CC’est la petite musique qui monte depuis des mois. La corruption organisée par les trafiquants de drogue gagne du terrain, à toutes les étapes du circuit qui va des portes d’entrée des marchandises sur le territoire jusqu’aux prisons, en passant par les douanes, la police et la justice.
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Chef de l’office anti-stupéfiants (Ofast), Stéphanie Cherbonnier avait informé le Indiquer de ses préoccupations à ce sujet l’été dernier. « Des informations selon lesquelles un téléphone est sur écoute, des éléments de preuve qui s’égarent… Il n’en faut pas beaucoup pour compromettre des mois d’enquête. »
Cette semaine, un rapport de la Cour des comptes sur la lutte contre le trafic de drogue aborde le sujet. “La masse des profits générés par le trafic de drogue fournit des ressources nettement supérieures à celles des Etats” et permet d’acheter sans compter, écrivent les magistrats. Ils soulignent également que les organisations criminelles mènent « des enquêtes de filtrage pour évaluer la vulnérabilité d’une personne et assurer son assistance ».
Dockers, douaniers, commis, policiers…
Le rapport cite les dockers et les agents des douanes, les forces de l’ordre, les magistrats et leurs auxiliaires, le personnel pénitentiaire, mais aussi les agents municipaux utilisés pour stocker de la drogue dans les bâtiments publics.
Les affaires se succèdent à un rythme accéléré. En juin 2023, un greffier du tribunal de Saint-Nazaire est interpellé. Elle transmettait des informations à un trafiquant. En décembre 2023, deux agents de l’établissement pénitentiaire de Meaux-Chauconin, dont un commis, ont été mis en examen et incarcérés pour avoir facilité la libération de trafiquants. En janvier 2024, neuf personnes, dont un agent de la police aux frontières de l’aéroport d’Orly, ont été mises en examen dans une affaire de trafic de cocaïne et de cannabis.
En mars 2024, six gardiens du centre pénitentiaire de Réau ont été mis en examen pour trafic de stupéfiants. Au moins un enquêteur de l’antenne marseillaise de l’Ofast fait actuellement l’objet d’une enquête de l’Inspection générale de la police nationale pour des faits présumés de corruption signalés par la hiérarchie.
Enquête torpillée à Rennes
A Rennes, la méfiance règne. En janvier 2024, raconte une Source locale, « une opération antidrogue dans le quartier du Blosne a été annoncée au dernier moment à la police, car le parquet et la hiérarchie se méfiaient des fuites ! » Ils avaient raison. L’opération a tourné court, quelqu’un avait prévenu les trafiquants.
« Je vous le dis très clairement : sans corruption, il n’y a pas de trafic », a déclaré Émile Diaz, ancien membre de French Connection, devant la Commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du trafic de drogue en France, qui a rendu son rapport en mai 2024. Avis d’expert.A LIRE AUSSI Trafic de drogue : pourquoi la France n’est pas un « narco-État », mais est à un tournant
Malgré ces avertissements, déplore la Cour des comptes, « le renforcement annoncé de la lutte contre la corruption de faible et de haute intensité », hormis quelques initiatives ponctuelles, « n’a pas encore trouvé de concrétisation ». Bon point pour le Service national de renseignement pénitentiaire (SNRP), qui a mis en place « une politique rigoureuse de formation, de prévention et de sanction à l’égard de ses agents susceptibles d’y être exposés ». Mais ailleurs ? « Des représentants de la gendarmerie, de la police nationale et des douanes se sont engagés à créer conjointement un module de sensibilisation et de formation destiné aux agents », écrit la Cour, qui appelle à accélérer le rythme et à coordonner les efforts. Il devrait y avoir une action interministérielle de prévention et une évaluation globale du risque par l’Inspection générale de l’administration.
Forte augmentation des enquêtes judiciaires pour corruption
Mais la chaîne police-justice veut-elle vraiment se rendre à l’évidence ? Les sénateurs Jérôme Durain et Étienne Blanc, président et rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale, se posent clairement la question. « Très peu de cas de corruption ont été recensés, selon la Direction générale des douanes et droits indirects », écrivent-ils.
L’Inspection générale de la police nationale confirme de son côté une forte augmentation des enquêtes judiciaires ouvertes dans des chefs de corruption passive, passant de 14 en 2020 à 29 en 2022, mais « sans isoler les faits susceptibles d’être liés au trafic de stupéfiants ». ». « Force est de constater que le nombre d’affaires de corruption traitées par les juridictions interrégionales spécialisées est faible, alors que les organisations criminelles bénéficient souvent d’informations leur permettant de faire échouer les enquêtes », écrivait – déjà en 2019 – François Molins, alors procureur général près la Cour de cassation…
Des mesures pragmatiques
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Soulignant l’urgence, les sénateurs proposent des mesures pragmatiques et rapides à mettre en œuvre. « Rendre matériellement impossible la corruption des agents publics » en revoyant l’organisation du travail, avec plus de binômes et de turnover. A l’unisson de la Cour des comptes, ils suggèrent « une meilleure détection des utilisations anormales des fichiers de police ».
C’est l’une des leçons des affaires récentes : les corrupteurs paient souvent très cher des services apparemment anodins. “Au port du Havre, une secrétaire a reçu 10 000 euros pour avoir inséré une clé USB dans son ordinateur, ce qui a entraîné un piratage d’un système informatique et permis aux malfaiteurs de contrôler l’arrivée des conteneurs”, a déclaré le sénateur aux sénateurs. l’économiste Clotilde Champeyrache. Un docker peut gagner 60 000 euros simplement en « perdant » son badge. Un cadeau empoisonné, qui le liera pourtant à des délinquants que rien ne recule.