L’écrivain albanais Ismaïl Kadaré décède à l’âge de 88 ans – .

L’écrivain albanais Ismaïl Kadaré décède à l’âge de 88 ans – .
L’écrivain albanais Ismaïl Kadaré décède à l’âge de 88 ans – .

Réfugié politique en France en 1990, le romancier a laissé derrière lui une oeuvre au souffle épique puissant, mêlant analyse politique acérée et légendes d’hier. Il est décédé d’une crise cardiaque lundi matin à l’hôpital de Tirana.

« Si vous faites confiance à la littérature, à la littérature seule, elle sera votre protection céleste. Rien ne peut t’arriver »Jusqu’en 1990, année où il demande l’asile politique en France, Ismaïl Kadaré a réussi à faire sienne cette devise, usant volontiers de la métaphore dans ses nombreux ouvrages, très critiques à l’égard des régimes totalitaires, alors que son propre pays, l’Albanie, était sous la dictature.

Ismail Kadare est décédé lundi matin à l’âge de 88 ans des suites d’une crise cardiaque, a indiqué l’hôpital de Tirana. Il est arrivé “sans signe de vie”, les médecins lui ont fait un massage cardiaque, mais il “est décédé vers 06h40” (8h40 heure locale), a indiqué l’hôpital. L’écrivain a longtemps incarné le paradoxe d’être un écrivain à la fois reconnu et persécuté. Si ses livres étaient publiés en Albanie, ils étaient souvent immédiatement interdits par le régime ou, au mieux, mutilés. Il s’en réjouit néanmoins, arguant que ces ouvrages n’en ont que plus de valeur pour ses compatriotes qui se précipitent pour s’en procurer.

Lauréat de plusieurs prix prestigieux dont le prix international Man Booker (2005) et le prix Prince des Asturies (2009), l’auteur a également été régulièrement considéré pour recevoir le prix Nobel de littérature. En France, depuis 1996, il était membre associé de l’Académie des sciences morales et politiques, promu commandeur de la Légion d’honneur en 2015. Il était en effet l’écrivain albanais le plus connu au monde, ayant rédigé des lettres à pour parler de ce petit pays étouffé pendant près d’un demi-siècle par le dictateur Enver Hodja.

Ismaïl Kadaré naît en 1936 à Gjirokaster, la perle du sud de l’Albanie qui fut aussi le berceau du dictateur quelques années plus tôt. Son père est facteur et le jeune garçon manifeste très tôt un intérêt pour les tragédiens grecs et Shakespeare en particulier. Enfant puis adolescent, il connaît tous les avatars du communisme, d’abord à la mode russe, puis chinoise et enfin albanaise lorsque son pays s’irrite successivement contre les deux grandes puissances tutélaires. A dix-sept ans, l’étudiant de l’université de Tirana se fait remarquer par ses vers. Il est envoyé à l’Institut Gorki de Moscou, vivier d’auteurs et de critiques. Il y apprécie comme étudiant mais déclare plus tard qu’il est malheureux comme écrivain. De fait, son premier recueil de poèmes est publié par un éditeur russe, ses textes intacts mais accompagnés d’une préface qui dénonce l’influence néfaste de l’Occident. Le jeune Kadaré accepte cette publication. Là, s’enracine cette dualité qui le marque pour de longues années. Il est durement critiqué mais toléré par un régime qui voit en lui un faire-valoir à envoyer de temps à autre en Occident. Il s’accommode longtemps de cet état jusqu’au jour où il ne supporte plus les compromis et reste à Paris avec sa femme et ses deux filles.

Entre-temps, en 1960, le jeune étudiant rentre chez lui en Albanie. Si vous parvenez, grâce à la littérature, à ne pas prendre le régime au sérieux, vous êtes sauvé. » il a déclaré au Nouvel observateur en 2005. En fait, dès le début, il s’est efforcé de saper celle de l’Albanie. Jours de consommationl’histoire de deux petits voyous indifférents à la cause socialiste, ouvrage immédiatement jugé décadent, il publie en 1963 ce qui est considéré comme son premier roman. Le général de l’armée morte est un grand succès dans son pays. Elle fait suite aux tentatives infructueuses d’un officier italien venu en Albanie pour récupérer les corps de soldats morts quelques années plus tôt. A la place de ses compatriotes, introuvables, il a ramené les restes de soldats allemands ! L’Occident découvre à travers ce livre traduit sept ans après sa parution en Albanie, que le petit pays muselé des Balkans abrite un véritable écrivain qui a des choses à dire.

