Dès le prologue de son onzième roman, Sandrine Collette informe le lecteur que rien n’est calme dans le hameau de l’arrière-pays des Montées. “Allez vite. Dis-lui que c’est sérieux.”. Mais ce qui s’est passé de si terrible, nous ne le saurons pas tout de suite. Car l’écrivain de 54 ans, entré en littérature en 2013 avec le roman noir Noeuds en acier, depuis, il ne s’écarte jamais des codes du genre. Son nouveau récit, soutenu par une puissante tension narrative, ne fait pas exception.
Entretien avec Cécile Coulon pour « Le langage des choses cachées »
Racontée pour la première fois à la première personne par un certain Bran, l’histoire nous plonge dans une époque indéterminée, peut-être au Moyen Âge, principalement dans deux familles paysannes, dans un arrière-pays où les conditions de vie sont dures. On y vit au rythme des saisons, qui ne sont pas toujours respectées. Puis, juste au moment où le printemps arrive et que les bourgeons éclosent, des gelées peuvent survenir et tout est à refaire. Dans le village de La Faye, il n’y a pas assez à manger, au point que des souris, des mulots et même des chats servent parfois de palliatifs. Que dire de ce qu’on met dans le bouillon pour l’épaissir : «Les femmes mélangent la sciure de bois avec les dernières soupes de haricots..
Ambre et Aelis sont des jumelles qui souhaitaient continuer à vivre côte à côte après leur mariage. L’une avec Léon, l’autre avec Eugène. L’un n’avait pas d’enfants, l’autre en avait cinq, dont deux moururent.
Sans foi ni loi
Le village de La Faye fait partie du domaine des Ambroisie, les seigneurs. Il y a le père, mais surtout le fils. Mieux vaut ne pas croiser son chemin, sans foi ni loi.
Intervista a Marie-Hélène Lafon
Dans cette région reculée, le moindre bruit suscite la peur. Un soir, Rose, la vieille rebouteuse d’os, sent une présence. Elle attrapa une fourche, prête à se défendre. Mais ce qu’il découvre dans l’obscurité, c’est une petite fille, une fille affamée. “Ces petits qui se sont retrouvés dans les rues ou dans les forêts après que leurs parents soient morts de faim”.
Rose va s’en occuper avant de demander à Aelis de l’adopter puisqu’elle ne sait pas avoir d’enfants. Il grandira auprès des trois enfants d’Aelis et Eugène, Mayeul, Germain, Artaud. « Quand les agriculteurs les voient de loin, ils les appellent les Quatre. » Ils vont travailler “Ensemble” dans les champs. “C’est ce qui est important.”
Stylo romantique comme un diable
Dans ce milieu résigné (« Le monde est mauvais et nous ne pouvons rien y faire »), celle qui s’appellera Madeleine a une révolte ancrée dans son corps infantile. Cela va bouleverser l’ordre des choses. “Madelaine dit : j’ai faim et elle mange.” Pour ce faire, il aura tué un cerf au pays des seigneurs. Une première transgression pour ceux qui n’acceptent pas l’injustice. D’autres suivront. Parce que Madelaine n’a pas peur, elle ne lâche rien. C’est une rebelle.
Cette Madelaine avant l’aube que cela se déroule au Moyen Âge ou non, cela n’a pas d’importance. L’histoire met en scène des gens qui travaillent dur ainsi que des personnages qui s’entraident. Il aborde la question de la survie ainsi que celle de la peur, mêlant joie et malheur. Situé dans un monde d’avant, il défie également le monde d’aujourd’hui. Présenté par la plume diaboliquement romantique de Sandrine Collette, il propose une série de réflexions philosophiques d’une pertinence évidente. “Nous sommes parfaitement conscients de l’imperfection du monde ; la terre pourrait être partagée à parts égales, tout comme la richesse, le travail et la maladie. Même l’amour. Mais le monde n’est pas juste, il ne l’a jamais été. Il met également en scène des hommes (des êtres humains) qui, pour une raison ou une autre, peuvent s’avérer avoir un instinct plus animal que les animaux eux-mêmes. Certains passages sont même insupportables. Où il n’est plus question de violence, mais de cruauté.
Même si les agriculteurs travaillent dur, ils n’abandonnent jamais. Poussé par l’espoir, quoi qu’il arrive.
⇒ Madeleine avant l’aube | Roman | Sandrine Collette | JC Lattès, 248 pp., 20,90 €, numérique 10 €
EXTRAIT
« Parfois, quand l’appréhension les saisit, ils courent vers l’Église, l’Église qui les condamne, parce que tout cela, la faim, le froid, les récoltes gâtées, tout le malheur enfin, c’est parce que d’eux les hommes recueillent ce que ils sèment Et Madelaine crie en silence que ce n’est pas vrai, elle le sait si bien, qu’il n’y a aucun rapport entre ce qu’ils plantent et ce qu’ils “sèment”. ils reçoivent, ils y mettent tout leur cœur et leur cœur leur est ouvert. »