du désirla partie en noir et blanc. Pas la partie en couleur. Parce que j’ai dû aller au Cameroun en 1987 pour tourner mon premier long métrage, Chocolatavec Isaach de Bankolé et François Cluzet. Mais c’est une autre histoire…

Paris, Texas par Wim Wenders. 2 h 25. Sortie le 3 juillet.
Carlotta éditera cet automne un coffret ultra-collector de Paris, Texas en 4K Ultra HD et Blu-ray. Avec en bonus un livre sur le film. Merci à Gaspar Noé.

 
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