Sous la tyrannie communiste d’Enver Hoxha

Le romancier continuera ensuite à décrypter la dimension humaine et métaphysique dans des romans en marge du conte, débarrassant ainsi les délires paranoïaques de quelques-uns. Dans Le Palais des Rêves (1982), il dépeint un pays soumis à la dictature dont les habitants doivent obligatoirement résumer leurs rêves qui sont aussitôt minutieusement répertoriés. Dans La Pyramide (1992), il raconte les malheurs d’un pharaon qui tente de se rebeller contre les traditions ancestrales en refusant de se faire construire un tombeau grandiose. Il finira par céder et la construction s’éternisera au fur et à mesure des crises et des révoltes. Parallèlement, il dirige la revue littéraire, Lettres albanaises, publié simultanément en albanais et en français, cette langue étant la seule officiellement enseignée par son pays. Il devient membre de l’établissement.

Nommé unilatéralement député à l’Assemblée du peuple, il bénéficie de certains avantages par rapport au reste de la population, une voiture particulière, le droit de percevoir une partie de ses droits sur ses traductions à l’étranger, un appartement plutôt grand. Il continue de publier des livres à un rythme soutenu mais la carapace de l’écrivain qui se réfugie dans la littérature se fissure peu à peu. En 1982, il subit une campagne de dénigrement. Ultime ironie : le dictateur prend son parti. La rupture intervient en 1990, cinq ans après la mort d’Enver Hodja. Ramiz Alia, l’homme qui lui succède, ne répond pas aux espoirs de Kadaré qui croit voir en lui l’homme du changement et des réformes. Alors qu’il promeut Le palais des rêves En France, l’écrivain décide de demander l’asile politique. Il écrit « Dans un tel duel entre un tyran et un poète, c’est toujours, comme on le sait, le poète qui gagne, même si, pour un temps, il peut sembler vaincu ».

À la chute définitive du régime, il retourne au pays des aigles, y revenant plusieurs fois par an même si son domicile reste à Paris. En France, il continue de publier avec la même régularité, fidèle à Fayard, la maison d’édition de son éditeur d’origine Claude Durand (1938-2015). C’est également en France qu’il entreprend la tâche herculéenne de réviser l’ensemble de son œuvre, élaguant ou complétant des œuvres qu’il s’était autocensurées. À la chute de la dictature, ses nouveaux romans deviennent plus légers et plus courts. Les micro-romans remplacent les sagas, mais la critique n’est plus nécessairement cachée sous une forme symbolique et l’Albanie reste au cœur de ses écrits. À la fin des années 1990, il s’engage pour la cause des Albanais du Kosovo. Virulentement opposé à la Serbie, il donne de nombreuses interviews et discours publics.

Le calme reviendra ensuite, bercé par la régularité des publications. La poupée en 2015 dans lequel il évoque la figure de sa mère, il publie en 2017 ce qui est peut-être son récit le plus intime. Matinées au Café Rostand, du nom de son siège parisien, se présente comme un recueil de textes composites écrits au cours de la décennie précédente vécue entre la France et l’Albanie, avec laquelle il avait fini par faire la paix. Son dernier roman, publié en 2022, Des différends au sommetemblématique de l’ensemble de son œuvre, reconstitue la conversation téléphonique entre Staline et Pasternak lors de l’arrestation du poète Mandelstam dans les années 1930.

En 2020, la collection Bouquin (Robert Laffont) a astucieusement réédité deux de ses œuvres, Le Crépuscule des Dieux des Steppes et le diptyqueLe temps des disputes consacré en partie aux dissensions entre la petite Albanie et ses puissants voisins communistes, la Chine et l’URSS, à l’époque de la guerre froide. Les Français découvrent alors la version originale du texte, censurée par le régime albanais lors de sa sortie en 1973. Il reste la meilleure description de la vie quotidienne dans une dictature par celui qui se décrivait lui-même comme «un écrivain normal dans un pays fou ».

 
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