Terre-net : Comment décririez-vous le marché européen du blé dur pour la campagne 2023/24 ?
Sébastien Poncelet: Lors de la campagne précédente, nous avions une petite production de blé dur en Europe : seulement 7 Mt, soit une des plus petites productions historiques.
Cependant, les prix ont été fortement influencés à la baisse car nous avons presque réalisé un nombre record d’importations, celles-ci provenant de nouveaux venus sur la scène internationale : La Turquie et la Russie.
Leur arrivée sur le marché de l’exportation, notamment vers l’Italie, a permis de combler le déficit européen et d’approvisionner adéquatement le marché mondial, alors que nous avions un petite récolte en Europe et au Canada.
Quelle est la situation pour la campagne 2024/25 ?
Dans cette campagne, les choses changent. C’est toujours aussi mauvais en Europe en termes de production, hormis l’Espagne qui reprend un peu de vigueur : La production française est déplorableil est également très faible en Italie. Nous aurons du mal à avoir 7 Mt.
Mais cela ne se passe pas du tout de la même manière sur la scène internationale. Ces exportateurs émergents, la Turquie et la Russie, sont tous deux absents pour le moment de la campagne en cours.
La Russie, qui exportait principalement du blé dur de mauvaise qualité vers l’Italie pour y être mélangé, ne peut plus le faire car l’Union européenne a interdit les importations de céréales russes depuis le 1er juillet. La Russie a du mal à placer son blé dur ailleurs, et on ne constate pas de présence notable du blé dur russe sur la scène internationale.
Dans le même temps, la Turquie privilégie l’autoconsommation depuis le début de la campagne. Elle a mis en place mesures protectionnistes augmenter les prix sur son marché intérieur et aider les agriculteurs turcs, en limitant les importations de blé (tendre et dur).
Le marché mondial n’est actuellement pas attractif pour les exportateurs turcs, c’est pourquoi le blé dur ne quitte pas la Turquie.
Le retour du Canada pourrait-il contrebalancer l’absence de la Russie et de la Turquie sur le marché mondial ?
Le Canada, premier exportateur mondial, revient avec une bonne récolte, autour de 6 Mt. C’est bien plus que les 4 Mt de l’an dernier. Mais Le Canada est un peu seul à exporter. Les prix du blé dur restent assez bien tenus au Canada, dans le sens où le pays a une bonne récolte mais pas trop de concurrence.
Nous avons à nouveau besoin d’importations record en Europe. La situation européenne étant bien plus tendue que la situation mondiale, les prix restent beaucoup plus élevés en Europe que sur le marché mondial, pour attirer ce record d’importations. Nous sommes suffisamment « chers » pour avoir une prime par rapport au marché mondial et par rapport au blé tendre, de sorte que nos prix n’augmentent pas.
Mais nos prix ne baissent pas non plus, car les importations du Canada n’arrivent actuellement qu’à un rythme modéré et le Déficit du bilan européen du mal à faire le plein rapidement.
Nous sommes donc dans un statu quo : il ne se passe rien sur le marché du blé dur. Les forces en présence sont véritablement bloquées et tout est neutralisé. Les prix ne changent pas pendant des semaines, et pourrait ne pas bouger avant la fin de la campagne.
Le blé dur est vraiment un petit marché, très opaque, très compliqué à lire, avec quelques acteurs. Avec en France, un marché bien spécifique.
C’est à dire ?
Nous avons beaucoup de lots de blé dur de mauvaise qualité, il y a beaucoup de déclassements et le marché se fait au cas par cas. Nous avons des prix nominaux qui sont affichés au port, mais cette cotation nominale représente une denrée qui n’existe pas : le blé dur aux normes est quasiment inexistant.
La cotation nominale de référence est d’environ 300-305 €/ttous les lots sont réalisés sur la base de remises par rapport à cette référence de bonne qualité qui n’existe pas en tant que telle.
Il y a donc autant de prix du blé dur en France qu’il y a lots de qualité différente.
Pensez-vous que le blé dur français pourrait retrouver une place à l’exportation ?
La première question est peut-être « aurons-nous assez de blé dur pour approvisionner les usines françaises » ! Nous sommes confrontés à des problèmes qualitatifs de plus en plus fréquents et à une rentabilité imprévisible. Il y a un vrai défi d’entretien des surfaces et un bon équilibre du marché.
Lors de la dernière campagne, l’arrivée des Russes et des Turcs a vraiment effrayé les producteurs de blé dur. Cette année, le producteur français n’est pas pénalisé par ces exportateurs émergents, mais en même temps il n’a pas ses revenus car il a réalisé de mauvais rendements avec un très mauvaise qualité.
Ce n’est pas cela qui inversera la tendance au déclin des surfaces et au manque de motivation pour produire du blé dur. Pour relancer la production, nous avons besoin prix rémunérateurs dans le temps.
Or, nous avons à la fois l’aspect climatique qui handicape régulièrement les producteurs français, et la concurrence internationale, avec des pays qui produisent de plus en plus de blé dur et qui vont améliorer leur production, comme le Kazakhstan et la Russie. .